Sganarelle ou le Cocu imaginaire
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>MolièreSganarelleouLe Cocu imaginaire1660PERSONNAGESGorgibus, bourgeois de Paris.Célie, sa fille.Lélie, amant de Célie.Gros-René, valet de Lélie.Sganarelle, bourgeois de Paris, et cocu imaginaire.Sa femme.Villebrequin, père de Valère.La suivante de Célie.Un parent de Sganarelle.La scène est à Paris.Scène premièreGorgibus, Célie, sa suivante.Célie, sortant toute éplorée et son père la suivant.Ah ! n’espérez jamais que mon cœur y consente.GorgibusQue marmottez-vous là petite impertinente,Vous prétendez choquer ce que j’ai résolu,Je n’aurai pas sur vous un pouvoir absolu,Et par sottes raisons votre jeune cervelleVoudrait régler ici la raison paternelle.Qui de nous deux à l’autre a droit de faire loi,À votre avis, qui mieux, ou de vous, ou de moiÔ sotte, peut juger ce qui vous est utile !Par la corbleu, gardez d’échauffer trop ma bile,Vous pourriez éprouver sans beaucoup de longueurSi mon bras sait encor montrer quelque vigueur.Votre plus court sera Madame la mutine,D’accepter sans façons l’époux qu’on vous destine.J’ignore, dites-vous, de quelle humeur il est,Et dois auparavant consulter s’il vous plaît.Informé du grand bien qui lui tombe en partage,Dois-je prendre le soin d’en savoir davantage,Et cet époux ayant vingt mille bons ducats,Pour être aimé de vous doit-il manquer d’appas.Allez tel qu’il puisse être avecque cette somme,Je vous suis caution qu’il est très honnête homme.CélieHélas !Gorgibus Eh bien, hélas ! que veut ...

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>MolièreSganarelleuoLe Cocu imaginaire0661PERSONNAGESGorgibus, bourgeois de Paris.Célie, sa fille.Lélie, amant de Célie.Gros-René, valet de Lélie.Sganarelle, bourgeois de Paris, et cocu imaginaire.Sa femme.Villebrequin, père de Valère.La suivante de Célie.Un parent de Sganarelle.La scène est à Paris.Scène premièreGorgibus, Célie, sa suivante.Célie, sortant toute éplorée et son père la suivant.Ah ! n’espérez jamais que mon cœur y consente.GorgibusQue marmottez-vous là petite impertinente,Vous prétendez choquer ce que j’ai résolu,Je n’aurai pas sur vous un pouvoir absolu,Et par sottes raisons votre jeune cervelleVoudrait régler ici la raison paternelle.Qui de nous deux à l’autre a droit de faire loi,À votre avis, qui mieux, ou de vous, ou de moiÔ sotte, peut juger ce qui vous est utile !Par la corbleu, gardez d’échauffer trop ma bile,Vous pourriez éprouver sans beaucoup de longueurSi mon bras sait encor montrer quelque vigueur.Votre plus court sera Madame la mutine,D’accepter sans façons l’époux qu’on vous destine.J’ignore, dites-vous, de quelle humeur il est,Et dois auparavant consulter s’il vous plaît.Informé du grand bien qui lui tombe en partage,Dois-je prendre le soin d’en savoir davantage,Et cet époux ayant vingt mille bons ducats,Pour être aimé de vous doit-il manquer d’appas.Allez tel qu’il puisse être avecque cette somme,
Je vous suis caution qu’il est très honnête homme.eiléCHélas !Gorgibus Eh bien, hélas ! que veut dire ceci,Voyez le bel hélas ! qu’elle nous donne ici.Hé ! que si la colère une fois me transporte,Je vous ferai chanter hélas ! de belle sorte.Voilà, voilà le fruit de ces empressementsQu’on vous voit nuit et jour à lire vos romans,De quolibets d’amour votre tête est remplie,Et vous parlez de Dieu, bien moins que de Clélie.Jetez-moi dans le feu tous ces méchants écritsQui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits,Lisez-moi comme il faut au lieu de ces sornettesLes Quatrains de Pibrac, et les doctes TablettesDu conseiller Matthieu, ouvrage de valeurEt plein de beaux dictons à réciter par cœur.La Guide des pécheurs est encore un bon livre ;C’est là qu’en peu de temps on apprend à bien vivre,Et si vous n’aviez lu que ces moralités,Vous sauriez un peu