Aventures de Lyderic
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Aventures de Lyderic

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Description

La légende de Lyderic, premier comte de Flandre, au VIIe siècle. En 628,le prince de Dijon Salwart succombe sous les coups du gigantesque prince Phinard de Buck dans une forêt des Flandres. Sa femme Ermengarde a juste le temps de cacher leur fils Lyderic dans un buisson avant d'être faite prisonnière. Le bébé est sauvé de la mort par une biche qui le nourrit et un vieil ermite qui l'élève. Il devient vite d'une stature et d'une force redoutable. A la mort de l'ermite, Lyderic part à la recherche de ses origines avec pour seul indice un chapelet qu'il avait autour du cou quand il a été trouvé. Avec l'épée qu'il s'est forgée lui-même en tant qu'apprenti d'un armurier, il réussit à tuer un monstrueux dragon dont le sang le rend invulnérable à l'exception d'un endroit. Grâce au roi Dagobert qu'il sauve de la mort, il apprend son nom et le sort de sa mère, toujours aux mains de Phinard. Il le défie donc...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 39
EAN13 9782824700038
Langue Français

Extrait

Alexandre Dumas
Aventures de Lyderic
bibebook
Alexandre Dumas
Aventures de Lyderic
Un texte du domaine public. Une édition libre. bibebook www.bibebook.com
1 Chapitre
’origine des comtesde Flandre remonterait, s’il faut en croire la chronique, à l’an 640 : comme toute grande puissance, son berceau est entouré de ces traditions mystérieuses familières à tous les peuples et qui se sont perpétuées depuis VerLs la fin de l’an 628, Boniface V étant pape à Rome et Clotaire régnant sur l’empire des Sémiramis, la fille des colombes, jusqu’à Rémus et Romulus, les nourrissons de la louve. Voici, au reste, cette tradition dans toute sa simplicité : Francs, Salwart, prince de Dijon, revenant, avec sa femme Ermengarde, de faire baptiser dans une église très vénérée, Lyderic, leur fils premier-né, traversait la forêt de Sans-Merci, que l’on appelait ainsi à cause des brigandages qu’y exerçait Phinard, prince de Buck. Malgré la mauvaise réputation du lieu, Salwart, comptant sur son courage, n’avait autour de lui, pour toute suite, que quatre serviteurs, lorsque, arrivés vers la fin du jour à un endroit très épais et très sombre de la forêt, il fut attaqué par une troupe d’une vingtaine d’hommes, commandée par un chef qu’à sa taille gigantesque il lui fut facile de reconnaître pour le prince de Buck. Malgré la disproportion du nombre, il ne résolut pas moins de combattre, non point qu’il eût l’espérance de sauver sa vie, mais parce que pendant le combat il espérait que sa femme et son enfant auraient le temps de fuir. En effet, comme la nuit, ainsi que nous l’avons dit, commençait à se faire sombre, Ermengarde se laissa glisser au bas de son cheval et s’enfonça dans la forêt. Confiante alors dans la providence de Dieu, et voulant accomplir autant qu’il était en elle ses devoirs de mère et d’épouse, elle cacha son enfant au milieu d’un buisson, qui poussait proche d’une fontaine appelée encore aujourd’hui le Saulx, à cause des grands saules qui l’ombrageaient ; puis, après l’avoir recommandé à Dieu dans une ardente prière, elle revint vers l’endroit de la forêt où elle avait quitté son mari, afin, vivant ou mort, libre ou prisonnier, de partager le sort qu’il avait plu au Seigneur de lui faire. En arrivant au lieu du combat, elle trouva huit corps morts étendus par terre. Comme la lune venait de se lever, elle put en examiner les visages, reconnaître que c’étaient ceux de ses quatre serviteurs et probablement ceux de quatre assaillants ; mais en aucun des trépassés elle ne reconnut son mari : il était donc à coup sûr prisonnier, car elle connaissait trop le noble comte de Salwart pour penser un seul instant qu’il avait fui. Au même instant, elle aperçut, à la lueur des torches qui l’escortaient, un convoi qui s’avançait dans la direction d’un château fort, qui avait été autrefois une citadelle romaine ; et, comme elle reconnut dans la haute stature de l’homme qui le précédait à cheval le chef de la troupe qui les avait attaqués, elle ne fit plus de doute que ce convoi n’emmenât son mari. Or, comme elle avait décidé que sa place à elle était près du comte, elle hâta