Gabriel de Lautrec
Le Bocal vert
LE BOCAL VERT
Après le dîner et les flambeaux, comme nous allumions les cigares, plongés en des
fauteuils confortables, quelqu’un prononça le mot d’occultisme, et ce fut la
conversation.
La salle était éclairée discrètement. Un vent tiède, des arbres voisins, faisait
remuer une fenêtre, et vaciller la flamme jaune des bougies.
Quand on eut fumé le premier cigare, un jeune homme accoudé sur des coussins,
donna la définition exacte du corps astral ; un autre raconta qu’il avait vu, dans une
séance d’occultisme, apparaître l’ombre d’Eliphas Levi, puis une conversation
générale s’engagea sur la perpétuité de la conscience humaine après la mort.
Un frisson léger courut dans la salle, et l’on vit s’élargir des yeux.
Quelqu’un dit : J’ai fait un rêve et je vais vous le raconter.
Le deuxième cigare s’éteignit, comme il convient dans une nouvelle bien construite.
On le ralluma et chacun se pencha pour écouter :
— Je me suis occupé vingt ans d’études patientes sur l’âme et le corps humain.
J’ai observé les dernières convulsions des suppliciés par les matins froids et les
cieux couverts. J’ai vu mourir des malades et j’ai noté toutes les lignes essentielles
que le spasme de la mort écrit sur les visages. J’ai passé des nuits à examiner le
mystère déconcertant de la vie humaine, tenant sous la loupe, de mes mains et de
mes yeux fatigués, des cerveaux diminués par l’alcool, et suivant, comme un
voyageur, les circonvolutions et les sillons effrayants ...
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