Le Dénouement imprévu
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Le Dénouement imprévuMarivauxComédie en un acte et en prose représentée pour la premièrefois par les Comédiens-Français le 2 décembre 1724Sommaire1 Acteurs2 Scène première3 Scène II4 Scène III5 Scène IV6 Scène V7 Scène VI8 Scène VII9 Scène VIII10 Scène IX11 Scène X12 Scène XI13 Scène XIIActeursMONSIEUR ARGANTE.MADEMOISELLE ARGANTE, fille de Monsieur Argante.DORANTE, amant de Mademoiselle Argante.ÉRASTE, amant de Mademoiselle Argante.MAÎTRE PIERRE, fermier de Monsieur Argante.LISETTE, suivante de Mademoiselle Argante.CRISPIN, valet d'Éraste.Un domestique de Monsieur Argante.La scène est dans la maison de campagne de M. Argante, aux environs de ParisScène premièreDORANTE, MAÎTRE PIERREDORANTE, d'un air désolé.Je suis au désespoir, mon pauvre maître Pierre : je ne sais que devenir.MAÎTRE PIERREEh ! marguenne, arrêtez-vous donc ! Voute lamentation me corrompt toute ma ballehumeur.DORANTEQue veux-tu ? J'aime Mademoiselle Argante plus qu'on n'a jamais aimé : je me voisà la veille de la perdre, et tu ne veux pas que je m'afflige ?MAÎTRE PIERREEn sait bian qu'il faut parfois s'affliger ; mais faut y aller pus bellement que ça ; carmoi, j'aime itou Lisette, voyez-vous ! en-dit que stila qui veut épouser MademoiselleArgante a un valet ; si le maître épouse notre demoiselle ; il l'emmènera à sonchâtiau ; Lisette suivra : la velà emballée pour le voyage, et c'est autant de pardupour moi que ce ballot-là ; ce guiable de valet en fera son ...

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Le Dénouement imprévuMarivauxComédie en un acte et en prose représentée pour la premièrefois par les Comédiens-Français le 2 décembre 1724Sommaire1 Acteurs32  SSccèènnee  IIpremière4 Scène III5 Scène IV6 Scène V7 Scène VI8 Scène VII91 0S Sccèènen eV IIIXI11 Scène X1132  SSccèènnee  XXIIIActeursMONSIEUR ARGANTE.MADEMOISELLE ARGANTE, fille de Monsieur Argante.DORANTE, amant de Mademoiselle Argante.ÉRASTE, amant de Mademoiselle Argante.MAÎTRE PIERRE, fermier de Monsieur Argante.LISETTE, suivante de Mademoiselle Argante.CRISPIN, valet d'Éraste.Un domestique de Monsieur Argante.La scène est dans la maison de campagne de M. Argante, aux environs de ParisScène premièreDORANTE, MAÎTRE PIERREDORANTE, d'un air désolé.Je suis au désespoir, mon pauvre maître Pierre : je ne sais que devenir.MAÎTRE PIERREEh ! marguenne, arrêtez-vous donc ! Voute lamentation me corrompt toute ma ballehumeur.DORANTEQue veux-tu ? J'aime Mademoiselle Argante plus qu'on n'a jamais aimé : je me voisà la veille de la perdre, et tu ne veux pas que je m'afflige ?MAÎTRE PIERREEn sait bian qu'il faut parfois s'affliger ; mais faut y aller pus bellement que ça ; carmoi, j'aime itou Lisette, voyez-vous ! en-dit que stila qui veut épouser MademoiselleArgante a un valet ; si le maître épouse notre demoiselle ; il l'emmènera à son
châtiau ; Lisette suivra : la velà emballée pour le voyage, et c'est autant de pardupour moi que ce ballot-là ; ce guiable de valet en fera son proufit. Je vois tout çafixiblement clair : stanpendant, je me tians l'esprit farme, je bataille contre lechagrin ; je me dis que tout ça n'est rian, que ça n'arrivera pas ; mais, morgué !quand je vous entends geindre, ça me gâte le courage. Je me dis : Piarre, tu neprends point de souci, mon ami, et c'est que tu t'enjôles ; si tu faisais bian, tu enprenrais : j'en prends donc. Tenez ; tout en parlant de chouse et d'autre, velà-t-il pasqu'il me prend envie de pleurer ! et c'est vous qui en êtes cause.DORANTEHélas ! mon enfant, rien n'est plus sûr que notre malheur : l'époux qu'on destine àMademoiselle Argante doit arriver aujourd'hui, et c'en est fait ; Monsieur Argante,pour marier sa fille, ne voudra pas seulement attendre qu'il soit de retour à Paris.MAÎTRE PIERREC'en est donc fait ? queu piquié que, noute vie, Monsieur Dorante ! Mais pourquoiest-ce que Monsieur Argante, noute maître ; ne veut pas vous bailler sa fille ? Vousavez une bonne métairie ici ; vous êtes un joli garçon, une bonne pâte d'homme,d'une belle et bonne profession ; vous plaidez pour le monde. Il est bian vrai quoun'êtes pas chanceux, vous pardez vos causes ; mais que faire à ça ? Un autre lesgagne ; tant pis pour ceti-ci, tant mieux pour ceti-là ; tant pis et tant mieux font allerle monde : à cause de ça faut-il refuser sa fille aux gens ? Est-ce que le futur estplus riche que vous ?DORANTENon : mais il est gentilhomme, et je ne le suis pas.MAÎTRE PIERREPargué, je vous trouve pourtant fort gentil, moi.DORANTETu ne m'entends point : je veux dire qu'il n'y a point de noblesse dans ma famille.MAÎTRE PIERREEh bien ! boutez-y-en ; ça est-il si char pour s'en faire faute ?DORANTECe n'est point cela ; il faut être d'un sang noble.MAÎTRE PIERRED'un sang noble ? Queu guiable d'invention d'avoir fait comme ça du sang de deuxfaçons, pendant qu'il viant du même ruissiau !DORANTELaissons cet article-là ; j'ai besoin de toi. Je n'oserais voir Mademoiselle Arganteaussi souvent que je le voudrais, et tu me feras plaisir de la prier, de ma part, deconsentir à l'expédient que je lui ai donné.MAÎTRE PIERREOh ! vartigué, laissez-moi faire ; je parlerons au père itou : il n'a qu'à venir, avec sonsang noble, comme je vous le rembarrerai ! Je nous traitons tous deux sansçarimonie ; je sis son farmier, et en cette qualité, j'ons le parvilège de l'assister demes avis ; je sis accoutumé à ça : il me conte ses affaires, je le gouvarne, je leréprimande : il est bavard et têtu ; moi je suis roide et prudent ; je li dis : il faut queça soit, le bon sens le veut ; là-dessus il se démène, je hoche la tête, il se fâche, jem'emporte, il me repart, je li repars : tais-toi ! Non, morgué ! Morgué, si ! Morgué,non ! et pis il jure ; et pis je li rends ; ça li établit une bonne opinion de mon çarviau,qui l'empêche d'aller à l'encontre de mes volontés : et il a raison de m'obéir ; car envérité, je sis fort judicieux de mon naturel, sans que ça paraisse : ainsi je varrons cequ'il en sera.DORANTE
Si tu me rends service là-dedans, maître Pierre, et que Mademoiselle Arganten'épouse pas l'homme en question, je te promets d'honneur cinquante pistoles en temariant avec Lisette.MAÎTRE PIERREMonsieur Dorante, vous avez du sang noble, c'est moi qui vous le dis ; ça se connaîtaux pistoles que vous me pourmettez, et ça se prouvera tout à fait quand je lesrecevrons.DORANTELa preuve t'en est sûre ; mais n'oublie pas de presser Mademoiselle Argante sur ceque je t'ai dit.MAÎTRE PIERRETatiguienne ! dormez en repos et n'en pardez pas un coup de dent : si allebronchait, je li revaudrais. Sa bonne femme de mère, alle est défunte, et cette fille-ciqu'alle a eu, alle est par conséquent la fille de Monsieur Argante, n'est-ce pas ?DORANTESans doute.MAÎTRE PIERRESans doute. Je le veux bian itou, je n'empêche rian, je sis de tout bon accord ; maissi je voulions souffler une petite bredouille dans l'oreille du papa, il varrait bien queMademoiselle Argante est la fille de sa mère ; Mais velà. tout.DORANTECela n'aboutit à rien ; songe seulement à ce que je te promets.MAÎTRE PIERREOui, le songerons toujours à cinquante pistoles ; mais touchez-moi un petit mot del'expédient quou dites.DORANTEIl est bizarre, je l'avoue ; mais c'est l'unique ressource qui nous reste. Je voudraisdonc que, pour dégoûter le futur, elle affectât une sorte de maladie, undérangement, comme qui dirait des vapeurs.MAÎTRE PIERREDites à la franquette quou voudriais qu'alle fît la folle. Velà bien de quoi ! Ça necoûte rian aux femmes : par bonheur alles ont un esprit d'un merveilleux acabit pourça, et Mademoiselle Argante nous fournira de la folie tant que j'en voudrons ; sonçarviau la met à même. Mais velà son père : ôtez-vous de par ici ; tantôt je vousrendrons réponse.Scène IIMONSIEUR ARGANTE, MAÎTRE PIERREMONSIEUR ARGANTEAvec qui étais-tu là ?MAÎTRE PIERREEh voire, j'étais avec queuqu'un.MONSIEUR ARGANTEEh ! qui est-il ce quelqu'un ?
