Vous qui passez… Dans la cour, il y a un cerisier au milieu d’une pelouse, on est saisi par l’atmosphère douce et très calme. Un merle sautille sur les pavés. Je transporte des cartons. Je viens d’emménager ici. Je remplis la cave de vieux papiers que je ne relirai jamais. Je crains les caves, je ne m’y hasarde que sous la contrainte. Celle-ci a la porte arrachée, un sol suintant. Un fil électrique se balance au milieu de nulle part, je n’y redescendrai pas de sitôt. J’entasse de la vaisselle ébréchée, des tasses fendues, des bibelots chinois et de vieux manteaux habités par les mites, des choses que je n’ai pas osé jeter, et qui, dans cette pièce noire, sont encore plus abandonnées. Je peine à m’enraciner. Je détourne le regard du passé qui se fait poussière, mais quoi regarder, alors? Convoquant ceux qui P001-180-9782246858454.indd 11 11 30/11/2016 15:07 Vie de ma voisine sont morts ou celles que l’on ne verra plus, les déménagements ont la violence des deuils. Je fuis le passé, le regard perdu. Alors, devant l’ascenseur de l’escalier D, quelqu’un surgit. Je voudrais vous parler, dit-elle avec timidité. Elle a un petit mouvement de recul et j’en ai un moi-même, nous avons peut-être en commun la peur d’être de trop et de déranger. (Ou alors serait-ce que nous n’aimons pas qu’on nous envahisse, qu’on nous dérange.) Elle a senti mon léger mouvement. Toutes deux nous faisons un effort. Je veux vous parler de Charlotte Delbo, dit-elle, très vite.
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