le pas et rejoignit le cortège. Elle ne s’était point trompée : le comte, mortellement blessé, était couché sur un brancard. Les soldats s’écartèrent pour faire place à cette femme déjà à demi veuve, et de Buck, enchanté d’avoir deux prisonniers au lieu d’un, continua sa route vers son château, où l’on arriva après une demi-heure de marche à peu près. Dans la nuit, le comte mourut en priant pour son fils. La comtesse resta prisonnière. Dès le lendemain, le prince de Buck offrit à la comtesse de Salwart de racheter sa liberté au prix de ses Etats, ou du moins d’une partie. Mais la comtesse pensa que tels elle les avait reçus de ses pères, tels elle devait les conserver à son enfant, et refusa toute négociation, disant au prince de Buck que, comme son mari et elle étaient comtes souverains, ayant reçu leurs biens de Dieu, c’était à Dieu seul à disposer de leurs biens. Le prince de Buck ordonna
alors de resserrer encore la captivité de la comtesse, espérant qu’elle se lasserait de sa prison, et qu’il obtiendrait du temps ce qu’il voyait bien qu’il ne pourrait obtenir de la menace et de la violence. Il reprit donc ses brigandages dans la forêt Sans-Merci, et Ermengarde continua de prier près de la tombe du comte.
Il y avait dans la forêt, et non loin de l’endroit où avait eu lieu le combat, un ermitage très vénéré habité par un vieil anachorète, qui avait fait force miracles dans son temps, mais qui commençait à se reposer, voyant l’espèce humaine devenir de jour en jour plus mauvaise et ne la jugeant plus digne des célestes spectacles qu’il aurait pu lui donner ; aussi demeurait-il pour la plupart du temps retiré dans le fond de sa grotte, où il ne vivait que du lait d’une biche qui, trois fois par jour, venait lui présenter sa mamelle. L’ermite buvait une partie de ce lait et faisait cailler l’autre ; de sorte que, avec quelques racines qu’il arrachait de terre aux environs de sa grotte, il se trouvait avoir des provisions suffisantes : grâce à cette frugalité, il y avait plus de cinq ans qu’il n’avait mis le pied dans aucune ville ni dans aucun village.
Or, il arriva qu’un jour le bon vieillard s’aperçut que sa biche ne revenait à lui que la mamelle à moitié pleine, si bien que ce jour-là il eut encore du lait pour boire, mais n’en eut point à faire cailler : il attribua cette cause à quelque accident naturel qui disparaîtrait sans doute comme il était venu, et attendit au lendemain.
Le lendemain, il trouva sa mesure encore diminuée, et non seulement il n’en eut pas pour faire cailler, mais encore à peine en eut-il pour boire. Le bon ermite prit patience, espérant toujours que les choses changeraient, et cela était d’autant plus probable que sa biche paraissait mieux portante que jamais et avait un air joyeux qui faisait plaisir à voir. Mais, le surlendemain, la chose continuait d’aller de mal en pis : la pauvre biche ce jour-là avait la mamelle si sèche que l’ermite, qui n’avait plus même de lait pour boire, fut obligé de sortir de sa grotte pour aller chercher de l’eau. Il profita en même temps de la circonstance pour faire provision de racines, car depuis deux jours il était à la diète, et son ordinaire était déjà si peu de chose que, quelque peu qu’on en retranchât, le jeûne devenait par trop rigoureux pour être supporté. Le jour d’après, la biche revint la mamelle parfaitement vide. Pour cette fois, il n’y avait pas à s’y tromper : quelque voleur se trouvait sur la route de la bonne pourvoyeuse et interceptait les vivres du pauvre anachorète. Cependant, avant de concevoir un si terrible soupçon contre son prochain, le vieillard résolut de s’en assurer, et, le matin du cinquième jour, comme la biche venait ainsi que d’habitude lui faire sa visite, il ferma la porte sur elle. Toute la journée, la biche parut fort inquiète, allant de l’ermite à la porte de l’ermitage, et de la porte de l’ermitage à l’ermite ; le tout en bramant d’une façon si lamentable, que le vieillard vit bien qu’il se passait quelque chose d’étrange. Pendant ce temps, au reste, sa mamelle se remplissait comme aux jours de sa plus grande abondance, et l’ermite fut obligé de la traire trois fois. Il était donc bien évident que le défaut de lait qu’il avait trouvé chez elle depuis quelques jours ne devait pas être attribué à la stérilité.