MAÎTRE PIERREAga donc ! Il faut bian que ce soit une parsonne.MONSIEUR ARGANTEMais je veux savoir qui c'était, car je me doute que c'est Dorante.MAÎTRE PIERREOh bian ! cette doutance-là, prenez que c'est une çartitude, vous n'y pardrez rian.,MONSIEUR ARGANTEQue vient-il faire ici ?MAÎTRE PIERREM'y voir.MONSIEUR ARGANTEJe lui ai pourtant dit qu'il me ferait plaisir de ne plus venir chez moi.MAÎTRE PIERREEt si ce n'est pas son envie de vous faire plaisir, est-ce que les volontés ne sontpas libres ?MONSIEUR ARGANTENon, elles ne le sont pas ; car je lui défendrai d'y venir davantage.MAÎTRE PIERREBon, je li défendrai ! Il vous dira qu'il ne dépend de parsonne.MONSIEUR ARGANTEMais vous dépendez de moi, vous autres, et je vous défends de le voir et de luiparler.MAÎTRE PIERREQuand je serons aveugles et muets, je ferons voute commission, Monsieur Argante.MONSIEUR ARGANTEIl faut toujours que tu raisonnes.MAÎTRE PIERREQue voulez-vous ? J'ons une langue, et je m'en sars ; tant que je l'aurai, je m'ensarvirai ; vous me chicanez avec la voute, peut-être que je vous lantarne avec lamienne.MONSIEUR ARGANTEAh ! je vous chicane ! c'est-à-dire, maître Pierre, que vous n'êtes pas content de ceque j'ai congédié Dorante ?MAÎTRE PIERREJe n'approuve rian que de bon, moi.MONSIEUR ARGANTEJe vous dis ! il faudra que je dispose de ma fille à sa fantaisie !MAÎTRE PIERREAcoutez, peut-être que la raison le voudrait ; mais voute avis est bian pusraisonnable que le sian.MONSIEUR ARGANTE
Comment donc ! est-ce que je ne la marie pas à un honnête, homme ?MAÎTRE PIERREBon ! le velà bian avancé d'être honnête homme ! Il n'y a que les couquins qui nesont pas honnêtes gens.MONSIEUR ARGANTETais-toi, je ne suis pas raisonnable de t'écouter ; laisse-moi en repos, et va-t'en direaux musiciens que j'ai fait venir de Paris qu'ils se tiennent prêts pour ce soir.MAÎTRE PIERREQu'est-ce quou en voulez faire, de leur musicle ?MONSIEUR ARGANTECe qu'il me plaît.MAÎTRE PIERREEst-ce quou voulez danser la bourrée avec ces violoneux ? Ça n'est pas parmis àun maître de maison.MONSIEUR ARGANTEAh ! tu m'impatientes.MAÎTRE PIERREParguenne, et vous itou : tenez, j'use trop mon esprit après vous. Par la mardi !voute farme, et tous les animaux qui en dépendont, me baillont moins de peine àgouvarner que vous tout seul ; par ainsi, prenez un autre farmier : je varrons un peuce qu'il en sera, quand vous ne serez pus à ma charge.MONSIEUR ARGANTEFort bien ! me quitter tout d'un coup dans l'embarras où je suis, et le jour même queje marie ma fille ; vous prenez bien votre temps, après toutes les bontés que j'aieues pour vous !MAÎTRE PIERREVoirement, des bontés ! Si je comptions ensemble, vous m'en deveriez pus dedeux douzaines : mais gardez-les, et grand bian vous fasse.MONSIEUR ARGANTEMais enfin, pourquoi me quitter ?MAÎTRE PIERREC'est que mes bonnes qualités sont entarrées avec vous ; c'est qu'ou voulez mariervoute fille à voute