Les Mystères du peuple - Tome I
166 pages
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Description

Histoire d’une famille de prolétaires à travers les âges Le ton de cette immense fresque historique et politique en seize volumes est donné par son exergue : «Il n’est pas une réforme religieuse, politique ou sociale, que nos pères n’aient été forcés de conquérir de siècle en siècle, au prix de leur sang, par l’insurrection.» Les Mystères du peuple est l'histoire rétrospective, de 57 avant Jésus-Christ à 1851, de la famille Lebrenn. À la veille de la conquête de la petite Bretagne par César, cette famille vit paisiblement près des pierres de Karnak. La défaite de la bataille de Vannes marque le début de la servitude pour les descendants de Joel, le brenn (chef) de la tribu de Karnak. À l'esclavage imposé par les Romains, succède l'oppression physique exercée par les Franks puis la domination morale exercée par l'Église qui prône que ceux qui souffrent dans ce bas monde seront récompensés dans les cieux. Au fil de l'Histoire chaque représentant de cette famille devra affronter un nouvel oppresseur pour reconquérir la liberté originelle de ses ancêtres.

Informations

Publié par
Nombre de lectures 36
EAN13 9782824707075
Langue Français

Extrait

Eugène Sue
Les Mystères du peuple Tome I
bibebook
Eugène Sue
Les Mystères du peuple
Tome I
Un texte du domaine public. Une édition libre. bibebook www.bibebook.com
Il n’est pas une réforme religieuse, politique ou sociale, que nos pères n’aient été forcés de conquérir de siècle en siècle, au prix de leur sang, par l’INSURRECTION.
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Travailleurs qui ont concouru à la publication du volume :
rotes et Imprimeurs : Richard Morris, Stanislas Dondey-Dupré, Nicolas Mock, Jules Desmarets, Louis Dessoins, Michel Choque, Charles Mennecier, Victor Peseux, Georges Masquin, Romain Sibillat, Alphonse Perrève, Hy père, Marcq fils, PClicheurs: Curmer et ses ouvriers. Verjeau, Adolphe Lemaître, Auguste Mignot, Benjamin. Fabricants de papiers :Maubanc et ses ouvriers, Desgranges et ses ouvriers. Artistes Dessinateurs :Charpentier, Castelli. Artistes Graveurs :Ottweil, Langlois… Planeurs d’acier :Héran et ses ouvriers. Imprimeurs en taille-douce: Drouart et ses ouvriers. Fabricants pour les primes, Associations fraternelles d’horlogers et d’ouvriers en Bronze : Boudry, Duchâteau, Deschiens… Employés à l’administration : Maubanc, Gavet, Berthier, Henri, Rostaing, Jamot, Blain, Rousseau, Toussaint, Rodier, Swinnens, Porcheron, Gavet fils, Dallet, Delaval, Renoux, de Paris ; Giraudier ; Bassin, de Lyon ; Wellen, Bonniol, Etchegorey, Plantier, de Bordeaux… La liste sera ultérieurement complétée dès que nos fabricants et nos correspondants des départements nous auront envoyé les noms des ouvriers et des employés qui concourent avec eux à la publication et à la propagation de l’ouvrage. Le Directeur de l’Administration: MAURICE LA CHATRE.
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Partie 1 INTRODUCTION : LE CASQUE DU DRAGON. – L’ANNEAU DE FORCAT. ou LA FAMILLE LEBRENN. – 1848 – 1849.
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1 Chapitre
omment, en février1848, M. Marik Lebrenn, marchand de toile, rue Saint-Denis, avait pour enseigne : l’Epée de Brennus. – Des choses extraordinaires que Gildas Pakou, garçon de magasin, remarqua dans la maison de son patron. – Comment, à Cans. – Comment Jeanike répond à Gildas que le temps des moines rouges est passé propos d’un colonel de dragons, Gildas Pakou raconte à Jeanike, la fille de boutique, une terrible histoire de trois moines rouges, vivant il y a près de mille et que le temps des omnibus est venu. – Comment Jeanike, qui faisait ainsi l’esprit fort, est non moins épouvantée que Gildas Pakou à propos d’une carte de visite. Le 23 février 1848, époque à laquelle la France depuis plusieurs jours et Paris surtout depuis la veille étaient profondément agités par la question des banquets réformistes, l’on voyait rue Saint-Denis, non loin du boulevard, une boutique assez vaste, surmontée de cette enseigne : M. Lebrenn, marchand de toile, A l’Epée de Brennus. En effet, un tableau assez bien peint représentait ce trait si connu dans l’histoire : le chef de l’armée gauloise,Brennushautain, jetait son épée dans l’un des plateaux, d’un air farouche et de la balance où se trouvait la rançon de Rome, vaincue par nos pères les Gaulois, il y a deux mille ans et plus.
