Phèdre (Racine), Didot, 1854
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Phèdre (Racine), Didot, 1854

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Jean RacinePhèdreT r a g é d i e1677PréfaceVoici encore une tragédie dont le sujet est pris d’Euripide. Quoique j’aie suivi uneroute un peu différente de celle de cet auteur pour la conduite de l’action, je n’ai paslaissé d’enrichir ma pièce de tout ce qui m’a paru le plus éclatant dans la sienne.Quand je ne lui devrais que la seule idée du caractère de Phèdre, je pourrais direque je lui dois ce que j’ai peut-être mis de plus raisonnable sur le théâtre. Je ne suispoint étonné que ce caractère ait eu un succès si heureux du temps d’Euripide, etqu’il ait encore si bien réussi dans notre siècle, puisqu’il a toutes les qualitésqu’Aristote demande dans le héros de la tragédie, et qui sont propres à exciter lacompassion et la terreur. En effet, Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à faitinnocente : elle est engagée, par sa destinée et par la colère des dieux, dans unepassion illégitime dont elle a horreur toute la première : elle fait tous ses efforts pourla surmonter : elle aime mieux se laisser mourir que de la déclarer à personne ; etlorsqu’elle est forcée de la découvrir, elle en parle avec une confusion qui fait bienvoir que son crime est plutôt une punition des dieux qu’un mouvement de sa volonté.J’ai même pris soin de la rendre un peu moins odieuse qu’elle n’est dans lestragédies des Anciens, où elle se résout d’elle-même à accuser Hippolyte. J’ai cruque la calomnie avait quelque chose de trop bas et de trop noir pour la mettre dansla ...

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Jean RacinePhèdreTragédie7761PréfaceVoici encore une tragédie dont le sujet est pris d’Euripide. Quoique j’aie suivi uneroute un peu différente de celle de cet auteur pour la conduite de l’action, je n’ai paslaissé d’enrichir ma pièce de tout ce qui m’a paru le plus éclatant dans la sienne.Quand je ne lui devrais que la seule idée du caractère de Phèdre, je pourrais direque je lui dois ce que j’ai peut-être mis de plus raisonnable sur le théâtre. Je ne suispoint étonné que ce caractère ait eu un succès si heureux du temps d’Euripide, etqu’il ait encore si bien réussi dans notre siècle, puisqu’il a toutes les qualitésqu’Aristote demande dans le héros de la tragédie, et qui sont propres à exciter lacompassion et la terreur. En effet, Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à faitinnocente : elle est engagée, par sa destinée et par la colère des dieux, dans unepassion illégitime dont elle a horreur toute la première : elle fait tous ses efforts pourla surmonter : elle aime mieux se laisser mourir que de la déclarer à personne ; etlorsqu’elle est forcée de la découvrir, elle en parle avec une confusion qui fait bienvoir que son crime est plutôt une punition des dieux qu’un mouvement de sa volonté.J’ai même pris soin de la rendre un peu moins odieuse qu’elle n’est dans lestragédies des Anciens, où elle se résout d’elle-même à accuser Hippolyte. J’ai cruque la calomnie avait quelque chose de trop bas et de trop noir pour la mettre dansla bouche d’une princesse qui a d’ailleurs des sentiments si nobles et si vertueux.Cette bassesse m’a paru plus convenable à une nourrice, qui pouvait avoir desinclinations plus serviles, et qui néanmoins n’entreprend cette fausse accusationque pour sauver la vie et l’honneur de sa maîtresse. Phèdre n’y donne les mainsque parce qu’elle est dans une agitation d’esprit qui la met hors d’elle-même ; etelle vient un moment après dans le dessein de justifier