tête, en lieu de la marier à la mienne ; et drès qu'ou ne voulez pasme complaire en ça, drès que ma raison ne vous sart de rian, et qu'ou prétendezêtre le maître par-dessus moi qui sis prudent, drès qu'ou allez toujours voute cheminmaugré que je vous retienne par la bride, je pards mon temps cheux vous.MONSIEUR ARGANTEMe retenir par la bride ! belle façon de s'exprimer !MAÎTRE PIERREC'est une petite simulitude qui viant fort à propos.MONSIEUR ARGANTEC'est ma fille qui vous fait parler, je le vois bien ; mais il n'en sera pourtant que ceque j'ai résolu ; elle épousera aujourd'hui celui que j'attends. Je lui fais un grand tort,en vérité, de lui donner un homme pour le moins aussi riche que ce fainéant deDorante, et qui avec cela est gentilhomme !MAÎTRE PIERRE
Ah ! nous y velà donc, à la gentilhommerie ! Eh fi, noute Monsieur ! ça est vilain àvoute âge de bailler comme ça dans la bagatelle ; en vous amuse comme un enfantavec un joujou. Jamais je n'endurerai ça ; voyez-vous, Monsieur Dorante estamoureux de voute fille, alle est amoureuse de li ; il faut qu'ils voyont le bout de ça.Hier encore, sous le barciau de noute jardin je les entendais. (À part.) Sarvons-lid'une bourde. (Haut.) Ma mie, ce li disait-il, voute père veut donc vous bailler unautre homme que moi ? Eh ! vraiment oui ! ce faisait-elle. Eh ! que dites-vous deça ? ce faisait-il. Eh ! qu'en pourrais-je dire ? ce faisait-elle. Mais si vous m'aimezbian, vous lui dirais quou ne le voulez pas. Hélas ! mon grand ami, je lui ai tant dit !Mais bref, à la parfin que ferez-vous ? Eh ! je n'en sais rian. J'en mourrai, ce dit-il. Etmoi itou, ce dit-elle… Quoi, je mourrons donc ? Voute père est bian tarrible… Quevoulez-vous ? comme on me l'a baillé, je l'ai prins…MONSIEUR ARGANTE, en colère et s'en allant.L'impertinente, avec son amant ! et toi encore plus impertinent de me rapporter depareils discours ; mais mon gendre va venir, et nous verrons qui sera le maître.Scène IIIMADEMOISELLE ARGANTE, LISETTE, MAÎTRE PIERREMADEMOISELLE ARGANTEIl me semble que mon père sort fâché d'avec toi. De quoi parliez-vous ?MAÎTRE PIERREDe voute noce avec le fils de ce gentilhomme.LISETTEEh bien ?MAÎTRE PIERREEh bian ! je ne sais qui l'a enhardi ; mais il n'est pas si timide que de coutume avecmoi : il m'a bravement injurié et baillé le sobriquet d'impartinent, et m'a enchargé dedire à Mademoiselle Argante qu'alle est une sotte ; et pisque la velà, je li fais macommission.LISETTE, à Mademoiselle Argante.Là-dessus, à quoi vous déterminez-vous ?MADEMOISELLE ARGANTEJe ne sais ; mais je suis au désespoir de me voir en danger d'épouser un hommeque je n'ai jamais vu ; et seulement parce qu'il est le fils de l'ami de mon père.MAÎTRE PIERRETenez, tenez, il n'y a point de détarmination à ça. J'avons arrêté, Monsieur Doranteet moi, ce qu'ou devez faire, et velà cen que c'est. Il faut qu'ou deveniais folle ; çaest conclu entre nous ; il n'y a pus à dire non : faut parachever. Allons, avancez-nous, en attendant, queuque petit échantillon d'extravagance ont voir comment çafait : en dit que les vapeurs sont bonnes pour ça, montrez-m'en une.MADEMOISELLE ARGANTEOh ! laisse-moi, je n'ai point envie de rire.LISETTEVa, ne t'embarrasse pas ; nous autres femmes, pour faire les folles avons-nousbesoin d'étudier notre rôle ?MAÎTRE PIERRE