mieux suivre mes volontés.eiléCQuoi vous prétendez donc mon père, que j’oublieLa constante amitié que je dois à Lélie,J’aurais tort si sans vous je disposais de moi ;Mais vous-même à ses vœux engageâtes ma foi.GorgibusLui fût-elle engagée encore davantage,Un autre est survenu dont le bien l’en dégage.Lélie est fort bien fait ; mais apprends qu’il n’est rienQui ne doive céder au soin d’avoir du bien,Que l’or donne aux plus laids certain charme pour plaire,Et que sans lui le reste est une triste affaire.Valère, je crois bien, n’est pas de toi chéri ;Mais s’il ne l’est amant, il le sera mariPlus que l’on ne le croit, ce nom d’époux engageEt l’amour est souvent un fruit du mariage.Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner,Où de droit absolu j’ai pouvoir d’ordonner,Trêve donc je vous prie à vos impertinences,Que je n’entende plus vos sottes doléances :Ce gendre doit venir vous visiter ce soir,Manquez un peu, manquez, à le bien recevoir,Si je ne vous lui vois faire fort bon visageJe vous… je ne veux pas en dire davantage.Scène IICélie, sa suivante.La suivanteQuoi refuser Madame, avec cette rigueurCe que tant d’autres gens voudraient de tout leur cœur,À des offres d’hymen répondre par des larmesEt tarder tant à dire un oui si plein de charmes.Hélas ! que ne veut-on aussi me marier,Ce ne serait pas moi qui se ferait prier,Et loin qu’un pareil oui me donnât de la peineCroyez que j’en dirais bien vite une douzaine.Le précepteur qui fait répéter la leçonÀ votre jeune frère, a fort bonne raison,Lorsque nous discourant des choses de la terre,Il dit que la femelle est ainsi que le lierre,Qui croît beau tant qu’à l’arbre il se tient bien serréEt ne profite point s’il en est séparé.
Il n’est rien de plus vrai, ma très chère maîtresse,Et je l’éprouve en moi chétive pécheresse.Le bon Dieu fasse paix à mon pauvre Martin,Mais j’avais, lui vivant, le teint d’un chérubin,L’embonpoint merveilleux, l’œil gai, l’âme contente,Et je suis maintenant ma commère dolente.Pendant cet heureux temps, passé comme un éclair,Je me couchais sans feu dans le fort de l’hiver,Sécher même les draps me semblait ridicule,Et je tremble à présent dedans la canicule.Enfin il n’est rien tel, Madame, croyez-moi,Que d’avoir un mari la nuit auprès de soi,Ne fût-ce que pour l’heur d’avoir qui vous salueD’un Dieu vous soit en aide alors qu’on éternue.eiléCPeux-tu me conseiller de commettre un forfait,D’abandonner Lélie, et prendre ce mal-fait.La suivanteVotre Lélie aussi, n’est ma foi qu’une bête,Puisque si hors de temps son voyage l’arrête,Et la grande longueur de son éloignementMe le fait soupçonner de quelque changement.Célie, lui montrant le portrait de Lélie.Ah ! ne m’accable point par ce triste présage,Vois attentivement les traits de ce visage,Ils jurent à mon cœur d’éternelles ardeurs,Je veux croire après tout qu’ils ne sont pas menteurs,Et comme c’est celui que l’art y représenteIl conserve à mes feux une amitié constante.La suivanteIl est vrai que ces traits marquent un digne amant,Et que vous avez lieu de l’aimer tendrement.eiléCEt cependant il faut… ah ! soutiens-moi.Laissant tomber le portrait de Lélie.La suivante Madame,D’où vous pourrait venir… ah ! bons dieux ! elle pâme.Hé ! vite, holà, quelqu’un.Scène IIICélie, La suivante, Sganarelle.Sganarelle Qu’est-ce ? donc, me voilà.La suivanteMa maîtresse se meurt.Sganarelle Quoi ? ce n’est que cela,Je croyais tout perdu, de crier de la sorte ;Mais approchons pourtant. Madame êtes-vous morte.Hays, elle ne dit mot.La suivante Je vais faire venirQuelqu’un pour l’emporter, veuillez la soutenir :Scène IV