On s’était autrefois beaucoup diverti, dans le quartier Saint-Denis, de l’enseigne belliqueuse du marchand de toile ; puis l’on avait oublié l’enseigne, pour reconnaître que M. Marik Lebrenn était le meilleur homme du monde, bon époux, bon père de famille, qu’il vendait à juste prix d’excellente marchandise, entre autres de superbe toile de Bretagne, tirée de son pays natal. Que dire de plus ? Ce digne commerçant payait régulièrement ses billets, se montrait avenant et serviable envers tout le monde, remplissait, à la grande satisfaction de seschers camarades, les fonctions de capitaine en premier de la compagnie de grenadiers de son bataillon ; aussi était-il généralement fort aimé dans son quartier, dont il pouvait se dire un desnotables.
Or donc, par une assez froide matinée, le 23 février, les volets du magasin de toile furent, selon l’habitude, enlevés par le garçon de boutique, aidé de la servante, tous deux Bretons, comme leur patron, M. Lebrenn, qui prenait toujours ses serviteurs dans son pays. La servante, fraîche et jolie fille de vingt ans, s’appelaitJeanike. Le garçon de magasin, nomméGildas Pakou, jeune et robuste gars du pays de Vannes, avait une figure candide et un peu étonnée, car il n’habitait Paris que depuis deux jours ; il parlait très-suffisamment français ; mais dans ses entretiens avec Jeanike,sa payse, il préférait causer en bas-breton, [1] l’ancienne langue gauloise, ou peu s’en faut . Nous traduirons donc l’entretien des deux commensaux de la maison Lebrenn. Gildas Pakou semblait pensif, quoiqu’il s’occupât de transporter à l’intérieur de la boutique les volets du dehors ; il s’arrêta même un instant, au milieu du magasin, d’un air profondément absorbé, les deux bras et le menton appuyés sur la carre de l’un des contrevents qu’il venait de décrocher.
– Mais à quoi pensez-vous donc là, Gildas ? lui dit Jeanike. – Ma fille, répondit-il d’un air méditatif et presque comique, vous rappelez-vous la chanson [2] du pays :Geneviève de Rustefan? – Certainement, j’ai été bercée avec cela ; elle commence ainsi : Quand le petit Jean gardait ses moutons, Il ne songeait guère à être prêtre. – Eh bien, Jeanike, je suis comme le petit Jean… Quand j’étais à Vannes, je ne songeais guère à ce que je verrais à Paris. – Et que voyez-vous donc ici de si surprenant, Gildas ? – Tout, Jeanike… – Vraiment ! – Et bien d’autres choses encore ! – C’est beaucoup.
– Ecoutez plutôt. Ma mère m’avait dit : « Gildas, monsieur Lebrenn, notre compatriote, à qui je vends la toile que nous tissons aux veillées, te prend pour garçon de magasin. C’est une maison du bon Dieu. Toi, qui n’es guère hardi ni coureur, tu seras là aussi tranquille qu’ici, dans notre petite ville ; car la rue Saint-Denis de Paris, où demeure ton patron, est une rue habitée par d’honnêtes et paisibles marchands. » – Eh bien, Jeanike, pas plus tard qu’hier soir, le second jour de mon arrivée ici, n’avez-vous pas entendu comme moi ces cris : Fermez les boutiques ! fermez les boutiques ! ! ! Avez-vous vu ces patrouilles, ces tambours, ces rassemblements d’hommes qui allaient et venaient en tumulte ? Il y en avait dont les figures étaient terribles avec leurs longues barbes… J’en ai rêvé, Jeanike ! j’en ai rêvé ?
– Pauvre Gildas ! – Et si ce n’est que cela ! – Quoi ! encore ? Avez-vous quelque chose à reprocher au patron ? – Lui ! c’est le meilleur homme du monde… J’en suis sûr, ma mère me l’a dit. – Et madame Lebrenn ?
– Chère et digne femme ! elle me rappelle ma mère par la douceur.