Non ; je savons bian vos facultés ; mais n'amporte, il s'agit d'avoir l'esprit pus tornéque de coutume. Lisette, sarmonne-la un peu là-dessus, et songe toujours à nouteamiquié : ça ne fait que croître et embellir cheux moi, quand je te regarde.LISETTEJe t'en fais mes compliments.MAÎTRE PIERREAdieu ; noute maître est sourti, je pense. Je vas revenir, si je puis, avec MonsieurDorante.Scène IVMADEMOISELLE ARGANTE, LISETTELISETTECà, faites vos réflexions. Consentez-vous à ce qu'on vous propose ?MADEMOISELLE ARGANTEJe ne saurais m'y résoudre. Jouer un rôle de folle ! Cela est bien laid.LISETTEEh, mort de ma vie ! trouvez-moi quelqu'un qui ne joue pas ce rôle-là dans lemonde ? Qu'est-ce que c'est que la société entre nous autres honnêtes gens, s'ilvous plaît ? N'est-ce pas une assemblée de fous paisibles qui rient de se voir faire,et qui pourtant s'accordent ? Eh bien ! mettez-vous pour quelques instants de lacoterie des fous revêches, et nous dirons nous autres : la tête lui a tourné.MADEMOISELLE ARGANTETu as beau dire ; cela me répugne.LISETTEJe crois qu'effectivement vous avez raison. Il vaut mieux que vous épousiez ce jeunerustre que nous attendons. Que de repos vous allez avoir à la campagne ! Plus detoilette, plus de miroir, plus de boîte à mouches ; cela ne rapporte rien. Ce n'est pascomme à Paris, où il faut tous les matins recommencer son visage, et le travaillersur nouveaux frais. C'est un embarras que tout cela ; et on ne l'a pas à lacampagne : il n'y a là que de bons gros cœurs, qui sont francs, sans façon, et debon appétit. La manière les prendre est très aisée ; une face large, massive, en faitl'affaire ; et en moins d'un an vous aurez toutes ces mignardises convenables.MADEMOISELLE ARGANTEVoilà de fort jolies mignardises !LISETTEJ'oubliais le meilleur. Vous aurez parfois des galants houbereaux qui viendront vousrendre hommage, qui boiront du vin pur à votre santé ; mais avec des contorsions !… Vous irez vous promener avec eux, la petite canne à la main, le manteau trousséde peur des crottes : ils vous aideront à sauter le fossé, vous diront que vous êtesadroite, remplie de charmes et d'esprit, avec tout plein d'équivoques spirituelles,qui brocheront sur le tout. Qu'en dites-vous ? Prenez votre parti, sinon jerecommence, et je vous nomme tous les animaux de votre ferme, jusqu'à votre mari.MADEMOISELLE ARGANTEAh ! le vilain homme !LISETTEAllons, vite, choisissez de quel genre de folie vous voulez le dégoûter ; il va venir,comme vous savez, et vous aimez Dorante, sans doute ?