Célie, Sganarelle, Sa femme.Sganarelle, en lui passant la main sur le sein.Elle est froide partout et je ne sais qu’en dire,Approchons-nous pour voir si sa bouche respire.Ma foi, je ne sais pas ; mais j’y trouve encor moiQuelque signe de vie.La femme de Sganarelle, regardant par la fenêtre. Ah ! qu’est-ce que je voi,Mon mari dans ses bras… Mais je m’en vais descendre,Il me trahit sans doute, et je veux le surprendre.SganarelleIl faut se dépêcher de l’aller secourir.Certes elle aurait tort de se laisser mourir.Aller en l’autre monde est très grande sottiseTant que dans celui-ci l’on peut être de mise.Il l’emporte avec un homme que la suivante amène.Scène VLa femme de Sganarelle, seule.Il s’est subitement éloigné de ces lieux,Et sa fuite a trompé mon désir curieux.Mais de sa trahison je ne fais plus de doute,Et le peu que j’ai vu me la découvre toute.Je ne m’étonne plus de l’étrange froideurDont je le vois répondre à ma pudique ardeur,Il réserve, l’ingrat, ses caresses à d’autres,Et nourrit leurs plaisirs par le jeûne des nôtres.Voilà de nos maris, le procédé commun,Ce qui leur est permis, leur devient importun,Dans les commencements ce sont toutes merveillesIls témoignent pour nous des ardeurs non pareilles ;Mais les traîtres bientôt se lassent de nos feux,Et portent autre part ce qu’ils doivent chez eux.Ah ! que j’ai de dépit, que la loi n’autoriseÀ changer de mari comme on fait de chemise :Cela serait commode, et j’en sais telle iciQui comme moi ma foi le voudrait bien aussi.(En ramassant le portrait que Célie avait laissé tomber.)Mais quel est ce bijou que le sort me présente,L’émail en est fort beau, la gravure charmante,Ouvrons.Scène VISganarelle et sa femme.Sganarelle On la croyait morte et ce n’était rien,Il n’en faut plus qu’autant, elle se porte bien.Mais j’aperçois ma femme.Sa femme Ô Ciel ! c’est miniature,Et voilà d’un bel homme une vive peinture.Sganarelle, à part, et regardant sur l’épaule de sa femme.Que considère-t-elle avec attention,Ce portrait mon honneur ne nous dit rien de bon,D’un fort vilain soupçon je me sens l’âme émue.Sa femme, sans l’apercevoir, continue.Jamais rien de plus beau ne s’offrit à ma vue.Le travail plus que l’or s’en doit encor priser.Hon que cela sent bon.
Sganarelle, à part. Quoi peste le baiser.Ah ! j’en tiens.Sa femme poursuit. Avouons qu’on doit être ravieQuand d’un homme ainsi fait on se peut voir servie,Et que s’il en contait avec attention,Le penchant serait grand à la tentation.Ah ! que n’ai-je un mari d’une aussi bonne mine,Au lieu de mon pelé, de mon rustre…Sganarelle, lui arrachant le portrait. Ah ! mâtine,Nous vous y surprenons en faute contre nous,Et diffamant l’honneur de votre cher époux :Donc à votre calcul, ô ma trop digne femme !Monsieur, tout bien compté, ne vaut pas bien Madame,Et de par Belzébut qui vous puisse emporterQuel plus rare parti pourriez-vous souhaiter :Peut-on trouver en moi quelque chose à redire,Cette taille, ce port, que tout le monde admire,Ce visage si propre à donner de l’amour,Pour qui mille beautés soupirent nuit et jour ;Bref en tout et partout ma personne charmante,N’est donc pas un morceau dont vous soyez contente :Et pour rassasier votre appétit gourmand,Il faut à son mari le ragoût d’un galant ?Sa femmeJ’entends à demi-mot où va la raillerie,Tu crois par ce moyen…Sganarelle À d’autres je vous prie,La chose est avérée, et je tiens dans mes mainsUn bon certificat du mal dont je me plains.Sa femmeMon courroux n’a déjà que trop de violence,Sans le charger encor d’une nouvelle offense ;Écoute, ne crois pas retenir mon bijou,Et songe un peu…Sganarelle Je songe à te rompre le cou.Que ne puis-je, aussi bien que je tiens la copieTenir l’original !Sa femme Pourquoi ?Sganarelle Pour rien mamie,Doux objet de mes vœux j’ai grand tort de crier,Et mon front de vos dons vous doit remercier.(Regardant le portrait de Lélie.)Le voilà le beau-fils, le mignon de couchette,Le malheureux tison de ta flamme secrète,Le drôle avec lequel…Sa femme Avec lequel, poursuis ?SganarelleAvec lequel te dis-je… et j’en crève d’ennuis.Sa femmeQue me veut donc par là conter ce maître ivrogne ?SganarelleTu ne m’entends que trop, Madame la carogne ;