Le soir, l’ermite entrouvrit la porte pour se chauffer, comme c’était son habitude, aux derniers rayons du soleil couchant ; mais, quelque précaution qu’il eût prise en ouvrant la porte pour retenir la biche prisonnière, celle-ci, dès qu’elle vit une ouverture, s’élança si violemment qu’elle renversa le vieillard, et, se trouvant libre, s’élança joyeuse et bondissante dans la forêt.
L’ermite se releva en secouant la tête ; il connaissait sa biche et la savait incapable de se porter à un pareil acte de violence, même pour recouvrer sa liberté, car quelquefois, étant tombé malade, il l’avait vue des jours entiers rester couchée près de lui, ne sortant que pour brouter l’herbe et revenant aussitôt. Il comprit donc qu’il y avait là-dessous quelque mystère, et que ce mystère était tout autre chose que ce qu’il avait soupçonné d’abord.
Le jour suivant, sa conviction redoubla quand il ne vit point revenir la biche : c’était la première fois depuis cinq ans que le fidèle animal manquait à ses habitudes. Le bon ermite
attendit ; mais toute la journée se passa sans que la biche reparût. Le lendemain, le vieillard commença de craindre qu’il ne fût arrivé malheur à sa compagne. Aussi, dès le point du jour, alla-t-il ouvrir sa porte ; mais alors il la vit qui broutait à quelques pas de l’ermitage ; en l’apercevant, la biche manifesta par quelques bonds joyeux le plaisir qu’elle avait à le revoir ; mais ce fut tout, car elle ne fit pas un pas vers l’ermitage. L’anachorète l’appela ; à sa voix, fût-elle à cinq cents pas de distance, elle avait l’habitude d’accourir ; mais, cette fois, elle se contenta de tourner la tête de son côté en dressant les oreilles. L’ermite fit alors quelques pas vers elle ; mais elle s’éloigna à mesure qu’elle le vit s’avancer. Il était évident qu’elle lui gardait rancune de sa captivité de la veille, et qu’elle ne voulait pas s’y exposer une seconde fois. Ce langage mimique était trop clair pour que le vieillard ne le comprît pas : il résolut donc de pénétrer les causes du changement de la biche à son égard ; et comme, vers le midi, elle cessa de paître et parut manifester l’intention de s’enfoncer dans la forêt, l’ermite, de son côté, prit la résolution de la suivre. Ce qu’il fit en effet, secondé par la complaisance de l’animal, qui, comme s’il eût compris l’intention du vieillard, continua de marcher joyeusement par sauts et par bonds, mais sans jamais s’éloigner assez de lui pour qu’il la perdît de vue.
La biche conduisit ainsi le vieillard dans une charmante vallée toute plantée de saules qui trempaient l’extrémité de leurs longues branches pleurantes dans un petit ruisseau dont l’ermite connaissait la source pour s’y être souvent désaltéré. Arrivée à quelques pas de cette source, la biche fit trois ou quatre bonds et disparut. Le vieillard hâta le pas et arriva à l’endroit où il l’avait perdue de vue : là, il s’arrêta, regardant autour de lui sans rien voir autre chose qu’un gros buisson, sur lequel chantait un rossignol. Bientôt, au milieu de ce buisson, il entendit bramer doucement ; il s’approcha alors avec précaution et aperçut la biche couchée et allaitant un petit garçon de trois ou quatre mois, qui pressait ses mamelles avec ses petites mains. Le voleur était trouvé.
Le vieillard tomba à genoux et loua Dieu. Puis, ne voulant pas laisser la faible créature exposée aux animaux féroces auxquels elle avait échappé jusqu’alors comme par miracle, il la prit entre ses bras, et, l’enveloppant dans un pan de sa robe, il l’emporta dans son ermitage. La biche les accompagna, regardant l’enfant et léchant les mains du vieillard. Le vieillard appela l’enfant Lyderic en mémoire du rossignol qui chantait sur le buisson où il l’avait trouvé :liedervoulant dire en vieil allemand : joyeux chansonnier. On devine qu’à compter de ce jour le bon anachorète vécut d’eau et de racines, laissant à son nourrisson tout le lait de la biche : aussi le nourrisson venait-il gros et fort que c’était merveille ; à huit mois il se tenait debout sur ses pieds, et, à dix, il commençait à parler. L’ermite lui apprit à lire dans la Bible. Mais de toutes les histoires que contenait le livre saint, celles qui lui plaisaient davantage étaient l’histoire de Nemrod, de Samson et de Judas Machabée.
