Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
XXXIX. Lettre à la duchesse Mazarin, sur le dessein qu’elle avoit de se retirer dans un couvent, 1683.
À LA MÊME, SUR LE DESSEIN QU’ELLE AVOIT
1DE SE RETIRER DANS UN COUVENT .
(1683.)
Je ne sais si le titre d’Amitié sans amitié, que vous avez donné à mon écrit, lui
convient assez ; mais je sais bien qu’il ne convient pas à mes sentiments,
particulièrement à ceux que vous m’inspirez, Madame. Je les abandonne à votre
pénétration : l’état où je suis, ne me laisse pas la force de les exprimer.
Depuis ce soir malheureux où vous m’apprîtes la funeste résolution que vous voulez
exécuter, je n’ai pas eu un moment de repos, ou pour mieux dire, vous m’avez
laissé une peine continuelle, une agitation bien plus violente que la perte du repos,
qui seroit une assez grande affliction pour tout autre que pour moi. La première nuit
de votre trouble, je ne fermai pas les yeux, et ils furent ouverts pour verser des
larmes. Les nuits suivantes, je dormis quelques heures d’un sommeil inquiet, par un
sentiment secret de mes douleurs ; et je ne m’éveillai pas sitôt que je retrouvai mes
soupirs, mes pleurs et tous les tristes effets de mon tourment. Je les cache le jour,
autant que je puis ; mais il n’y a point d’heures qui n’échappent à la contrainte que
je leur donne ; et voilà, Madame, cet homme si peu animé, ce grand partisan des
amitiés commodes et aisées.
Comment est-il possible que vous quittiez des gens que vous charmez et qui vous
adorent, des ...
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