– Et mademoiselle ? [3] – Oh ! pour celle-là, Jeanike, on peut dire d’elle ce que dit lachanson des Pauvres: Votre maîtresse est belle et pleine de bonté. Et comme elle est jolie elle est aimable aussi. Et c’est par là qu’elle est venue à bout de gagner tous les cœurs. – Ah ! Gildas, que j’aime à entendre ces chants du pays ! Celui-là semble être fait pour mademoiselle Velléda, et je…
– Tenez, Jeanike, dit le garçon de magasin en interrompant sa compagne, vous me demandez pourquoi je m’étonne…… est-ce un nom chrétien que celui de mademoiselle, dites ?Velléda! Qu’est-ce que ça signifie ? – Que voulez-vous ? c’est une idée de monsieur et de madame. – Et leur fils, qui est retourné hier à son école de commerce ? – Eh bien ? – Quel autre nom du diable a-t-il aussi celui-là ? On a toujours l’air de jurer en le prononçant. Ainsi, dites-le ce nom, Jeanike. Voyons, dites-le.
– C’est tout simple : le fils de notre patron s’appelleSacrovir. – Ah ah ! j’en étais sûr. Vous avez eu l’air de jurer… vous avez ditSacrrrovir. – Mais non, je n’ai pas fait ronfler lesrcomme vous. – Elles ronflent assez d’elles-mêmes, ma fille… Enfin, est-ce un nom ? – C’est encore une des idées de monsieur et de madame…
– Bon. Et la porte verte ?
– La porte verte ? – Oui, au fond de l’appartement. Hier, en plein midi, j’ai vu monsieur le patron entrer là avec une lumière. – Naturellement, puisque les volets restent toujours fermés… – Vous trouvez cela naturel, vous, Jeanike ? et pourquoi les volets sont-ils toujours fermés ? – Je n’en sais rien ; c’est encore… – Une idée de monsieur et de madame, allez-vous me dire, Jeanike ? – Certainement. – Et qu’est-ce qu’il y a dans cette pièce où il fait nuit en plein midi ? – Je n’en sais rien, Gildas. Madame et monsieur y entrent seuls ; leurs enfants, jamais. – Et tout cela ne vous semble pas très-surprenant, Jeanike ? – Non, parce que j’y suis habituée ; aussi vous ferez comme moi ?
Puis s’interrompant après avoir regardé dans la rue, la jeune fille dit à son compagnon :
– Avez-vous vu ? – Quoi ? – Ce dragon… – Un dragon, Jeanike ? – Oui ; et je vous en prie, allez donc regarder s’il se retourne… du côté de la boutique ; je m’expliquerai plus tard. Allez vite… vite ! – Le dragon ne s’est point retourné, revint dire naïvement Gildas. Mais que pouvez-vous avoir de commun avec des dragons, Jeanike ? – Rien du tout, Dieu merci ; mais ils ont leur caserne ici près… – Mauvais voisinage pour les jeunes filles que ces hommes à casque et à sabre, dit Gildas [4] d’un ton sentencieux ; mauvais voisinage. Cela me rappelle la chanson dela Demande. J’avais une petite colombe dans mon colombier ; Et voilà que l’épervier est accouru comme un coup de vent ; Et il a effrayé ma petite colombe, et l’on ne sait ce qu’elle est devenue. – Comprenez-vous, Jeanike ? Les colombes, ce sont les jeunes filles, et l’épervier… – C’est le dragon… Vous ne croyez peut-être pas si bien dire, Gildas. – Comment, Jeanike, vous seriez-vous aperçue que le voisinage des éperviers… c’est-à-dire des dragons, vous est malfaisant ? – Il ne s’agit pas de moi.
– De qui donc ?