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2 Chapitre
ussi, dès qu’il put courir, l’enfant se fit-il une fronde et un arc ; et bientôt son adresse fut telle, que, si éloigné et si petit que fût le but, il était sûr de l’atteindre avec sa flèche et avec sa pierre. A Ses forces croissaient en proportion de son adresse. A huit ans il était fort comme un homme ordinaire, et à dix, comme il se promenait un jour, ainsi que c’était son habitude, avec sa bonne nourrice, qui commençait à se faire vieille, un loup affamé se jeta sur elle ; mais lui se jeta sur le loup et il l’étouffa entre ses bras. Puis de sa peau il se fit un vêtement, comme il avait vu, dans les gravures byzantines de la Bible du vieil ermite, que Samson s’en était fait un de la dépouille du lion. Comme il ne se servait de sa fronde et de son arc que contre les oiseaux de proie ou les animaux de carnage, tout ce qui était faible l’aimait et lui faisait fête : les lapins couraient devant lui, les chevreuils le suivaient comme s’il eût été le berger de leur troupeau sauvage, et les oiseaux volaient au-dessus de sa tête en lui chantant leurs plus mélodieuses chansons ; et, parmi les oiseaux, les rossignols surtout, dont il y avait tous les ans un nid sur le buisson où il avait été trouvé, si bien que leur langage, inintelligible pour les autres, était compréhensible pour lui, et qu’il entendait tout ce qu’ils disaient. Le vieil ermite voyait cela en pleurant de joie et en disant que le jeune homme était béni de Dieu. Le premier chagrin qu’eut Lyderic fut causé par la mort de sa bonne biche : l’enfant ne savait point ce que c’était que la mort. Le vieillard le lui expliqua ; mais l’explication, au lieu de le consoler, le rendit plus triste encore. Il creusa une fosse pour elle, la recouvrit de terre et de gazon, puis il s’assit en pleurant près de la tombe. Alors un rossignol se mit à chanter au-dessus de sa tête : « Tout vient de Dieu, tout retourne à Dieu, l’éphémère en une seconde, l’insecte en une heure, la rose en un jour, le papillon en six mois, le rossignol en un lustre, la biche en quinze ans et l’homme en un siècle, et depuis l’éphémère qui a vécu une seconde jusqu’à l’homme qui a vécu un siècle, une fois mort, il semblera à l’éphémère, à l’insecte, au rossignol, à la biche et à l’homme, qu’ils auront vécu le même temps, car ils n’auront plus d’autre horloge que celle de l’éternité, dont un battement dit : jamais, et l’autre battement : toujours. « Dieu est immortel, louons Dieu. » Et le rossignol se mit alors à chanter, toujours dans son langage, un cantique si plein de foi, que Lyderic leva son regard au ciel, et qu’un rayon de soleil sécha les larmes qui coulaient de ses yeux : l’enfant était consolé. Cependant la consolation n’est pas l’oubli : l’une est la fille de la foi, l’autre est le fils de l’égoïsme. Tous les jours Lyderic venait rendre visite à la tombe de la biche, sur laquelle poussaient des fleurs, et autour de laquelle chantaient les oiseaux. Peu à peu le gazon qui la couvrait se confondit avec le gazon voisin : à la fin de l’année, à peine s’il pouvait reconnaître la place. L’hiver vint, la terre se couvrit de neige ; puis le printemps reparut à son tour, étendant sur la terre son tapis d’herbe tout brodé de fleurs ; la nature était plus belle que jamais ; mais tout vestige du tombeau de la pauvre biche avait disparu, et il fut impossible à Lyderic de retrouver même sa place.