l’innocence, et de déclarer lavérité.Hippolyte est accusé, dans Euripide et dans Sénèque, d’avoir en effet violé sabelle-mère : vim corpus tulit[1]. Mais il n’est ici accusé que d’en avoir eu le dessein.J’ai voulu épargner à Thésée une confusion qui l’aurait pu rendre moins agréableaux spectateurs.Pour ce qui est du personnage d’Hippolyte, j’avais remarqué dans les Anciensqu’on reprochait à Euripide de l’avoir représenté comme un philosophe exempt detoute imperfection : ce qui faisait que la mort de ce jeune prince causait beaucoupplus d’indignation que de pitié. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse qui lerendrait un peu coupable envers son père, sans pourtant lui rien ôter de cettegrandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et se laisse opprimersans l’accuser. J’appelle faiblesse la passion qu’il ressent malgré lui pour Aricie,qui est la fille et la sœur des ennemis mortels de son père.Cette Aricie n’est point un personnage de mon invention. Virgile dit qu’Hippolytel’épousa, et en eut un fils, après qu’Esculape l’eut ressuscité[2]. Et j’ai lu encoredans quelques auteurs qu’Hippolyte avait épousé et emmené en Italie une jeuneAthénienne de grande naissance, qui s’appelait Aricie, et qui avait donné son nomà une petite ville d’Italie.Je rapporte ces autorités, parce que je me suis très scrupuleusement attaché àsuivre la fable. J’ai même suivi l’histoire de Thésée, telle qu’elle est dans Plutarque.C’est dans cet historien que j’ai trouvé que ce qui avait donné occasion de croireque Thésée fût descendu dans les enfers pour enlever Proserpine, était un voyageque ce prince avait fait en Épire vers la source de l’Achéron, chez un roi dontPirithoüs voulait enlever la femme, et qui arrêta Thésée prisonnier, après avoir fait
mourir Pirithoüs. Ainsi j’ai tâché de conserver la vraisemblance de l’histoire, sansrien perdre des ornements de la fable, qui fournit extrêmement à la poésie ; et lebruit de la mort de Thésée, fondé sur ce voyage fabuleux, donne lieu à Phèdre defaire une déclaration d’amour qui devient une des principales causes de sonmalheur, et qu’elle n’aurait jamais osé faire tant qu’elle aurait cru que son mari étaitvivant.Au reste, je n’ose encore assurer que cette pièce soit en effet la meilleure de mestragédies. Je laisse aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix. Ceque je puis assurer, c’est que je n’en ai point fait où la vertu soit plus mise en jourque dans celle-ci ; les moindres fautes y sont sévèrement punies : la seule penséedu crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même ; les faiblessesde l’amour y passent pour de vraies faiblesses : les passions n’y sont présentéesaux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause ; et le vice y estpeint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité. C’est làproprement le but que tout homme qui travaille pour le public doit se proposer ; etc’est ce que les premiers poètes tragiques avaient en vue sur toute chose. Leurthéâtre était une école où la vertu n’était pas moins bien enseignée que dans lesécoles des philosophes. Aussi Aristote a bien voulu donner des règles du poèmedramatique ; et Socrate, le plus sage des philosophes, ne dédaignait pas de mettrela main aux tragédies d’Euripide. Il serait à souhaiter que nos ouvrages fussentaussi solides et aussi pleins d’utiles instructions que ceux de ces poètes. Ce seraitpeut-être un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes célèbrespar leur piété et par leur doctrine, qui l’ont condamnée dans ces derniers temps etqui en jugeraient sans doute plus favorablement, si les auteurs songeaient autant àinstruire leurs spectateurs qu’à les divertir, et s’ils suivaient en cela la véritableintention de la tragédie.PERSONNAGESTHÉSÉE, fils d’Égée, roi d’Athènes.PHÈDRE, femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphaé.HIPPOLYTE, fils de Thésée, et d’Antiope, reine des Amazones.ARICIE, princesse du sang royal d’Athènes.THÉRAMÈNE, gouverneur d’Hippolyte.