Sganarelle, est un nom qu’on ne me dira plus,Et l’on va m’appeler seigneur Cornelius :J’en suis pour mon honneur ; mais à toi qui me l’ôtes,Je t’en ferai du moins pour un bras ou deux côtes.Sa femmeEt tu m’oses tenir de semblables discours.SganarelleEt tu m’oses jouer de ces diables de tours.Sa femmeEt quels diables de tours, parle donc sans rien feindre ?SganarelleAh ! cela ne vaut pas la peine de se plaindre,D’un panache de cerf sur le front me pourvoir,Hélas ! voilà vraiment un beau venez-y-voir.Sa femmeDonc après m’avoir fait la plus sensible offenseQui puisse d’une femme exciter la vengeance,Tu prends d’un feint courroux le vain amusementPour prévenir l’effet de mon ressentiment :D’un pareil procédé l’insolence est nouvelle,Celui qui fait l’offense est celui qui querelle.SganarelleEh ! la bonne effrontée, à voir ce fier maintienNe la croirait-on pas une femme de bien.Sa femmeVa, poursuis ton chemin, cajole tes maîtresses,Adresse-leur tes vœux et fais-leur des caresses ;Mais rends-moi mon portrait sans te jouer de moi.(Elle lui arrache le portrait et s’enfuit.)Sganarelle courant après elle.Oui, tu crois m’échapper, je l’aurai malgré toi.Scène VIILélie, Gros-René.Gros-RenéEnfin nous y voici ; mais Monsieur, si je l’ose,Je voudrais vous prier de me dire une chose.eiléLHé bien, parle ?Gros-René Avez-vous le diable dans le corpsPour ne pas succomber à de pareils efforts,Depuis huit jours entiers avec vos longues traitesNous sommes à piquer de chiennes de mazettes,De qui le train maudit nous a tant secoués,Que je m’en sens pour moi tous les membres roués,Sans préjudice encor d’un accident bien pire,Qui m’afflige un endroit que je ne veux pas dire ;Cependant arrivé vous sortez bien et beauSans prendre de repos, ni manger un morceau.eiléLCe grand empressement n’est point digne de blâmeDe l’hymen de Célie, on alarme mon âme ;Tu sais que je l’adore, et je veux être instruitAvant tout autre soin de ce funeste bruit.Gros-RenéOui ; mais un bon repas vous serait nécessaire
Pour s’aller éclaircir, Monsieur, de cette affaire,Et votre cœur sans doute en deviendrait plus fortPour pouvoir résister aux attaques du sort.J’en juge par moi-même, et la moindre disgrâceLorsque je suis à jeun, me saisit, me terrasse ;Mais quand j’ai bien mangé, mon âme est ferme à tout,Et les plus grands revers n’en viendraient pas à bout.Croyez-moi, bourrez-vous et sans réserve aucune,Contre les coups que peut vous porter la fortune,Et pour fermer chez vous l’entrée à la douleur,De vingt verres de vin entourez votre cœur.eiléLJe ne saurais manger.Gros-René, à part ce demi-vers. Si ferait bien moi, je meure.Votre dîné pourtant serait prêt tout à l’heure.eiléLTais-toi, je te l’ordonne.Gros-René Ah ! quel ordre inhumain.eiléLJ’ai de l’inquiétude et non pas de la faim.Gros-RenéEt moi j’ai de la faim, et de l’inquiétudeDe voir qu’un sot amour fait toute votre étude.eiléLLaisse-moi m’informer de l’objet de mes vœux,Et sans m’importuner, va manger si tu veux.Gros-RenéJe ne réplique point à ce qu’un maître ordonne.Scène VIIILélie, seul.Non non, à trop de peur mon âme s’abandonne,Le père m’a promis et la fille a fait voirDes preuves d’un amour qui soutient mon espoir.Scène IXSganarelle, Lélie.SganarelleNous l’avons, et je puis voir à l’aise la trogneDu malheureux pendard qui cause ma vergogne.Il ne m’est point connu.Lélie, à part. Dieu ! qu’aperçois-je ici,Et si c’est mon portrait, que dois-je croire aussi.Sganarelle continue.Ah ! pauvre Sganarelle, à quelle destinéeTa réputation est-elle condamnée,(Apercevant Lélie qui le regarde, il se retourne d’un autre côté.)tuaFLélie, à part. Ce gage ne peut sans alarmer ma foi,Être sorti des mains qui le tenaient de moi.