Tandis qu’il la cherchait, courbé vers la terre, le rossignol chanta : « Cherche, Lyderic, cherche ; mais tu chercheras vainement. Le monde n’est formé que de débris humains ; chaque atome de poussière a appartenu à un être animé : si toute fosse ne s’affaissait d’elle-même, la terre aurait plus de vagues que l’Océan, et l’homme ne trouverait pas de place pour sa tombe entre la tombe de ses pères et celle de ses fils. » Lorsque Lyderic eut atteint l’âge de quinze ans, le vieil anachorète commença de lui apprendre l’histoire : c’était un ancien clerc fort savant, tout à fait versé dans les langues anciennes, de sorte que les temps païens lui étaient familiers. Il résulta de ces connaissances qu’à ses trois héros bibliques Lyderic ne tarda point d’ajouter Alexandre, Annibal et César. Il lui apprit ensuite comment ce monde romain, si vaste qu’au-delà de ses frontières on ne connaissait que déserts inhabités ou mers innavigables, s’était un jour lézardé par le milieu, si bien que de chacun de ses deux morceaux on avait fait un empire. Il lui raconta comment les nations asiatiques, poussées par la voix de Dieu, s’étaient tout à coup répandues sur l’Europe pour rajeunir, de leur sang barbare, le corps corrompu de la vieille civilisation, et comment à cette heure même ils accomplissaient leur œuvre régénératrice, les Visigoths en Espagne, les Lombards en Italie et les Francs dans les Gaules. Ces récits mêlés de combats et de guerre avaient pour Lyderic un tel charme qu’il était rare que le vieillard eût besoin de répéter deux fois la même histoire pour que cette histoire se fixât dans son esprit. Il en résulta qu’à l’âge de dix-huit ans Lyderic, dont la double éducation physique et morale était accomplie, était, quoiqu’il n’eût point quitté sa forêt nourricière, un des hommes les plus forts et les plus savants, non seulement du royaume des Francs, mais encore du monde tout entier. Alors, comme s’il n’eût attendu que ce moment pour terminer sa longue et sainte carrière, le digne anachorète, qui venait d’atteindre sa centième année, tomba malade ; et, sentant que sa fin approchait, après avoir raconté à Lyderic tout ce qu’il savait sur son compte, lui remit un chapelet auquel pendait une médaille de la Vierge, et qui, étant roulé autour de son cou le jour où il l’avait trouvé, était le seul signe à l’aide duquel il pût reconnaître ses parents ; puis il le laissa libre de vivre dans la retraite comme il avait vécu jusqu’alors, ou d’entrer dans le monde, certain que, quelque voie que le pieux jeune homme suivît, cette voie lui serait tracée par le doigt du Seigneur. Puis, ce dernier soin accompli, il alla rendre compte à Dieu d’un siècle tout entier consacré à son service. Ce fut la seconde grande douleur de Lyderic : si certain qu’il fût que le digne vieillard était à cette heure au rang des élus, tout en glorifiant sa mémoire il n’en pleurait pas moins sa perte. Pendant toute la journée et toute la nuit il pria près de lui, afin qu’il veillât sur lui du haut du ciel, comme il avait l’habitude de faire sur la terre ; et, le jour venu, il le coucha dans la fosse que le vieil ermite s’était creusée lui-même, et sur la fosse il planta un jeune marronnier, afin que la tombe de son père ne fût point perdue comme celle de sa nourrice. Puis, ces derniers devoirs accomplis, se croyant seul sur la terre, Lyderic s’assit au pied de l’arbre qu’il venait de planter, incertain s’il devait, comme l’ermite, passer sa vie dans ce petit coin du monde, inconnu et priant, ou s’il devait, comme les autres hommes, se mettre à la poursuite de ces deux fantômes aux pieds légers, qu’on appelle la gloire et la fortune. Comme son esprit flottait irrésolu d’un désir à l’autre, le rossignol vint se reposer sur l’arbre qu’avait planté Lyderic et se mit à chanter : « Il y a deux choses sacrées dans le monde entre les choses sacrées, c’est la tombe d’un père et la vieillesse d’une mère. Il est un devoir à accomplir entre tous les devoirs, c’est celui qui prescrit à l’enfant de fermer les yeux qui ont vu s’ouvrir les siens. » Lyderic comprit le conseil que lui donnait le rossignol, et, ayant coupé un jeune chêne pour s’en faire un bâton de voyage, il se mit en route sans inquiétude, certain qu’il trouverait partout des racines pour apaiser sa faim et une source pour étancher sa soif. Lyderic marcha trois jours sans trouver la fin de la forêt, puis, vers le matin du quatrième jour, ayant entendu des coups de marteau, il se dirigea vers le bruit. Bientôt un nouveau
guide vint à son secours, c’était la fumée qui s’élevait au-dessus des arbres. Lyderic doubla le pas, et, au bout d’un instant, il se trouva près d’une forge immense dans laquelle s’agitaient, comme dans un enfer, une douzaine de forgerons qui obéissaient aux ordres d’un homme qui paraissait leur chef. Au-dessus de la porte de la forge était une enseigne avec ces mots : Maître Mimer, armurier.
