Extrait de  Le cinquième témoin" - Michael Connelly
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Description

Abandonnée par son mari, Lisa Trammel ne peut plus payer ses mensualités d'emprunt immobilier, et la Westland National Bank menace de saisir sa maison. Lisa est si révoltée par l'épidémie de saisies liée à la crise des subprimes qu'elle manifeste souvent et violemment devant la banque. Son avocat, Mickey Haller, espère gagner du temps en faisant traîner la procédure. Mais le dossier se corse quand Mitchell Bondurant, un cadre dirigeant de la Westland, est retrouvé mort dans le parking de son agence. Lisa est accusée du meurtre. Au fur et à mesure qu'il monte un système de défense bien hasardeux, Haller découvre un certain nombre d'éléments qui l'amènent à douter de sa cliente et de lui-même, et ce, jusqu’au verdict. Un magnifique polar de procédure imbriqué dans la crise des subprimes dont les Etats-Unis et le monde continuent de subir les désastreuses conséquences.

Informations

Publié par
Publié le 21 mai 2014
Nombre de lectures 214
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

MICHAEL CONNELLY
Le Cinquième Témoin
ROMAN TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR ROBERT PÉPIN
CALMANN-LÉVY
PREMIÈRE PARTIE
LA FORMULE MAGIQUE
1
Mme Pena me regarda par-dessus le dossier de son siège et leva les mains en un geste de supplication. Elle parlait avec un fort accent, mais avait choisi l’anglais pour me lancer son dernier appel. — S’ilvous plaît, vous m’aidez, monsieur Mickey ? Je jetai un coup d’œil à Rojas, qui s’était retourné alors que je n’avais pas besoin de sa traduction. Puis je regardai par-dessus l’épaule de Mme Pena, là-bas, de l’autre côté de la vitre, la maison à laquelle elle s’accrochait désespérément. Deux pièces, murs d’un rose délavé, petit jardin misérable derrière une barrière en fil de fer. L’escalier en béton qui conduisait à la véranda était couvert de bombages indéchiffrables à l’exception du nombre 13. Rien à voir avec une adresse. Mais tout avec un serment d’allégeance. Je finis par reposer les yeux sur elle. Âgée de quarante-quatre ans, elle avait du charme, d’un genre un rien fané. Mère célibataire de trois adolescents, elle n’avait pas payé ses traites depuis neuf mois. La banque venait de saisir ses avoirs et s’apprêtait à vendre sa maison. La vente aux enchères devait avoir lieu trois mois plus tard. Peu importait que son bien 11
ne vaille pas grand-chose ou qu’il se trouve au cœur d’un quartier de South L. A. infesté de gangs. Quelqu’un en ferait l’acquisition et Mme Pena en deviendrait locataire au lieu de propriétaire – à condi-tion que ce dernier ne l’expulse pas… Cela faisait des années qu’elle comptait sur la protection de la Florencia 13. Mais les temps avaient changé. Plus aucune allégeance à un gang quelconque ne pouvait l’aider à présent. C’était d’un avocat qu’elle avait besoin. Moi. — Dis-luique je ferai de mon mieux, lançai-je. Dis-lui que je suis à peu près certain de pouvoir arrêter la vente aux enchères et de contester la validité de la sai-sie. Cela permettra au moins de ralentir la procédure. Et de bâtir un plan à long terme. Peut-être même de la remettre sur pied. Je hochai la tête et attendis que Rojas traduise. Il me servait de chauffeur et de traducteur depuis que j’avais souscrit au package publicitaire proposé par les sta-tions de radio espagnoles. Je sentis mon portable vibrer dans ma poche. Le haut de ma cuisse comprit qu’il s’agissait d’un texto, au contraire d’un appel téléphonique qui déclenchait une vibration plus longue. Mais ceci ou cela, je les ignorai. Et lorsque Rojas eut fini, je repris la parole avant même que Mme Pena ait le temps de réagir. — Dis-luide bien comprendre que ce n’est pas la solution à tous ses problèmes. Je peux faire traîner pour négocier avec sa banque. Mais je ne peux pas lui garantir qu’elle ne perdra pas sa maison. Et d’ailleurs, elle l’a déjà perdue. Je vais la récupérer, mais il fau-dra qu’elle se débrouille avec la banque. 12
Rojas traduisit, en faisant des gestes là où je n’en avais pas fait. La vérité était bien que Mme Pena allait finir par devoir s’en aller. La seule question était de savoir jusqu’à quand elle voulait que je tienne. Si elle se mettait en faillite personnelle, cela ajouterait un an à ma défense contre sa saisie. Mais elle n’avait pas à en décider tout de suite. — Bon,et dis-lui aussi que j’ai besoin d’être payé. Donne-lui l’échéancier. Mille dollars d’acompte et les versements mensuels. — Combienpar mois et pendant combien de temps ? Je regardai à nouveau la maison. Mme Pena m’avait invité à entrer, mais j’avais préféré la rencontrer dans ma voiture. Nous nous trouvions dans des lieux où l’on flingue depuis des véhicules en mouvement et j’étais assis dans ma Lincoln Town Car BPS – BPS comme Ballistic Protection Series.Je l’avais achetée à la veuve d’un homme de main du cartel de Sinaloa qui venait de se faire assassiner. Les portières étaient blin-dées et les vitres à l’épreuve des balles avec trois couches de verre laminé. Les fenêtres de la maison rose de Mme Pena, elles, ne l’étaient pas. Et la leçon à tirer de ce qui était arrivé au type de Sinaloa est qu’on ne quitte pas sa voiture blindée à moins d’y être obligé. Mme Pena m’avait expliqué un peu plus tôt que les mensualités qu’elle ne payait plus depuis neuf mois s’élevaient à sept cents dollars. Elle continuerait donc de suspendre tout paiement à la banque aussi longtemps que je serais sur l’affaire. Vu que pour elle, tout serait à l’œil tant que j’arriverais à tenir la banque en respect, il y avait de l’argent à se faire sur ce coup-là.