– Tenez, Gildas, vous êtes un digne garçon ; il faut que je vous demande un conseil. Voici ce qui est arrivé : il y a quatre jours, mademoiselle, qui ordinairement se tient toujours dans
l’arrière-boutique, était au comptoir pendant l’absence de madame et de monsieur Lebrenn ; j’étais à côté d’elle ; je regardais dans la rue, lorsque je vois s’arrêter devant nos carreaux un militaire. – Un dragon ? un épervier de dragon ? hein, Jeanike ? – Oui ; mais ce n’était pas un soldat ; il avait de grosses épaulettes d’or, une aigrette à son casque ; ce devait être au moins un colonel. Il s’arrête donc devant la boutique et se met à regarder. L’entretien des deux compatriotes fut interrompu par la brusque arrivée d’un homme de quarante ans environ, vêtu d’un habit-veste et d’un pantalon de velours noir, comme le sont ordinairement les mécaniciens des chemins de fer. Sa figure énergique était à demi couverte d’une épaisse barbe brune ; il paraissait inquiet, et entra précipitamment dans le magasin en disant à Jeanike : – Mon enfant, où est votre patron ? Il faut que je lui parle à l’instant ; allez, je vous prie, lui dire que Dupont le demande… Vous vous rappellerez bien mon nom, Dupont ? – Monsieur Lebrenn est sorti ce matin au tout petit point du jour, monsieur, reprit Jeanike, et il n’est pas encore rentré. – Mille diables !…Il y serait donc alléalors ? se dit à demi-voix le nouveau venu. Il allait quitter le magasin aussi précipitamment qu’il y était entré, lorsque, se ravisant et s’adressant à Jeanike : – Mon enfant, dès que M. Lebrenn sera de retour, dites-lui d’abord que Dupont est venu. – Bien, monsieur. – Et que si, lui, monsieur Lebrenn… ajouta Dupont en hésitant comme quelqu’un qui cherche une idée ; puis, l’ayant sans doute trouvée, il ajouta couramment : Dites, en un mot, à votre patron que s’il n’est pas allé ce matin visitersa provision de poivre, vous entendez bien ?sa provision de poivre, il n’y aille pas avant d’avoir vu Dupont… Vous vous rappellerez cela, mon enfant ? – Oui, monsieur… Cependant, si vous vouliez écrire à monsieur Lebrenn ? – Non pas, dit vivement Dupont ; c’est inutile… dites-lui seulement… – De ne pas aller visiter sa provision de poivre avant d’avoir vu monsieur Dupont, reprit Jeanike. Est-ce bien cela, monsieur ? – Parfaitement, dit-il. Au revoir, mon enfant. Et il disparut en toute hâte. – Ah ça, mais ! monsieur Lebrenn est donc aussi épicier, dit Gildas d’un air ébahi à sa compagne, puisqu’il a des provisions de poivre ? – En voici la première nouvelle. – Et cet homme ! il avait l’air tout ahuri. L’avez-vous remarqué ? Ah ! Jeanike, décidément c’est une étonnante maison que celle-ci. – Vous arrivez du pays, vous vous étonnez d’un rien… Mais que je vous achève donc mon histoire de dragon. – L’histoire de cet épervier à épaulettes d’or et à aigrette sur son casque, qui s’était arrêté à vous regarder à travers les carreaux, Jeanike ? – Ce n’est pas moi qu’il regardait. – Et qui donc ? – Mademoiselle Velléda.
– Vraiment ?
– Mademoiselle brodait ; elle ne s’apercevait pas que ce militaire là dévorait des yeux. Moi, j’étais si honteuse pour elle, que je n’osais l’avertir qu’on la regardait ainsi. – Ah ! Jeanike, cela me rappelle une chanson que… – Laissez-moi donc achever, Gildas ; vous me direz ensuite votre chanson si vous voulez. Ce militaire… – Cet épervier… – Soit… Etait donc là, regardant mademoiselle de tous ses yeux.
– De tous ses yeux d’épervier, Jeanike ? – Mais laissez-moi donc achever. Voilà que mademoiselle s’aperçoit de l’attention dont elle était l’objet ; alors elle devient rouge comme une cerise, me dit de garder le magasin, et se retire dans l’arrière-boutique. Ce n’est pas tout : le lendemain, à la même heure, le colonel revient, en bourgeois cette fois, et le voilà encore aux carreaux. Mais madame était au comptoir, et il ne reste pas longtemps en faction. Avant-hier encore, il est revenu sans pouvoir apercevoir mademoiselle. Enfin, hier, pendant que madame Lebrenn était à la boutique, il est entré et lui a demandé très-poliment d’ailleurs si elle pourrait lui faire une grosse fourniture de toiles. Madame a répondu que oui, et il a été convenu que ce colonel reviendrait aujourd’hui pour s’entendre avec monsieur Lebrenn au sujet de cette fourniture. – Et croyez-vous, Jeanike, que madame se soit aperçue que ce militaire est plusieurs fois venu regarder à travers les carreaux ? – Je l’ignore, Gildas, et je ne sais si je dois en prévenir madame. Tout à l’heure je vous ai prié d’aller voir si ce dragon ne se retournait pas, parce que je craignais qu’il ne fût chargé de nous épier… Heureusement il n’en est rien. Maintenant me conseillez-vous d’avertir madame, ou de ne rien dire ? Parler, c’est peut-être l’inquiéter ; me taire, c’est peut-être un tort. Qu’en pensez-vous ? – M’est avis que vous devez prévenir madame ; car elle se défiera peut-être de cette grosse fourniture de toile. Hum… hum… – Je suivrai votre conseil, Gildas. – Et vous ferez bien. Ah ! ma chère fille… les hommes à casque… – Bon, nous y voilà… votre chanson, n’est-ce pas ? – Elle est terrible, Jeanike ! Ma mère me l’a cent fois contée à la veillée, comme ma grand’mère la lui avait contée, de même que la grand’mère de ma grand’mère… – Allons, Gildas, dit Jeanike en riant et en interrompant son compagnon, de grand’mère en mère-grand’, vous remonterez ainsi jusqu’à notre mère Eve… – Certainement, est-ce qu’au pays on ne se transmet pas de famille en famille des contes qui remontent… – Qui remontent à des mille, à des quinze cents ans et plus, comme lescontes de Myrdin et [5] duBaron de Janioz, avec lesquels j’ai été bercée. Je sais cela, Gildas. – Eh bien, Jeanike, la chanson dont je vous parle à propos des gens qui portent des casques et rôdent autour des jeunes filles est effrayante, elle s’appelle LES TROIS MOINES ROUGES, dit Gildas d’un ton formidable,les Trois Moines rougesou LE SIRE DE PLOUERNEL.