Lyderic s’arrêta un instant derrière un arbre : c’était la première fois qu’il allait se trouver en contact avec les hommes, et il était défiant comme un jeune daim. Pendant qu’il était là, il vit un beau chevalier qui arrivait à cheval, vêtu d’une armure complète, moins une épée. Parvenu devant la porte de maître Mimer, il descendit de son cheval, en jeta la bride aux mains de son écuyer et entra dans la forge. Maître Mimer ouvrit alors une armoire et présenta au chevalier une magnifique épée : celui-ci la lui paya en pièces d’or, puis, s’étant remis en selle, il continua son chemin et disparut.
A la vue de cette épée, l’envie prit à Lyderic d’en avoir une pareille.
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3 Chapitre
omme Lyderic n’avaitpas d’or pour acheter l’épée qu’il convoitait, il résolut de s’en forger une lui-même. Alors, s’approchant de la forge : marCteaux ; j’y travaillerai deux heures par jour ; le reste de mon temps sera à toi, et, en – Maître, dit-il en s’adressant à Mimer, je voudrais bien une épée comme celle que tu viens de vendre à ce chevalier ; mais, comme je n’ai ni or ni argent pour l’acheter, il faut que tu me permettes de la faire moi-même à ta forge et avec tes échange de ce temps, tu me donneras une barre de fer : le reste me regarde. A cette demande étrange et à la vue de cet enfant sans barbe, les compagnons se mirent à rire, et maître Mimer, le regardant par-dessus son épaule : – J’accepte ta proposition, lui dit-il ; mais encore faut-il que je sache si tu as la force de lever un marteau. Lyderic sourit, entra dans la forge, prit la masse la plus pesante, et, la faisant voltiger d’une seule main autour de sa tête, comme un enfant aurait fait d’un maillet en bois, il en frappa un si rude coup sur l’enclume que l’enclume s’enfonça d’un demi-pied dans la terre ; et, avant que maître Mimer et ses compagnons fussent revenus de leur surprise, il avait frappé trois autres coups avec la même force et le même résultat, si bien que l’enclume était prête à disparaître. – Et maintenant, dit Lyderic en reposant sa masse, croyez-vous, maître Mimer, que je suis digne d’être votre apprenti ? Maître Mimer était stupéfait : il s’approcha de l’enclume, pouvant à peine croire ce qu’il avait vu, et essaya de l’arracher de terre ; mais, voyant qu’il ne pouvait y parvenir, il ordonna à ses compagnons de l’aider : les compagnons aussitôt se mirent à l’œuvre, mais tous leurs efforts furent inutiles ; alors on alla chercher des leviers, des cordes et un cabestan ; mais ni cabestan, ni cordes, ni leviers ne la purent faire bouger d’une ligne. Ce que voyant Lyderic, il prit pitié du mal que se donnaient ces pauvres gens ; et, leur ayant fait signe de s’écarter, il s’approcha de l’enclume à son tour et l’arracha avec la même facilité qu’un jardinier eût fait d’une rave. Maître Mimer n’avait garde de refuser un tel compagnon, car il avait mesuré du premier coup de quel secours il lui pouvait être ; en conséquence, il se hâta de dire à Lyderic qu’il acceptait les conditions qu’il lui avait proposées, tant il craignait que celui-ci ne se repentît d’avoir été si facile et ne lui en demandât d’autres. Mais, comme on le pense bien, Lyderic n’avait qu’une parole, et, à l’instant même, il fut installé chez maître Mimer, avec le titre de treizième compagnon.
Tout alla à merveille : Lyderic choisit la barre de fer qui lui convenait, et, tout en s’acquittant fidèlement des obligations contractées avec maître Mimer, grâce aux deux heures qu’il s’était réservées chaque jour, sans leçons, sans enseignement, rien qu’en imitant ce qu’il voyait faire, il parvint en six semaines à se forger la plus belle et la plus puissante épée qui fût jamais sortie des ateliers de maître Mimer. Elle avait près de six pieds de long, la poignée et la lame étaient faites d’un même morceau ; la lame était si fortement trempée qu’elle tranchait le fer comme une autre eût tranché le bois, et la poignée, si délicatement finie qu’on eût dit, non pas l’ouvrage d’un homme, mais l’œuvre des génies.