SganarelleFaut-il que désormais à deux doigts l’on te montre,Qu’on te mette en chansons, et qu’en toute rencontre,On te rejette au nez le scandaleux affrontQu’une femme mal née imprime sur ton front.Lélie, à part.Me trompé-je.Sganarelle Ah ! truande, as-tu bien le courageDe m’avoir fait cocu dans la fleur de mon âge,Et femme d’un mari qui peut passer pour beau,Faut-il qu’un marmouset, un maudit étourneau.Lélie, à part, et regardant encore son portrait.Je ne m’abuse point, c’est mon portrait lui-même.Sganarelle lui tourne le dos.Cet homme est curieux.Lélie, à part. Ma surprise est extrême.SganarelleÀ qui donc en a-t-il ?Lélie, à part.Je le veux accoster.(Haut.)Puis-je… ? Hé ! de grâce un mot.Sganarelle le fuit encore. Que me veut-il conter.eiléLPuis-je obtenir de vous, de savoir l’aventure,Qui fait dedans vos mains trouver cette peinture.Sganarelle, à part, et examinant le portrait qu’il tient et Lélie.D’où lui vient ce désir ; mais je m’avise ici…Ah ! ma foi, me voilà de son trouble éclairci,Sa surprise à présent n’étonne plus mon âme,C’est mon homme, ou plutôt c’est celui de ma femme.eiléLRetirez-moi de peine et dites d’où vous vient…SganarelleNous savons Dieu merci le souci qui vous tient,Ce portrait qui vous fâche est votre ressemblance,Il était en des mains de votre connaissance,Et ce n’est pas un fait qui soit secret pour nousQue les douces ardeurs de la dame et de vous :Je ne sais pas si j’ai dans sa galanterieL’honneur d’être connu de votre seigneurie ;Mais faites-moi celui de cesser désormaisUn amour qu’un mari peut trouver fort mauvais,Et songez que les nœuds du sacré mariage…eiléLQuoi, celle dites-vous dont vous tenez ce gage…SganarelleEst ma femme, et je suis son mari.eiléL Son mari ?SganarelleOui, son mari vous dis-je, et mari très marri,Vous en savez la cause et je m’en vais l’apprendre
Sur l’heure à ses parents.Scène XLélie, seul.Ah ! que viens-je d’entendre ?On me l’avait bien dit, et que c’était de tousL’homme le plus mal fait qu’elle avait pour époux.Ah ! quand mille serments de ta bouche infidèleNe m’auraient pas promis une flamme éternelle,Le seul mépris d’un choix si bas et si honteuxDevait bien soutenir l’intérêt de mes feuxIngrate, et quelque bien… Mais ce sensible outrageSe mêlant aux travaux d’un assez long voyage,Me donne tout à coup un choc si violent,Que mon cœur devient faible et mon corps chancelant.Scène XILélie, la femme de Sganarelle.La femme de Sganarelle, se tournant vers Lélie.Malgré moi mon perfide… Hélas ! quel mal vous presse,Je vous vois prêt Monsieur à tomber en faiblesse.eiléLC’est un mal qui m’a pris assez subitement.La femme de SganarelleJe crains ici pour vous l’évanouissement,Entrez dans cette salle en attendant qu’il passe.eiléLPour un moment ou deux, j’accepte cette grâce.Scène XIISganarelle et le parent de sa femme.Le parentD’un mari sur ce point j’approuve le souci ;Mais c’est prendre la chèvre un peu bien vite aussi,Et tout ce que de vous je viens d’ouïr contre elleNe conclut point parent, qu’elle soit criminelle :C’est un point délicat, et de pareils forfaits,Sans les bien avérer ne s’imputent jamais.SganarelleC’est-à-dire qu’il faut toucher au doigt la chose.Le parentLe trop de promptitude à l’erreur nous expose.Qui sait comme en ses mains ce portrait est venu,Et si l’homme après tout lui peut être connu.Informez-vous-en donc, et si c’est ce qu’on pense,Nous serons les premiers à punir son offense.Scène XIIISganarelle, seul.On ne peut pas mieux dire, en effet, il est bonD’aller tout doucement. Peut-être sans raisonMe suis-je en tête mis ces visions cornues,Et les sueurs au front m’en sont trop tôt venues.