MADEMOISELLE ARGANTEMais oui, je l'aime ; car je ne connais que lui depuis quatre ans.LISETTEMais oui, je l'aime ! Qu'est-ce que c'est qu'un amour qui commence par mais, et quifinit par car ?MADEMOISELLE ARGANTEJe m'explique comme je sens. Il y a si longtemps que nous nous voyons ; c'esttoujours la même personne, les mêmes sentiments : cela ne pique pas beaucoup ;mais au bout du compte, c'est un bon garçon ; je l'aime quelquefois plus,quelquefois moins, quelquefois point du tout ; c'est suivant : quand il y a longtempsque je ne l'ai vu, je le trouve bien aimable ; quand je le vois tous les jours, il m'ennuieun peu, mais cela se passe, et je m'y accoutume : s'il y avait un peu plus demouvement dans mon cœur, cela ne gâterait rien pourtant.LISETTEMais n'y a-t-il pas un peu d'inconstance là-dedans ?MADEMOISELLE ARGANTEPeut-être bien ; mais on ne met rien dans son cœur, on y prend ce qu'on y trouve.LISETTEChemin faisant je rencontre de certains visages qui me remuent, et celui de Pierrotne me remue point ; n'êtes-vous pas comme moi.MADEMOISELLE ARGANTEVoilà où j'en suis. Il y a des physionomies qui font que Dorante me devient siinsipide ! Et malheureusement, dans ce moment-là, il a la fureur de m'aimer plusqu'à l'ordinaire : moi, je voudrais qu'il ne me dît rien ; mais les hommes savent-ils segouverner avec nous ? Ils sont si maladroits ! Ils viennent quelquefois vous accablerd'un tas de sentiments langoureux qui ne font que vous affadir le cœur ; on n'oseraitleur dire : Allez-vous-en, laissez-moi en repos, vous vous perdez. Ce serait mêmeune charité de leur dire cela ; mais point, il faut les écouter, n'en pouvoir plus,étouffer, mourir d'ennui et de satiété pour eux ; le beau profit qu'ils font là ! Qu'est-ceque c'est qu'un homme toujours tendre, toujours disant : je vous adore ; toujoursvous regardant avec passion ; toujours exigeant que vous le regardiez de même ?Le moyen de soutenir cela ? Peut-on sans cesse dire : je vous aime ? On en aquelquefois envie, et on le dit ; après cela l'envie se passe, il faut attendre qu'ellerevienne.LISETTEMais enfin, épouserez-vous le campagnard ?MADEMOISELLE ARGANTENon, je ne saurais souffrir la campagne, et j'aime mieux Dorante, qui ne quitterajamais Paris. Après tout, il ne m'ennuie pas toujours, et je serais fâchée de leperdre.LISETTEJe vois Pierrot qui revient bien intrigué.Scène VMADEMOISELLE ARGANTE, LISETTE, MAÎTRE PIERRELISETTEOù est Dorante ?
MAÎTRE PIERREHélas ! il est en chemin pour venir ici ; et moi, Mademoiselle Argante, je vians pourvous dire que ce garçon-là n'a pas encore trois jours à vivre.MADEMOISELLE ARGANTEComment donc ?MAÎTRE PIERREOui, et s'il m'en veut croire, il fera son testament drès ce soir ; car s'il allait trapassersans le dire au tabellion, j'aimerais autant qu'il ne mourît pas : ce ne serait pas lapeine, et ça me fâcherait trop ; en lieu que, s'il me laissait queuque chouse, ça feraitque je me lamenterais plus agriablement sur li.LISETTEDis donc ce qui lui est arrivé.MADEMOISELLE ARGANTEEst-il malade, empoisonné, blessé ? Parle.MAÎTRE PIERREAttendez que je reprenne vigueur ; car moi qui veux hériter de li, je sis si découragé,si déconfit, que je sis d'avis itou de coucher mes darnières volontés sur del'écriture, afin de laisser mes nippes à Lisette.LISETTEAllons, allons, nigaud, avec ton testament et tes nippes : il n'y a rien que je haïssetant que des dernières volontés.MADEMOISELLE ARGANTEEh ! ne l'interromps pas. J'attends qu'il nous dise l'état où est Dorante.MAÎTRE PIERREAh ! le pauvre homme ! la diète le pardra.LISETTEEh ! depuis quand fait-il diète ?MAÎTRE PIERREDe ce matin.LISETTEPeste du benêt !MAÎTRE PIERRETenez, le velà. Voyez queu mine il a ! Comme il est, blafard !Scène VIMADEMOISELLE ARGANTE, DORANTE, LISETTE, MAÎTRE PIERREDORANTE, d'un air affligé.Je suis au désespoir, Madame ; votre fermier m'a fait un récit qui m'a fait trembler. Ildit que vous refusez de me conserver votre main, et que vous ne voulez pas en venirà la seule ressource qui nous reste.MADEMOISELLE ARGANTE