Lyderic l’appela Balmung. Quand maître Mimer vit cette belle épée, il en fut jaloux ; car il pensa qu’adroit et fort comme était Lyderic, il pourrait lui faire un grand tort s’il lui prenait envie de s’établir dans le canton : ce fut bien pis quand Lyderic lui demanda à rester chez lui encore trois autres mois pour se forger le reste de l’armure, convaincu qu’il était que les chevaliers qui verraient ce qui sortait de la main du compagnon ne voudraient plus de ce que faisait le maître. Aussi, tout en faisant semblant d’accepter aux mêmes conditions ce prolongement d’apprentissage, chercha-t-il les moyens de se débarrasser de Lyderic. En ce moment, son premier compagnon, nommé Hagen, qui craignait que le nouveau venu ne prît sa place, s’approcha de Mimer : – Maître, lui dit-il, je sais à quoi vous pensez : envoyez Lyderic faire du charbon dans la Forêt-Noire, et il sera immanquablement dévoré par le dragon. En effet, il y avait alors dans la Forêt-Noire un dragon monstrueux qui avait déjà dévoré mainte et mainte personne ; si bien que nul n’osait plus passer dans la forêt. Mais Lyderic ignorait cela, n’ayant jamais quitté la grotte du bon anachorète. Mimer trouva le conseil bon, et dit à Lyderic : – Lyderic, le charbon commence à nous manquer : il serait bon que tu allasses dans la Forêt-Noire et que tu renouvelasses notre provision. – C’est bien, maître, dit Lyderic, j’irai demain.
Le soir, Hagen s’approcha de Lyderic et lui donna le conseil d’aller faire son charbon à un endroit appelé le Rocher qui pleure, lui disant que c’était là où il trouverait les chênes les plus beaux et les hêtres les plus forts : Hagen lui indiquait cet endroit, parce que c’était celui où se tenait habituellement le dragon. Lyderic, sans défiance, se fit bien expliquer le chemin par Hagen, et résolut d’aller le lendemain faire son charbon à la place qu’on lui avait désignée.
Le lendemain, comme il allait partir, le plus jeune des compagnons monta à sa chambre : c’était un bel enfant à la figure ronde et enjouée, aux longs cheveux blonds et aux beaux yeux bleus, nommé Peters, qui était aussi bon que les autres compagnons étaient méchants. Aussi, comme il était le dernier, avait-il eu beaucoup à souffrir de ses camarades jusqu’au moment où Lyderic était entré dans la forge ; car, de ce moment, Lyderic s’était constitué son défenseur, et personne, dès lors, n’avait plus osé lui rien dire, ni lui faire aucun mal.
Peters venait dire à Lyderic de ne point aller à la forêt parce qu’il y avait un dragon ; mais Lyderic se mit à rire, et, tout en remerciant Peters de sa bonne intention, il ne s’apprêta pas moins à partir pour la forêt, mais toutefois après avoir pris Balmung, qu’il eût laissée sans doute s’il n’eût été averti. Maître Mimer lui demanda alors pourquoi il prenait son épée : Lyderic lui répondit que c’était pour couper les chênes et les hêtres dont il comptait faire son charbon. Puis, s’étant informé une seconde fois à Hagen du chemin qui conduisait au Rocher qui pleure, il se mit en route joyeusement. En arrivant au bord de la Forêt-Noire, Lyderic, qui craignait de se tromper, demanda à un paysan le chemin du Rocher qui pleure. Le paysan, croyant que Lyderic ignorait le danger qu’il y avait à s’approcher de cet endroit, lui dit qu’il se trompait sans doute ; que le rocher servait de caverne à un dragon qui avait dévoré déjà plus de mille personnes. Mais Lyderic répondit qu’il avait du charbon à faire en cet endroit, parce qu’on lui avait dit que c’était celui où il trouverait les chênes les plus beaux et les plus forts ; que, quant au dragon, s’il osait se montrer, il lui couperait la tête avec Balmung. Le paysan, convaincu que Lyderic était fou, lui indiqua la route qu’il demandait, puis se sauva à toutes jambes en faisant le signe de la croix. Lyderic entra dans le bois, et, lorsqu’il eut marché une heure à peu près dans la direction que lui avait indiquée le paysan, il reconnut à la beauté des chênes et à la force des hêtres qu’il devait approcher de la retraite du dragon. En outre, la terre était tellement semée d’ossements humains, qu’on ne savait où poser le pied pour ne point marcher dessus. En
