Lettre de Saint-Évremond à La Fontaine

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Charles de Saint-ÉvremondŒuvres mêléesCII. Réponse de Saint-Évremond à la Fontaine, 1687.RÉPONSE DE SAINT-ÉVREMOND, À LA LETTRE DE LAFONTAINE À MADAME LA DUCHESSE DE BOUILLON.Si vous étiez aussi touché du mérite de Mme de Bouillon, que nous en sommescharmés, vous l’auriez accompagnée en Angleterre, où vous eussiez trouvé desdames qui vous connoissent autant par vos ouvrages, que vous êtes connu de Mmede la Sablière, par votre commerce et votre entretien. Elles n’ont pas eu le plaisirde vous voir, qu’elles souhaitoient fort : mais elles ont celui de lire une lettre assezgalante et assez ingénieuse, pour donner de la jalousie à Voiture, s’il vivoit encore.Mme de Bouillon, Mme Mazarin, et M. l’ambasadeur, ont voulu que j’y fisse uneespèce de réponse. L’entreprise est difficile ; je ne laisserai pas de me mettre enétat de leur obéir.Je ne parlerai point des rois :Ce sont des dieux vivants, que j’adore en silence ;Loués à notre goût et non pas à leur choix,Ils méprisent notre éloquence.Dire de leur valeur ce qu’on a dit cent foisDu mérite passé de quelqu’autre vaillance,Donner un tour antique à de nouveaux exploits :C’est, des vertus du temps, ôter la connoissance.J’aime à leur plaire en respectant leurs droits ;Rendant toujours à leur puissance,A leurs volontés, à leurs lois,Une parfaite obéissance.Sans moi leur gloire a su passer les mers,Sans moi leur juste renomméePar toute la terre est semée :Ils n’ont que faire de mes vers.Mme de Bouillon ...
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Charles de Saint-Évremond Œuvres mêlées CII. Réponse de Saint-Évremond à la Fontaine, 1687.
RÉPONSE DE SAINT-ÉVREMOND, À LA LETTRE DE LA FONTAINE À MADAME LA DUCHESSE DE BOUILLON.
Si vous étiez aussi touché du mérite de Mme de Bouillon, que nous en sommes charmés, vous l’auriez accompagnée en Angleterre, où vous eussiez trouvé des dames qui vous connoissent autant par vos ouvrages, que vous êtes connu de Mme de la Sablière, par votre commerce et votre entretien. Elles n’ont pas eu le plaisir de vous voir, qu’elles souhaitoient fort : mais elles ont celui de lire une lettre assez galante et assez ingénieuse, pour donner de la jalousie à Voiture, s’il vivoit encore. Mme de Bouillon, Mme Mazarin, et M. l’ambasadeur, ont voulu que j’y fisse une espèce de réponse. L’entreprise est difficile ; je ne laisserai pas de me mettre en état de leur obéir.
Je ne parlerai point des rois : Ce sont des dieux vivants, que j’adore en silence ; Loués à notre goût et non pas à leur choix, Ils méprisent notre éloquence. Dire de leur valeur ce qu’on a dit cent fois Du mérite passé de quelqu’autre vaillance, Donner un tour antique à de nouveaux exploits : C’est, des vertus du temps, ôter la connoissance. J’aime à leur plaire en respectant leurs droits ; Rendant toujours à leur puissance, A leurs volontés, à leurs lois, Une parfaite obéissance. Sans moi leur gloire a su passer les mers, Sans moi leur juste renommée Par toute la terre est semée : Ils n’ont que faire de mes vers.
Mme de Bouillon se passeroit bien de ma prose, après avoir lu le bel éloge que vous lui avez envoyé. Je dirai pourtant qu’elle a des grâces qui se répandent sur tout ce qu’elle fait et sur tout ce qu’elle dit ; qu’elle n’a pas moins d’acquis que de naturel, de savoir que d’agrément. En des contestations assez ordinaires, elle dispute toujours avec esprit ; souvent, à ma honte, avec raison : mais une raison animée qui paroît de la passion aux connoisseurs médiocres, et que les délicats même auroient peine à distinguer de la colère, dans une personne moins aimable.
Je passerai le chapitre de Mme Mazarin, comme celui des rois, dans le silence d’une secrète adoration. Travaillez, monsieur, tout grand poëte que vous êtes, travaillez à vous former une belle idée, et malgré l’effort de votre esprit, vous serez honteux de ce que vousaurez imaginé, quand vous verrez une personne si admirable.