ŒNONE, nourrice et confidente de Phèdre.ISMÈNE, confidente d’Aricie.PANOPE, femme de la suite de Phèdre.Gardes.La scène est à Trézène, ville du Péloponèse.ACTE premierScène premièreHippolyte, ThéramèneHIPPOLYTELe dessein en est pris : je pars, cher Théramène,Et quitte le séjour de l’aimable Trézène.Dans le doute mortel dont je suis agité,Je commence à rougir de mon oisiveté.Depuis plus de six mois éloigné de mon père,J’ignore le destin d’une tête si chère ;J’ignore jusqu’aux lieux qui le peuvent cacher.THÉRAMÈNEEt dans quels lieux, seigneur, l’allez-vous donc chercher ?Déjà pour satisfaire à votre juste crainte,J’ai couru les deux mers que sépare Corinthe ;J’ai demandé Thésée aux peuples de ces bordsOù l’on voit l’Achéron se perdre chez les morts ;J’ai visité l’Élide, et, laissant le Ténare,Passé jusqu’à la mer qui vit tomber Icare :Sur quel espoir nouveau, dans quels heureux climats
Croyez-vous découvrir la trace de ses pas ?Qui sait même, qui sait si le roi votre pèreVeut que de son absence on sache le mystère ?Et si, lorsqu’avec vous nous tremblons pour ses jours,Tranquille, et nous cachant de nouvelles amours,Ce héros n’attend point qu’une amante abusée...HIPPOLYTECher Théramène, arrête, et respecte Thésée.De ses jeunes erreurs désormais revenu,Par un indigne obstacle il n’est point retenu ;Et fixant de ses vœux l’inconstance fatale,Phèdre depuis longtemps ne craint plus de rivale.Enfin, en le cherchant, je suivrai mon devoir,Et je fuirai ces lieux, que je n’ose plus voir.THÉRAMÈNEEh ! depuis quand, seigneur, craignez-vous la présenceDe ces paisibles lieux si chers à votre enfance,Et dont je vous ai vu préférer le séjourAu tumulte pompeux d’Athènes et de la cour ?Quel péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse ?HIPPOLYTECet heureux temps n’est plus. Tout a changé de face,Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyéLa fille de Minos et de Pasiphaé.THÉRAMÈNEJ’entends : de vos douleurs la cause m’est connue.Phèdre ici vous chagrine, et blesse votre vue.Dangereuse marâtre, à peine elle vous vit,Que votre exil d’abord signala son crédit.Mais sa haine, sur vous autrefois attachée,Ou s’est évanouie, ou s’est bien relâchée.Et d’ailleurs quels périls vous peut faire courirUne femme mourante, et qui cherche à mourir ?Phèdre, atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire,Lasse enfin d’elle-même et du jour qui l’éclaire,Peut-elle contre vous former quelques desseins ?HIPPOLYTESa vaine inimitié n’est pas ce que je crains.Hippolyte en partant fuit une autre ennemie ;Je fuis, je l’avouerai, cette jeune Aricie,Reste d’un sang fatal conjuré contre nous.THÉRAMÈNEQuoi ! vous-même, seigneur, la persécutez-vous ?Jamais l’aimable sœur des cruels PallantidesTrempa-t-elle aux complots de ses frères perfides ?Et devez-vous haïr ses innocents appas ?HIPPOLYTESi je la haïssais, je ne la fuirais pas.THÉRAMÈNESeigneur, m’est-il permis d’expliquer votre fuite ?Pourriez-vous n’être plus ce superbe HippolyteImplacable ennemi des amoureuses lois,Et d’un joug que Thésée a subi tant de fois ?Vénus, par votre orgueil si longtemps méprisée,Voudrait-elle à la fin justifier Thésée ?Et, vous mettant au rang du reste des mortels,Vous a-t-elle forcé d’encenser ses autels ?
