Lettre de Saint-Évremond à la duchesse Mazarin, sur la mort de son amant

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Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
XL. Lettre à la duchesse Mazarin, sur la mort de son amant.
1À LA MÊME, SUR LA MORT DE SON AMANT .
(1683.)
On m’a dit comme une chose assurée que vous quittiez l’Angleterre, incertaine
encore du séjour que vous choisirez, mais toute résolue à sortir du pays où vous
devriez demeurer. Ah ! Madame, à quoi pensez-vous ? Qu’allez-vous faire ? Vous
allez donner à vos ennemis des raisons invincibles contre vous, et ôter à vos amis
tout moyen de vous servir. Vous allez réveiller, par cette nouvelle course, la faute
assoupie de toutes les autres ; vous allez ruiner tous les intérêts que vous avez, et
que vous pourrez avoir en votre vie. Mais comment se montrer, dites-vous, après
l’étrange malheur qui vient d’arriver ? Mais comment se cacher, vous répondrai-je,
à moins que de vouloir faire un crime d’un simple malheur ? Il est certain que notre
méchant procédé tourne en faute les infortunes. Vous l’éprouverez, Madame : si
l’obscurité de votre retraite est continuée plus longtemps, chacun vous fera les
reproches que vous paroissez vous faire, et vous serez condamnée par mille gens
qui sont présentement dans la disposition de vous plaindre.
Mais que vous est-il arrivé, Madame, qui n’arrive assez communément ? Je
pourrois vous alléguer des beautés modernes, qui ont souffert la perte de leurs
amants avec des regrets fort modérés, si je ne gardois pour vous un plus grand
exemple. Hélène, moins belle que vous, et après vous la plus belle qu’ait vu ...
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Charles de Saint-Évremond Œuvres mêlées XL. Lettre à la duchesse Mazarin, sur la mort de son amant.
1 À LA MÊME, SUR LA MORT DE SON AMANT . (1683.)
On m’a dit comme une chose assurée que vous quittiez l’Angleterre, incertaine encore du séjour que vous choisirez, mais toute résolue à sortir du pays où vous devriez demeurer. Ah !Madame, à quoi pensez-vous ? Qu’allez-vous faire ? Vous allez donner à vos ennemis des raisons invincibles contre vous, et ôter à vos amis tout moyen de vous servir. Vous allez réveiller, par cette nouvelle course, la faute assoupie de toutes les autres ; vous allez ruiner tous les intérêts que vous avez, et que vous pourrez avoir en votre vie. Mais comment se montrer, dites-vous, après l’étrange malheur qui vient d’arriver ? Mais comment se cacher, vous répondrai-je, à moins que de vouloir faire un crime d’un simple malheur ? Il est certain que notre méchant procédé tourne en faute les infortunes. Vous l’éprouverez, Madame : si l’obscurité de votre retraite est continuée plus longtemps, chacun vous fera les reproches que vous paroissez vous faire, et vous serez condamnée par mille gens qui sont présentement dans la disposition de vous plaindre.
Mais que vous est-il arrivé, Madame, qui n’arrive assez communément ? Je pourrois vous alléguer des beautés modernes, qui ont souffert la perte de leurs amants avec des regrets fort modérés, si je ne gardois pour vous un plus grand exemple. Hélène, moins belle que vous, et après vous la plus belle qu’ait vu le monde : Hélène a fait battre, dix ans durant, les dieux et les hommes, plus glorieuse de ce qu’on faisoit pour elle, que honteuse de ce qu’elle avoit fait. Voilà, Madame, les héroïnes qu’il faut imiter ; non pas les Didon et les Thisbé, ces misérables qui ont déshonoré l’amour par l’extravagance désespérée de leur passion. Mais que pensez-vous faire par vos regrets ? Pleurer un mort, n’est pas pleurer un amant. Votre amant n’est plus que le triste ouvrage de votre imagination : c’est être 2 amoureuse de votre idée ; et l’amante d’Alexandreest aussi excusable dans sa vision, que vous dans la vôtre, puisqu’un homme mort aujourd’hui, n’a pas plus de part au monde que ce conquérant.
Votre amant est enseveli ; Et dans les noirs flots de l’oubli, Où la Parque l’a fait descendre, Il ne sait rien de votre ennui ; Et ne fût-il mort qu’aujourd’hui, Puisqu’il n’est plus qu’os et que cendres, Il est aussi mort qu’Alexandre, 3 Et vous touche aussi peu que lui.
C’est donc vous qui faites le sujet de vos larmes ; vous qui trop fidèle à vos douleurs, tâchez vainement de rétablir ce que la nature a su détruire.
Quittez de ce trépas l’inutile entretien ; Abandonnez un deuil si fatal à vos charmes ; Celui que vous pleurez aujourd’hui n’est plus rien, Et c’est yous qui formez le sujet de vos larmes. Votre âme, d’un amas de lugubres esprits, Compose un vain objet dont elle est possédée ; Elle retrace en soi les traits qu’elle a chéris, Et prête à sa douleur une funeste idée.