Ouvrages de la fantaisie, Fictions de la poésie, Dans vos chefs-d’œuvres inventés, Vous n’avez rien d’égal à ses moindres beautés. Loin d’ici figures usées, Loin, comparaisons méprisées : Ce seroit embellir la lumière des cieux, Que de la comparer à l’éclat de ses yeux. Belle grecque, fameuse Hélène, Ne quittez point les tristes bords Où règne votre ombre hautaine :
Vous êtes moins mal chez les morts, Vous ne souffrez pas tant de peine Que vous en souffririez, à voir tous les trésors Que nature, d’une main pleine, A répandus sur ce beau corps. Quand le ciel vous rendroit votre forme première, Que vos yeux aujourd’hui reverroient la lumière, À quoi vous serviroient et ces yeux et ce jour, Qu’à vous en faire voir qui donnent plus d’amour ? Vous passez votre temps en vos demeures sombres, À conter aux nouvelles ombres, Amours, aventures, combats ; À les entretenir là-bas De la vieille guerre de Troie, Qui sert d’amusement au défaut de la joie. Mais ici que trouveriez-vous Qui n’excitât votre courroux ? Vous verriez devant vous des charmes, Maîtres de nos soupirs et de nos tendres larmes ; Vous verriez fumer leurs autels De l’encens de tous les mortels, Tandis que morne et solitaire, L’âme triste, l’esprit confus, Vous vous sauveriez chez Homère, Et passeriez les nuits avec nos Vossius, À chercher dans un commentaire Vos mérites passés qu’on ne connoîtroit plus. Belle grecque, fameuse Hélène, Ne quittez pas les tristes bords Où règne votre ombre hautaine : Tout règne est bon, et fût-ce chez les morts. Et vous, beautés, qu’on loue en son absence, Attraits nouveaux, doux et tendres appas, Qu’on peut aimer où Mazarin n’est pas, Empêchez-la de revenir en France, Par tous moyens traversez son retour. Jeunes beautés, tremblez au nom d’Hortense, Si la mort d’un époux la rend à votre cour, Vous ne soutiendrez pas un moment sa présence. Mais à quoi bon tout ce discours, Que vous avez fait sur Hélène, COMBATS, AVENTURES, AMOURS, Ces TRISTES BORDS, et cette OMBRE HAUTAINE ? Sans vous donner excuse ni détours, Je vous dirai, monsieur de La Fontaine, Que tels propos vous sembleroient bien courts, Si tel objet animoit votre veine. La règle gêne, on ne la garde plus, On joint Hélène au docte Vossius, Comme souvent, de loisir, sans affaires, On saitdicter à quatresecrétaires. Les premières beautés ont droit au merveilleux : La basse vérité se tient indigne d’elles ; Il faut de l’incroyable, il faut du fabuleux Pour les héros et pour les belles.
La solidité de M. l’ambassadeur l’a rendu assez indifférent pour les louanges qu’on lui donne : mais quelque rigueur qu’il tienne à son mérite, quelque sévère qu’il soit à lui-même, il ne laisse pas d’être touché secrètement de ce que vous avez écrit pour lui. Je voudrois que ma lettre fût assez heureuse, pour avoir le même succès auprès de vous.
Vous possédez tout le bon sens
Qui sert à consoler des maux de la vieillesse ; Vous avez plus de feux que n’ont les jeunes gens : Eux, moins que vous de goût et de justesse.
Après avoir parlé de votre esprit, il faut dire quelque chose de votre morale.
S’accomoder aux ordres du Destin ; Aux plus heureux ne porter point d’envie, Du faux esprit que prend un libertin, Avec le temps, connoître la folie ; Et dans les vers, jeu, musique, bon vin, Passer en paix une innocente vie : C’est le moyen d’en reculer la fin.
M. Waller, dont nous regrettons la perte, a poussé la vigueur de l’esprit jusqu’a l’âge 1 de quatre-vingt-deux ans:
Et dans la douleur que m’apporte Ce triste et malheureux trépas, Je dirois en pleurant que toute Muse est morte, Si la vôtre ne vivoit pas. Ô vous, nouvel Orphée, ô vous de qui la veine Peut charmer des Enfers la noire souveraine, Et le Dieu son époux, si terrible, dit-on, Daignez, tout-puissant La Fontaine, Des lieux obscurs où notre sort nous mène Tirer Waller au lieu d’Anacréon !
Mais il n’est permis de demander ces sortes de soulagements qu’en poésie ; on sait qu’aucun mérite n’exempte les hommes de la nécessité de mourir, et que la vertu d’aucun charme, aucune prière, aucuns regrets ne peuvent les rendre au monde, quand ils en sont une fois sortis.
Si la bonté des mœurs, la beauté du génie, Pouvoient sauver quelqu’un de cette tyrannie, Que la Mort exerce sur tous, Waller, vous seriez parmi nous, Arbitre délicat, en toute compagnie, Des plaisirs les plus doux.
Je passe de mes regrets pour la muse de M. Waller, à des souhaits pour la vôtre.
Que plus longtemps votre muse agréable Donne au public ses ouvrages galans ! Que tout chez vous puisse être conte et fable, Hors le secret de vivre heureux cent ans !
Il ne seroit pas raisonnable que je fisse tant de vœux pour les autres, sans en faire quelqu’un pour moi.
Puisse de la beauté le plus parfait modèle, À mes vers, à mes soins, laisser leurs faibles droits ! Que l’avantage heureux de vivre sous ses lois Me tienne lieu de mérite auprès d’elle ! Que le feu de ses yeux m’inspire les esprits Qui depuis si longtemps m’ont conservé la vie ! Qu’une secrète ardeur anime mes écrits ! Que me serviroit-il de parler d’autre envie ! Où cesse l’amoureux désir, Il faut que la raison nous serve de plaisir.
NOTES DE L’ÉDITEUR
1. Waller est mort au mois d’octobre 1687.
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