Aimeriez-vous, seigneur ?HIPPOLYTE Ami, qu’oses-tu dire ?Toi qui connais mon cœur depuis que je respire,Des sentiments d’un cœur si fier, si dédaigneux,Peux-tu me demander le désaveu honteux ?C’est peu qu’avec son lait une mère amazoneM’a fait sucer encor cet orgueil qui t’étonne ;Dans un âge plus mûr moi-même parvenu,Je me suis applaudi quand je me suis connu.Attaché près de moi par un zèle sincère,Tu me contais alors l’histoire de mon père.Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix,S’échauffait aux récits de ses nobles exploits,Quand tu me dépeignais ce héros intrépideConsolant les mortels de l’absence d’Alcide,Les monstres étouffés, et les brigands punis,Procruste, Cercyon, et Sciron, et Sinis,Et les os dispersés du géant d’Épidaure,Et la Crête fumant du sang du Minotaure.Mais, quand tu récitais des faits moins glorieux,Sa foi partout offerte, et reçue en cent lieux ;Hélène à ses parents dans Sparte dérobée ;Salamine témoin des pleurs de Péribée ;Tant d’autres, dont les noms lui sont même échappés,Trop crédules esprits que sa flamme a trompés !Ariane aux rochers contant ses injustices ;Phèdre enlevée enfin sous de meilleurs auspices ;Tu sais comme, à regret écoutant ce discours,Je te pressais souvent d’en abréger le cours.Heureux si j’avais pu ravir à la mémoireCette indigne moitié d’une si belle histoire !Et moi-même, à mon tour, je me verrais lié !Et les dieux jusque-là m’auraient humilié !Dans mes lâches soupirs d’autant plus méprisable,Qu’un long amas d’honneurs rend Thésée excusable,Qu’aucuns monstres par moi domptés jusqu’aujourd’hui,Ne m’ont acquis le droit de faillir comme lui !Quand même ma fierté pourrait s’être adoucie,Aurais-je pour vainqueur dû choisir Aricie ?Ne souviendrait-il plus à mes sens égarésDe l’obstacle éternel qui nous a séparés ?Mon père la réprouve, et par des lois sévères,Il défend de donner des neveux à ses frères :D’une tige coupable il craint un rejeton ;Il veut avec la sœur ensevelir leur nom ;Et que, jusqu’au tombeau soumise à sa tutelle,Jamais les feux d’hymen ne s’allument pour elle.Dois-je épouser ses droits contre un père irrité ?Donnerai-je l’exemple à la témérité ?Et dans un fol amour ma jeunesse embarquée...THÉRAMÈNEAh, seigneur ! si votre heure est une fois marquée,Le ciel de nos raisons ne sait point s’informer.Thésée ouvre vos yeux, en voulant les fermer ;Et sa haine irritant une flamme rebelle,Prête à son ennemi une grâce nouvelle.Enfin d’un chaste amour pourquoi vous effrayer ?S’il a quelque douceur, n’osez-vous l’essayer ?En croirez-vous toujours un farouche scrupule ?Craint-on de s’égarer sur les traces d’Hercule ?Quels courages Vénus n’a-t-elle pas domptés ?Vous-même, où seriez-vous, vous qui la combattez,Si toujours Antiope à ses lois opposéeD’une pudique ardeur n’eût brûlé pour Thésée ?Mais que sert d’affecter un superbe discours ?Avouez-le, tout change ; et depuis quelques jours,On vous voit moins souvent, orgueilleux et sauvage,
Tantôt faire voler un char sur le rivage,Tantôt, savant dans l’art par Neptune inventé,Rendre docile au frein un coursier indompté ;Les forêts de nos cris moins souvent retentissent ;Chargés d’un feu secret, vos yeux s’appesantissent ;Il n’en faut point douter, vous aimez, vous brûlez ;Vous périssez d’un mal que vous dissimulez :La charmante Aricie a-t-elle su vous plaire ?HIPPOLYTEThéramène, je pars, et vais chercher mon père.THÉRAMÈNENe verrez-vous point Phèdre avant que de partir,Seigneur ?HIPPOLYTE C’est mon dessein : tu peux l’en avertir.Voyons-la, puisque ainsi mon devoir me l’ordonne.Mais quel nouveau malheur trouble sa chère Œnone ?Scène 2Hippolyte, Œnone, Théramène.ENONŒHélas ! seigneur, quel trouble au mien peut être égal ?La reine touche presque à son terme fatal.En vain à l’observer jour et nuit je m’attache ;Elle meurt dans mes bras d’un mal qu’elle me cache.Un désordre éternel règne dans son esprit ;Son chagrin inquiet l’arrache de son lit :Elle veut voir le jour : et sa douleur profondeM’ordonne toutefois d’écarter tout le monde...Elle vient.HIPPOLYTE Il suffit : je la laisse en ces lieux,Et ne lui montre point un visage odieux.Scène 3Phèdre, Œnone.PHÈDREN’allons point plus avant, demeurons, chère Œnone.Je ne me soutiens plus ; ma force m’abandonne :Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi,Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.Hélas !(Elle s’assied.)ENONŒ Dieux tout-puissants, que nos pleurs vous apaisent !PHÈDREQue ces vains ornements, que ces voiles me pèsent !Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux ?Tout m’afflige, et me nuit, et conspire à me nuire.ENONŒComme on voit tous ses vœux l’un l’autre se détruire !Vous-même, condamnant vos injustes desseins,Tantôt à vous parer vous excitiez nos mains ;