Je vous dis les meilleures raisons du monde en prose et en vers : mais plus je prends de peine à vous consoler, et plus je vous trouve inconsolable. Depuis Artemise, et Mme de Montmorency, fameuses en regrets, et célèbres toutes deux par leurs mausolées, on n’a point vu d’affliction pareille à la vôtre. Il est vrai qu’elle 4 vous a été comme ordonnée par l’intendante de vos déplaisirs . Il n’y a pas de
5 moment que laDoloride, cette apparition assidue, ne s’approche de votre oreille, pour vous dire des nouvelles de l’autre monde : il n’y a point de secret qu’elle n’emploie pour entretenir dans votre âme l’amour des morts et la haine des vivants. Tantôt c’est un air triste et désolé ; tantôt un discours funeste ; quelquefois, pour la 6 variété de la mélancolie, un chant lamentable. Jérusalem, M. Dery , Jérusalem ! M. 7 Dery obéit ; et des Leçons de Ténèbresinstituées dans l’Église pour nous faire 8 pleurer la mort du Seigneur, sont chantées douloureusement à sa naissance , quand la même Église nous ordonne de nous réjouir.
Que si l’on remarquoit en vous une petite apparence de retour à la gaieté ; si vous aviez la moindre saillie de joie, par une impulsion de la nature, qui eût échappé aux ordres de laDoloride, aussitôt un regard sévère vous fait rentrer dans le devoir de votre deuil ; et tant de talents d’ennui et de langueur sont employés à vous inspirer le dégoût du monde, que si on avoit ces tristes soins et cette noire application avec M. Talbot, je ne doute point que l’on ne pût faire en quinze jours un bon ermite, du plus enjoué de tous les hommes. Qu’on ne s’étonne donc pas que laDoloride ait réussi dans les machines d’une désolation étudiée : l’étonnement doit être que vous ayez conservé l’esprit qui vous reste. Il vous en reste, Madame, malgré le dessein qu’on avoit de vous le faire perdre entièrement, afin de disposer de vous avec plus de facilité à votre ruine : mais avec cela, ne trouvez pas mauvais que je vous fasse voir la différence qu’il y a de vous à vous-même.
Qu’auroit dit autrefois cette Mme Mazarin, que nous avons connue spirituelle et pénétrante ? qu’auroit dit notre Mme Mazarin, si elle avoit vu un petit troupeau religieux passer la mer pour établir sa sainteté vagabonde chez une personne de qualité ? Et que n’auroit-elle pas dit de l’hospitalière qui auroit logé ces bonnes sœurs ? Qu’auroit dit Mme Mazarin, si elle avoit vu la Révérende mère supérieure, partager son temps, entre les exercices de piété, et ses leçons amoureuses ; entre la ferveur de la prière, et l’avidité de la Guinée ; entre les fraudes pieuses de la religion, et les tromperies à la Bassette ? Qu’auroit-elle dit si elle avoit vu ces jeunes plantes, qui avoient besoin d’être arrosées, porter miraculeusement un fruit 9 avancé par la bénédiction particulière de cette maison ? Venez, petite Marote , prosélyte de leurs saintetés : venez nous apprendre quelque chose du mystère où vous êtes initiée :montrez-vous, Marote, et faites voir au public un plein effet de leurs salutaires instructions. L’affaire est trop sérieuse et trop pressante pour railler longtemps.
Au nom de Dieu, Madame, ce nom dont abusent les hypocrites, qui au jugement de Bacon sont les grands athées : au nom de Dieu, défaites-vous d’un commerce contagieux de méchancete et de sottise. À peine en serez-vous délivrée, que vous reprendrez toute votre intelligence, et que vous retrouverez votre première réputation. Songez solidement à vos intérêts, et sagement à votre repos. C’est toute la grâce que je vous demande. Rendez-vous heureuse, et vous ferez plus pour moi que vous ne sauriez faire pour un amant, quelque précieuses que soient vos faveurs.
1. M. de Banier.
NOTES DE L’ÉDITEUR
2. Voy.les Visionnairesde Desmaretz.
3. Parodie de l’Odede Théophile à M. de L. sur la mort de son père.
4. Mme de Ruz, que M. Mazarin avoit envoyée à Londres, avec quelques jeunes dévotes, pour engager Mme Mazarin à se retirer dans un couvent, comme on l’a vu dans l’Histoire e de Saint-Évremondpartie., 2
5. Voy. l’Histoire de don Quichotte, seconde partie, chap. xxxvi et suiv. 6. Page de Mme Mazarin, qui avoit une belle voix. 7. Dans l’Église romaine, on appelleTénèbresles offices qui se chantent à certains jours de la semaine sainte. LesLeçons de Ténèbressont tirées des Lamentations de Jérémie sur les malheurs de Jérusalem, qu’on chante sur des tons plaintifs, et qui finissent par ces paroles :Jerusalem, Jerusalem, convertere ad Dominum,etc. 8. On étoit alors à Noël. 9. Une deseunes dévotesui étoient venues avec Mme de Ruz, et celleui, dit-on,
portoit le fruit avancé.
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