effet, ayant fait quelques pas encore, il aperçut une énorme pierre, au bas de laquelle était l’ouverture d’une caverne. Comme cette pierre était toute mouillée par une source qui suintait le long de sa paroi, Lyderic reconnut la Roche qui pleure. Lyderic pensa que le plus pressé était d’exécuter d’abord les ordres de maître Mimer. En conséquence, il se mit à faire choix d’un emplacement pour établir son fourneau ; puis, ce choix fait, il frappa si rudement avec Balmung sur les arbres qui l’entouraient, qu’en moins d’un quart d’heure il eut construit un énorme bûcher. Le bûcher construit, Lyderic y mit le feu. Cependant, aux premiers coups qui avaient retenti dans la forêt, le dragon s’était éveillé et avait allongé la tête jusqu’à l’entrée de sa caverne. Lyderic avait vu cette tête qui le regardait avec des yeux flamboyants ; mais il avait pensé qu’il serait temps de s’interrompre de son ouvrage quand le dragon viendrait à lui. Cependant, soit que le monstre fût repu, soit qu’il vît à qui il avait affaire, il se tint tranquille tout le temps que Lyderic fut occupé à bâtir son fourneau ; mais, lorsqu’il vit briller la flamme, il se mit à siffler avec tant de violence, que tout autre que le jeune homme en eût été épouvanté. C’était déjà quelque chose, mais ce n’était point assez pour Lyderic, qui, afin de l’exciter davantage, prit des tisons ardents au bûcher et commença de les jeter à la tête du dragon. Le monstre, provoqué d’une façon aussi directe, sortit de la caverne, déroula ses longs anneaux et s’avança en battant des ailes vers Lyderic, qui, après avoir fait une courte prière, lui épargna la moitié du chemin. Aussitôt commença un combat terrible, pendant lequel le dragon poussait de si horribles hurlements, que les animaux qui étaient à deux lieues à la ronde sortirent de leurs tanières et s’enfuirent : il n’y eut qu’un rossignol qui resta tout le temps de la lutte perché sur une petite branche au-dessus de la tête de Lyderic, ne cessant d’encourager le jeune homme par son chant. Enfin, le dragon, percé déjà par plusieurs coups de la terrible Balmung, commença de battre en retraite vers son repaire, laissant le champ de bataille tout couvert d’une mare de sang. Mais Lyderic prit un tison allumé à son fourneau, le poursuivit dans sa caverne, où il s’enfonça après lui, et, au bout de dix minutes, reparut à l’entrée, tenant, comme le chevalier Persée, la tête du monstre à la main. Alors, en le voyant venir ainsi victorieux, le rossignol se mit à chanter : « Gloire à Lyderic, au pieux jeune homme qui a mis sa confiance en Dieu au lieu de la mettre en sa force. Qu’il dépouille ses vêtements, qu’il se baigne dans le sang du monstre, et il deviendra invulnérable. » Lyderic n’eut garde de négliger l’avis que lui donnait le rossignol ; il jeta aussitôt le peu de vêtements qu’il avait, s’approcha de la mare de sang qu’avait répandue le dragon ; mais, dans le trajet, une feuille de tilleul étant tombée sur son dos, elle s’y attacha, car, après un si rude combat, la peau du jeune homme était tout humide de sueur. Lyderic se roula dans le sang du monstre, et, à l’instant même, tout son corps se couvrit d’écailles, à l’exception de l’endroit où était tombée la feuille de tilleul. Le soir même, comme son charbon était fait, Lyderic en chargea un grand sac sur son dos, et, prenant à la main la tête du dragon, il s’achemina vers la forge de maître Mimer, où il arriva le lendemain matin.
L’étonnement fut grand à la forge : personne ne comptait plus voir Lyderic. Néanmoins, avec quelque sentiment qu’on le vît revenir, chacun lui fit bonne mine, et surtout Hagen, qui, pour rien au monde, n’aurait voulu que le jeune homme se doutât du mauvais tour qu’il avait voulu lui jouer. Mais le maître et lui, de plus en plus envieux contre Lyderic, rêvèrent aussitôt à quels nouveaux dangers ils pourraient l’exposer.
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