Vous-même, rappelant votre force première,Vous vouliez vous montrer et revoir la lumière,Vous la voyez, madame ; et, prête à vous cacher,Vous haïssez le jour que vous veniez chercher !PHÈDRENoble et brillant auteur d’une triste famille,Toi dont ma mère osait se vanter d’être fille,Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,Soleil, je te viens voir pour la dernière fois !ENONŒQuoi ! vous ne perdrez point cette cruelle envie ?Vous verrai-je toujours, renonçant à la vie,Faire de votre mort les funestes apprêts ?PHÈDREDieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !Quand pourrai-je, au travers d’une noble poussière,Suivre de l’œil un char fuyant dans la carrière ?ENONŒQuoi, madame ?PHÈDRE Insensée ! où suis-je ? et qu’ai-je dit ?Où laissé-je égarer mes vœux et mon esprit ?Je l’ai perdu : les dieux m’en ont ravi l’usage.Œnone, la rougeur me couvre le visage :Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs ;Et mes yeux malgré moi se remplissent de pleurs.ENONŒAh ! s’il vous faut rougir, rougissez d’un silenceQui de vos maux encore aigrit la violence.Rebelle à tous nos soins, sourde à tous nos discours,Voulez-vous, sans pitié, laisser finir vos jours ?Quelle fureur les borne au milieu de leur course ?Quel charme ou quel poison en a tari la source ?Les ombres par trois fois ont obscurci les cieuxDepuis que le sommeil n’est entré dans vos yeux ;Et le jour a trois fois chassé la nuit obscureDepuis que votre corps languit sans nourriture.À quel affreux dessein vous laissez-vous tenter ?De quel droit sur vous-même osez-vous attenter ?Vous offensez les dieux auteurs de votre vie ;Vous trahissez l’époux à qui la foi vous lie ;Vous trahissez enfin vos enfants malheureux,Que vous précipitez sous un joug rigoureux.Songez qu’un même jour leur ravira leur mèreEt rendra l’espérance au fils de l’étrangère,À ce fier ennemi de vous, de votre sang,Ce fils qu’une Amazone a porté dans son flanc,Cet Hippolyte…PHÈDRE Ah ! dieux !ENONŒ Ce reproche vous touche ?PHÈDREMalheureuse ! quel nom est sorti de ta bouche !ENONŒ
Eh bien ! votre colère éclate avec raison :J’aime à vous voir frémir à ce funeste nom.Vivez donc : que l’amour, le devoir, vous excite.Vivez ; ne souffrez pas que le fils d’une ScytheAccablant vos enfants d’un empire odieux,Commande au plus beau sang de la Grèce et des dieux.Mais ne différez point ; chaque moment vous tue :Réparez promptement votre force abattue,Tandis que de vos jours prêts à se consumerLe flambeau dure encore et peut se rallumer.PHÈDREJ’en ai trop prolongé la coupable durée.ENONŒQuoi ! de quelques remords êtes-vous déchirée ?Quel crime a pu produire un trouble si pressant ?Vos mains n’ont point trempé dans le sang innocent ?PHÈDREGrâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles.Plût aux dieux que mon cœur fût innocent comme elles !ENONŒEt quel affreux projet avez-vous enfantéDont votre cœur encor doive être épouvanté ?PHÈDREJe t’en ai dit assez : épargne-moi le reste.Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste.ENONŒMourez donc, et gardez un silence inhumain ;Mais pour fermer vos yeux cherchez une autre main.Quoiqu’il vous reste à peine une faible lumière,Mon âme chez les morts descendra la première ;Mille chemins ouverts y conduisent toujours,Et ma juste douleur choisira les plus courts.Cruelle ! quand ma foi vous a-t-elle déçue ?Songez-vous qu’en naissant mes bras vous ont reçue ?Mon pays, mes enfants, pour vous j’ai tout quitté.Réserviez-vous ce prix à ma fidélité ?PHÈDREQuel fruit espères-tu de tant de violence ?Tu frémiras d’horreur si je romps le silence.ENONŒEt que me direz-vous qui ne cède, grands dieux !À l’horreur de vous voir expirer à mes yeux ?PHÈDREQuand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable,Je n’en mourrai pas moins : j’en mourrai plus coupable.ENONŒMadame, au nom des pleurs que pour vous j’ai versés,Par vos faibles genoux que je tiens embrassés,Délivrez mon esprit de ce funeste doute.PHÈDRETu le veux ? lève-toi.