Par ce portrait enfin dont je suis alarmé,Mon déshonneur n’est pas tout à fait confirmé,Tâchons donc par nos soins…Scène XIVSganarelle, sa femme, Lélie, sur la porte de Sganarelle, en parlant à safemme.Sganarelle poursuit. Ah ! que vois-je, je meure,Il n’est plus question de portrait à cette heure,Voici ma foi la chose en propre original.La femme de Sganarelle à Lélie.C’est par trop vous hâter Monsieur, et votre malSi vous sortez sitôt pourra bien vous reprendre.eiléLNon non, je vous rends grâce, autant qu’on puisse rendre,De l’obligeant secours que vous m’avez prêté.Sganarelle, à part.La masque encore après lui fait civilité !Scène XVSganarelle, Lélie.Sganarelle, à part.Il m’aperçoit, voyons ce qu’il me pourra dire.Lélie, à part.Ah ! mon âme s’émeut et cet objet m’inspire…Mais je dois condamner cet injuste transport,Et n’imputer mes maux qu’aux rigueurs de mon sort.Envions seulement le bonheur de sa flamme.(Passant auprès de lui, et le regardant.)Oh ! trop heureux d’avoir une si belle femme.Scène XVISganarelle, Célie regardant aller Lélie.Sganarelle sans voir Célie.Ce n’est point s’expliquer en termes ambigus.Cet étrange propos me rend aussi confusQue s’il m’était venu des cornes à la tête.(Il se tourne du côté que Lélie s’en vient d’en aller.)Allez, ce procédé n’est point du tout honnête.Célie, à part.Quoi, Lélie a paru tout à l’heure à mes yeux,Qui pourrait me cacher son retour en ces lieux.Sganarelle poursuit.Ô ! trop heureux, d’avoir une si belle femme,Malheureux, bien plutôt, de l’avoir cette infâme,Dont le coupable feu trop bien vérifié,Sans respect ni demi nous a cocufié ;(Célie approche peu à peu de lui, et attend que son transport soit finipour lui parler.)Mais je le laisse aller après un tel indiceEt demeure les bras croisés comme un jocrisse.Ah ! je devais du moins lui jeter son chapeau,Lui ruer quelque pierre, ou crotter son manteau,
Et sur lui hautement pour contenter ma rageFaire au larron d’honneur crier le voisinage.eiléCCelui qui maintenant devers vous est venuEt qui vous a parlé, d’où vous est-il connu ?SganarelleHélas ! ce n’est pas moi qui le connaît Madame,C’est ma femme.eiléC Quel trouble agite ainsi votre âme ?SganarelleNe me condamnez point d’un deuil hors de saisonEt laissez-moi pousser des soupirs à foison.eiléCD’où vous peuvent venir ces douleurs non communes ?SganarelleSi je suis affligé, ce n’est pas pour des prunesEt je le donnerais à bien d’autres qu’à moiDe se voir sans chagrin au point où je me voi.Des maris malheureux, vous voyez le modèle,On dérobe l’honneur au pauvre Sganarelle ;Mais c’est peu que l’honneur dans mon afflictionL’on me dérobe encor la réputation.eiléCComment ?Sganarelle Ce damoiseau, parlant par révérenceMe fait cocu Madame, avec toute licence,Et j’ai su par mes yeux avérer aujourd’huiLe commerce secret de ma femme et de lui.eiléCCelui qui maintenant…Sganarelle Oui, oui, me déshonore,Il adore ma femme, et ma femme l’adore.eiléCAh ! j’avais bien jugé que ce secret retourNe pouvait me couvrir que quelque lâche tour,Et j’ai tremblé d’abord en le voyant paraître,Par un pressentiment de ce qui devait être.SganarelleVous prenez ma défense avec trop de bonté,Tout le monde n’a pas la même charitéEt plusieurs qui tantôt ont appris mon martyre,Bien loin d’y prendre part, n’en ont rien fait que rire.eiléCEst-il rien de plus noir que ta lâche action,Et peut-on lui trouver une punition :Dois-tu ne te pas croire indigne de la vie,Après t’être souillé de cette perfidie.Ô Ciel ! est-il possible ?Sganarelle Il est trop vrai pour moi.eiléCAh ! traître, scélérat, âme double et sans foi.SganarelleLa bonne âme.
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