– Comment dites-vous ? reprit vivement Jeanike frappée de ce nom… le sire de ? – Le sire dePlouernel. – C’est singulier. – Quoi donc ? – Monsieur Lebrenn prononce quelquefois ce nom-là. – Le nom du sire dePlouernel? et à propos de quoi ?
– Je vous le dirai tout à l’heure ; mais voyons d’abord la chanson desTrois Moines rouges, elle va m’intéresser doublement. – Vous saurez, ma fille, que les moines rouges étaient des templiers, portant sabre et casque comme cet épervier de dragon. – Bien ; mais dépêchez-vous, car madame peut descendre et monsieur rentrer d’un moment à l’autre. – Ecoutez bien, Jeanike. Et Gildas commença ce récit non précisément chanté, mais psalmodié d’un ton grave et mélancolique : Les Trois Moines rouges « Je frémis de tous mes membres en voyant les douleurs qui frappent la terre. » En songeant à l’événement qui vient encore d’arriver dans la ville de Kemper il y a un [6] an , Katelike cheminait en disant son chapelet, quand trois moines rouges (templiers), armés de toutes pièces, la joignirent. » Trois moines sur leurs grands chevaux bardés de fer de la tête aux pieds. » – Venez avec nous au couvent, belle jeune fille ; là ni l’or ni l’argent ne vous manqueront. » – Sauf votre grâce, messeigneurs, ce n’est pas moi qui irai avec vous, dit Katelike ; j’ai peur de vos épées qui pendent à votre côté. Non, je n’irai pas, messeigneurs : on entend dire de vilaines choses. » – Venez avec nous au couvent, jeune fille, nous vous mettrons à l’aise. » – Non, je n’irai point au couvent. Sept jeunes filles de la campagne y sont allées, dit-on ; sept belles jeunes filles à fiancer, et elles n’en sont point sorties.
» – S’il y est entré sept jeunes filles, s’écria Gonthramm de Plouernel, un des moines rouges, vous serez la huitième. » Et de la jeter à cheval et de s’enfuir rapidement vers leur couvent avec la jeune fille en travers à cheval, un bandeau sur la bouche. » – Ah ! la pauvre chère enfant ! s’écria Jeanike en joignant les mains. Et que va-t-elle devenir dans ce couvent des moines rouges ? – Vous allez le voir, ma fille, dit en soupirant Gildas. Et il continua son récit. » Au bout desept ouhuit mois, ou quelque chose de plus, les moines rouges furent bien étonnés dans cette abbaye : » – Que ferons-nous, mes frères, de cette fille-ci, maintenant ? se disaient-ils. » – Enterrons là ce soir sous le maître autel, où personne de sa famille ne viendra la chercher. » – Ah ! mon Dieu, reprit Jeanike, ils l’avaient mise à mal, les bandits de moines, et ils voulaient s’en débarrasser en la tuant. – Je vous le répète, ma fille, ces gens à casque et à sabre n’en font jamais d’autre, dit Gildas d’un ton dogmatique ; et il continua. » Vers la chute du jour, voilà que tout le ciel se fend : de la pluie, du vent, de la grêle, le tonnerre le plus épouvantable. Un pauvre chevalier, les habits trempés par la pluie, et qui cherchait un asile, arriva devant l’église de l’abbaye. Il regarde par le trou de la serrure : il voit briller une petite lumière, et les moines rouges, qui creusaient sous le maître autel, et la jeune fille sur le côté, ses petits pieds nus attachés ; elle se désolait et demandait grâce. » – Messeigneurs, au nom de Dieu, laissez-moi la vie, disait-elle. J’errerai la nuit, je me cacherai le jour.
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