ENONŒ Parlez : je vous écoute.PHÈDRECiel ! que lui vais-je dire ? et par où commencer ?ENONŒPar de vaines frayeurs cessez de m’offenser.PHÈDREÔ haine de Vénus ! Ô fatale colère !Dans quels égarements l’amour jeta ma mère !ENONŒOublions-les, madame ; et qu’à tout l’avenirUn silence éternel cache ce souvenir.PHÈDREAriane, ma sœur ! de quel amour blesséeVous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !ENONŒQue faites-vous, madame ? et quel mortel ennuiContre tout votre sang vous anime aujourd’hui ?PHÈDREPuisque Vénus le veut, de ce sang déplorableJe péris la dernière et la plus misérable.ENONŒAimez-vous ?PHÈDRE De l’amour j’ai toutes les fureurs.ENONŒPour qui ?PHÈDRE Tu vas ouïr le comble des horreurs…J’aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.J’aime…ENONŒ Qui ?PHÈDRE Tu connais ce fils de l’Amazone,Ce prince si longtemps par moi-même opprimé…ENONŒHippolyte ? Grands dieux !PHÈDRE C’est toi qui l’as nommé !ENONŒJuste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace !Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !Voyage infortuné ! Rivage malheureux,
Fallait-il approcher de tes bords dangereux !PHÈDREMon mal vient de plus loin. À peine au fils d’ÉgéeSous les lois de l’hymen je m’étais engagée,Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ;Athènes me montra mon superbe ennemi :Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;Je sentis tout mon corps et transir et brûler :Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables !Par des vœux assidus je crus les détourner :Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;De victimes moi-même à toute heure entourée,Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :D’un incurable amour remèdes impuissants !En vain sur les autels ma main brûlait l’encens !Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,Même au pied des autels que je faisais fumer,J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.Je l’évitais partout. Ô comble de misère !Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.Contre moi-même enfin j’osai me révolter :J’excitai mon courage à le persécuter.Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;Je pressai son exil ; et mes cris éternelsL’arrachèrent du sein et des bras paternels.Je respirais, Œnone ; et, depuis son absence,Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence :Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,De son fatal hymen je cultivais les fruits.Vaines précautions ! Cruelle destinée !Par mon époux lui-même à Trézène amenée,J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.J’ai conçu pour mon crime une juste terreur ;J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur ;Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,Et dérober au jour une flamme si noire :Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats :Je t’ai tout avoué ; je ne m’en repens pas.Pourvu que, de ma mort respectant les approches,Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches,Et que tes vains secours cessent de rappelerUn reste de chaleur tout prêt à s’exhaler.Scène 4Phèdre, Œnone, Panope.PANOPEJe voudrais vous cacher une triste nouvelle,Madame : mais il faut que je vous la révèle.La mort vous a ravi votre invincible époux ;Et ce malheur n’est plus ignoré que de vous.ENONŒPanope, que dis-tu ?PANOPE Que la reine abuséeEn vain demande au ciel le retour de Thésée ;