Eh bien ! remettez-vous, j'extravaguerai ; la comédie va commencer ; êtes-vouscontent ?MAÎTRE PIERREAlle extravaguera, Monsieur Dorante, alle extravaguera. Queu plaisir ! Je varrons lacomédie ; alle fera le Poulichinelle, queu contentement ! Je rirons comme des fous.Il faut extravaguer tretous au moins.DORANTEVous me rendez la vie, Madame ; mais de grâce l'amour seul a-t-il part à ce quevous allez faire ?MADEMOISELLE ARGANTEEh ! ne savez-vous pas bien que je vous aime, quoique j'oublie quelquefois de vousle dire ?DORANTEEh ! pourquoi l'oubliez-vous ?MADEMOISELLE ARGANTEC'est que cela est fini ; je n'y songe plus.LISETTEEh ! oui, cela va sans dire : retirons-nous ; je crois que votre père est revenu, vouspouvez l'attendre : mais il n'est pas à propos qu'il nous voie, nous autres.DORANTEAdieu, Madame ; songez que mon bonheur dépend de vous.MADEMOISELLE ARGANTEJ'y penserai, j'y penserai ; allez-vous-en. (Seule.) Nous verrons un peu ce que diramon père, quand il me verra folle. Je crois qu'il va faire de belles exclamations !Heureusement, sur le sujet dont il s'agit, il m'a déjà vue dans quelques écarts, et jecrois que la chose ira bien ; car il s'agit d'une malice, et je suis femme : c'est dequoi réussir. Le voilà, prenons une contenance qui prépare les voies.Scène VIIMONSIEUR ARGANTE, MADEMOISELLE ARGANTE, battant la mesure de son.deipMONSIEUR ARGANTEQue faites-vous là, Mademoiselle ?MADEMOISELLE ARGANTE.neiRMONSIEUR ARGANTERien ? belle occupation !MADEMOISELLE ARGANTEJe vous défie pourtant de critiquer rien.MONSIEUR ARGANTEQuelle étourdie ! comme vous voilà faite !MADEMOISELLE ARGANTE
Faite au tour, à ce qu'on dit.MONSIEUR ARGANTEHé ! je crois que vous plaisantez ?MADEMOISELLE ARGANTENon, je suis de mauvaise humeur ; car je n'ai pu jouer du clavecin ce matin.MONSIEUR ARGANTELaissez là votre clavecin ; mon gendre arrive, et vous ne devez pas le recevoir dansun ajustement aussi négligé.MADEMOISELLE ARGANTEAmha  !p laariusrsee ;z -dmaonis  famiroen  ;n léeg lnigéégl,i goén  nvae  vaeur rca œquure m Soii , j'eétt aoins  na'jyu psteéred,r ao rni enne. verrait queMONSIEUR ARGANTEOh ! oh ! que signifie donc ce discours-là ?MADEMOISELLE ARGANTEVous haussez les épaules, vous ne me croyez pas : je vous convaincrai, papa.MONSIEUR ARGANTEJe n'y comprends rien. Ma fille ?MADEMOISELLE ARGANTEMe voilà, mon père.MONSIEUR ARGANTEAvez-vous dessein de me jouer ?MADEMOISELLE ARGANTElQaius'saev efza-ivroe.u sD de oqncu o?i  sV'oaugist -iml '?a pepxepllieqz,u jeez -vvoouuss . réJep osnudiss  ;l àv, ovuosu vs oumse  fâvocyheezz,,  jjee  vvoouussentends, que vous plaît-il ?MONSIEUR ARGANTEEn vérité, sais-tu bien que si on t'écoutait, on te prendrait pour une folle ?MADEMOISELLE ARGANTEEh ! eh ! eh !…MONSIEUR ARGANTEEh ! Eh ! il n'est pas question, d'en rire, cela est vrai.MADEMOISELLE ARGANTEJ'en pleurerai, si vous le jugez à propos. Je croyais qu'il en fallait rire, je suis dans labonne foi.MONSIEUR ARGANTENon : il faut m'écouter.MADEMOISELLE ARGANTE le salue.C'est bien de l'honneur à moi, mon père.MONSIEUR ARGANTEQu'on a de peine avec les enfants !MADEMOISELLE ARGANTE
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