13
— Ondit deux cent cinquante chaque mois, répon-dis-je à Rojas. Et je lui fais une fleur. Fais en sorte qu’elle se rende bien compte que c’est sympa de ma part et qu’il n’est pas question qu’elle paie en retard. On acceptera sa carte de crédit s’il y a du fric dessus. Et fais attention à ce qu’elle n’expire pas avant décembre 2012. Rojas traduisit, en faisant encore plus de gestes et en utilisant bien plus de mots que moi tandis que je sortais mon portable de ma poche. Le texto était de Lorna Taylor :Appelle dès que possible. J’allais devoir la rappeler après l’entretien avec ma cliente. Un cabinet d’avocats typique aurait disposé d’une réceptionniste et d’un assistant pour l’adminis-tratif. Mais comme moi, je n’avais pour tout bureau que la banquette arrière de ma Lincoln, c’était Lorna qui s’occupait de tout et répondait au téléphone depuis l’appartement de West Hollywood qu’elle par-tageait avec mon enquêteur principal. Ma mère étant née mexicaine, je connaissais mieux la langue maternelle de Mme Pena que je le laissais entendre. Lorsqu’elle répondit, je saisis ce qu’elle disait – l’essentiel en tout cas. Mais je laissai Rojas tout me retraduire. Elle promettait d’aller chercher le dépôt de garantie de mille dollars cash dans la maison et de régler consciencieusement ses mensualités. À moi, pas à la banque. Je pensais pouvoir tirer un total de quatre mille dollars de l’affaire si j’arrivais à pro-longer de un an son droit d’occuper les lieux. Ça n’était pas si mal, vu tout ce que ça demanderait de boulot. Il était probable que je ne la revoie plus jamais. J’allais déposer une requête en annulation de saisie et ferais traîner les choses. Il y avait de fortes chances pour que 14
je ne sois même pas obligé de me montrer au tribunal. Ma jeune associée s’occuperait du côté procès de l’af-faire. Mme Pena serait contente, et moi aussi. Cela dit, la sentence finirait par tomber. On n’y échappe pas. Je pensais avoir un dossier viable alors même que Mme Pena n’avait rien de sympathique à offrir à la jus-tice. La plupart de mes clients cessent de payer la banque après la perte de leur emploi ou une catastrophe médicale. Mme Pena, elle, avait mis fin à ses paiements lorsque, ses trois fils étant incarcérés pour trafic de dro-gue, le soutien financier qu’ils lui fournissaient avait brusquement pris fin. Ce n’était pas le genre d’histoire qui suscitait beaucoup de compréhension. Cela dit, la banque lui avait fait des coups en traître. J’avais consulté son dossier sur mon portable. Tout y était : la pièce attestant les mises en demeure de règlements, puis la saisie. Sauf que ces mises en demeure, Mme Pena disait ne les avoir jamais reçues. Et je la croyais. Elle n’habitait pas un quartier où les huissiers ont la répu-tation de se balader librement. Pour moi, ces mises en demeure avaient terminé à la poubelle et l’huissier avait menti, tout simplement. Que j’arrive à le prouver et j’aurais le moyen d’obliger la banque à lâcher ma cliente. Telle serait donc ma stratégie : la pauvre femme n’avait jamais été avertie comme il convient des périls qui la guettaient. La banque avait profité d’elle, puis décrété la saisie sans jamais lui fournir la possibilité de rembourser ses arriérés – en conséquence de quoi la cour se devait de rappeler la banque à l’ordre. — OK, repris-je, marché conclu. Dis-lui d’aller chercher l’argent chez elle pendant que je lui imprime un contrat et son reçu. On démarre tout de suite. 15
Je hochai la tête et souris à Mme Pena. Rojas tra-duisit, puis sauta de la voiture et en fit le tour pour lui ouvrir la portière. Dès qu’elle fut dehors, j’ouvris mon modèle de contrat en langue espagnole sur mon ordinateur et y entrai les noms et montants nécessaires. Puis j’envoyai tout ça à l’imprimante posée sur la console électro-nique à l’avant de la voiture. Après quoi, je m’attaquai au reçu des sommes devant être déposées sur le compte en fidéicommis de ma cliente. Rien de caché là-dedans. Comme toujours. C’est la meilleure façon d’empêcher le barreau de Californie de me renifler l’arrière-train. J’ai peut-être une voiture à l’épreuve des balles, mais c’est du barreau que je me méfie le plus. L’année n’avait pas été rose pour le cabinet Michael Haller and Associates. La défense au pénal s’était presque tarie depuis la crise. Mais bien sûr, le crime, lui, n’avait pas dépéri. À Los