Et que, par des vaisseaux arrivés dans le port,Hippolyte son fils vient d’apprendre sa mort.PHÈDRECiel !PANOPE Pour le choix d’un maître Athènes se partage :Au prince votre fils l’un donne son suffrage,Madame ; et de l’État, l’autre oubliant les loisAu fils de l’étrangère ose donner sa voix.On dit même qu’au trône une brigue insolenteVeut placer Aricie et le sang de Pallante.J’ai cru de ce péril vous devoir avertir.Déjà même Hippolyte est tout prêt à partir ;Et l’on craint, s’il paraît dans ce nouvel orage,Qu’il n’entraîne après lui tout un peuple volage.ENONŒPanope, c’est assez : la reine qui t’entendNe négligera point cet avis important.Scène 5Phèdre, Œnone.ENONŒMadame, je cessais de vous presser de vivre ;Déjà même au tombeau je songeais à vous suivre ;Pour vous en détourner je n’avais plus de voix :Mais ce nouveau malheur vous prescrit d’autres lois.Votre fortune change et prend une autre face :Le roi n’est plus, madame ; il faut prendre sa place.Sa mort vous laisse un fils à qui vous vous devez ;Esclave s’il vous perd, et roi si vous vivez.Sur qui, dans son malheur, voulez-vous qu’il s’appuie ?Ses larmes n’auront plus de main qui les essuie ;Et ses cris innocents, portés jusques aux dieux,Iront contre sa mère irriter ses aïeux.Vivez ; vous n’avez plus de reproche à vous faire :Votre flamme devient une flamme ordinaire ;Thésée en expirant vient de rompre les nœudsQui faisaient tout le crime et l’horreur de vos feux.Hippolyte pour vous devient moins redoutable ;Et vous pouvez le voir sans vous rendre coupable.Peut-être, convaincu de votre aversion,Il va donner un chef à la sédition :Détrompez son erreur, fléchissez son courage.Roi de ces bords heureux, Trézène est son partage ;Mais il sait que les lois donnent à votre filsLes superbes remparts que Minerve a bâtis.Vous avez l’un et l’autre une juste ennemie :Unissez-vous tous deux pour combattre Aricie.PHÈDREEh bien ! à tes conseils je me laisse entraîner.Vivons, si vers la vie on peut me ramener,Et si l’amour d’un fils, en ce moment funeste,De mes faibles esprits peut ranimer le reste.ACTE secondScène premièreAricie, Ismène.ARICIEHippolyte demande à me voir en ce lieu ?
Hippolyte me cherche, et veut me dire adieu ?Ismène, dis-tu vrai ? N’es-tu point abusée ?ISMÈNEC’est le premier effet de la mort de Thésée.Préparez-vous, madame, à voir de tous côtésVoler vers vous les cœurs par Thésée écartés.Aricie, à la fin, de son sort est maîtresse,Et bientôt à ses pieds verra toute la Grèce.ARICIECe n’est donc point, Ismène, un bruit mal affermi ?Je cesse d’être esclave, et n’ai plus d’ennemi ?ISMÈNENon, madame, les dieux ne vous sont plus contraires ;Et Thésée a rejoint les mânes de vos frères.ARICIEDit-on quelle aventure a terminé ses jours ?ISMÈNEOn sème de sa mort d’incroyables discours.On dit que, ravisseur d’une amante nouvelle,Les flots ont englouti cet époux infidèle.On dit même, et ce bruit est partout répandu,Qu’avec Pirithoüs aux enfers descendu,Il a vu le Cocyte et les rivages sombres,Et s’est montré vivant aux infernales ombres ;Mais qu’il n’a pu sortir de ce triste séjour,Et repasser les bords qu’on passe sans retour.ARICIECroirai-je qu’un mortel, avant sa dernière heure,Peut pénétrer des morts la profonde demeure ?Quel charme l’attirait sur ces bords redoutés ?ISMÈNEThésée est mort, madame, et vous seule en doutez :Athènes en gémit ; Trézène en est instruite,Et déjà pour son roi reconnait Hippolyte ;Phèdre, dans ce palais, tremblante pour son fils,De ses amis troublés demande les avis.ARICIEEt tu crois que, pour moi plus humain que son père,Hippolyte rendra ma chaîne plus légère ;Qu’il plaindra mes malheurs ?ISMÈNE Madame, je le croi.ARICIEL’insensible Hippolyte est-il connu de toi ?Sur quel frivole espoir penses-tu qu’il me plaigne,Et respecte en moi seule un sexe qu’il dédaigne ?Tu vois depuis quel temps il évite nos pas,Et cherche tous les lieux où nous ne sommes pas.ISMÈNEJe sais de ses froideurs tout ce que l’on récite ;Mais j’ai vu près de vous ce superbe Hippolyte ;Et même, en le voyant, le bruit de sa fierté
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