Angeles, le crime se moque bien de l’état de l’économie. Néanmoins, les clients qui paient se faisaient rares. À croire que plus personne n’avait de quoi s’offrir les services d’un avo-cat. Conséquence logique, le bureau des avocats com-mis d’office était au bord de l’explosion tant il avait d’affaires alors que les types dans mon genre crevaient de faim. J’avais des frais et une fille de quatorze ans, qui non seulement suivait les cours d’une école privée, mais parlait université de Californie du Sud chaque fois qu’on abordait le sujet des études supérieures. Je devais trouver une solution, j’avais donc fait ce que je consi-dérais jadis comme impensable : j’étais passé au civil. Le seul secteur du droit à être florissant était la défense contre les saisies immobilières. J’avais suivi quelques 16
séminaires du barreau, m’étais remis à niveau et avais commencé à passer des annonces en deux langues. J’avais aussi lancé quelques sites Web et acheté les listes de requêtes en saisie enregistrées au greffe du comté. C’était comme ça que j’avais trouvé Mme Pena. Par courrier. Son nom se trouvant sur la liste, je lui avais envoyé une lettre – en espagnol – pour lui offrir mes services. Elle m’avait dit que ç’avait été le pre-mier signal lui indiquant qu’elle était victime d’une saisie. À suivre le proverbe, il suffirait de s’y mettre pour qu’on vienne à vous. C’était vrai. Je récoltais plus d’af-faires que je ne pouvais en traiter – j’avais, rien que ce jour-là, encore six rendez-vous après Mme Pena –, et j’avais dû pour la première fois de ma carrière enga-ger un associé de plus au cabinet. L’épidémie natio-nale de saisies de biens immobiliers connaissait certes une baisse, mais était loin de s’apaiser. Rien que dans le comté de Los Angeles, j’avais de quoi manger à ce râtelier pendant des années et des années. Cela ne rapportait que quatre ou cinq mille dollars par affaire, mais l’heure était à la quantité plutôt qu’à la qualité. J’avais plus de quatre-vingt-dix clients vic-times de saisie dans mon portefeuille. Plus aucun doute possible : ma fille pouvait envisager d’aller à l’univer-sité de Californie du Sud. Que diable, elle pouvait même songer à y passer une maîtrise ! Il y avait des gens pour qui je faisais partie inté-grante du problème, pour qui je ne faisais qu’aider des crevards à blouser le système et ainsi repousser à plus tard le redressement économique du pays. C’était pro-bablement le cas de certains de mes clients. Mais pour la plupart, je voyais en eux des victimes à répétition. 17
Des gens qu’on avait commencé par tromper sur le rêve américain d’être propriétaire de sa maison alors qu’ils n’avaient même pas de quoi songer à contracter un emprunt. Et qu’on avait ensuite à nouveau marty-risés lorsque, la bulle spéculative éclatant, des prêteurs sans scrupule les avaient piétinés dans une véritable frénésie de saisies. Les trois quarts de ces individus, tout fiers de posséder une maison, n’avaient aucune chance de résister aux lois et aux règlements parfaite-ment huilés du droit de saisie en Californie. La banque n’avait même pas besoin de l’approbation de la justice pour reprendre sa maison àxouy. D’après les grands esprits de la finance, c’était ainsi qu’il convenait d’agir. Il fallait avancer, point final. Plus vite la crise touche-rait le fond, plus vite le redressement se ferait. Et moi je dis : « Allez donc raconter ça à Mme Pena. » Il y avait aussi une théorie selon laquelle tout cela faisait partie d’une conspiration ourdie par les plus grandes banques du pays afin de subvertir les lois de la propriété privée et de saboter le système judiciaire. Cela afin de créer une industrie de la saisie en recy-clage permanent et lui permettre de jouer sur les deux tableaux. Je n’y croyais pas vraiment. Mais mon bref séjour dans ces territoires du droit m’avait fait décou-vrir assez d’actes contraires à la déontologie – voire relevant de la véritable prédation – de la part d’hommes d’affaires censément légitimes pour que j’en vienne à regretter le bon vieux droit pénal. Debout à côté de la voiture, Rojas attendait que Mme Pena revienne avec l’argent. Je jetai un coup d’œil à ma montre et vis que nous allions être en retard à notre rendez-vous – une saisie de bien commercial à Compton. J’essayais de regrouper mes consultations 18
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