Guy de Maupassant
Une Soirée
Boule de suif, P. Ollendorff, 1907 (pp. 183-191).
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Une Soirée
Le maréchal des logis Varajou avait obtenu huit jours de permission pour les
mepasser chez sa sœur, M Padoie. Varajou, qui tenait garnison à Rennes et y
menait joyeuse vie, se trouvant à sec et mal avec sa famille, avait écrit à sa sœur
qu’il pourrait lui consacrer une semaine de liberté. Ce n’est point qu’il aimât
mebeaucoup M Padoie, une petite femme moralisante, dévote, et toujours irritée ;
mais il avait besoin d’argent, grand besoin, et il se rappelait que, de tous ses
parents, les Padoie étaient les seuls qu’il n’eût jamais rançonnés.
Le père Varajou, ancien horticulteur à Angers, retiré maintenant des affaires, avait
fermé sa bourse à son garnement de fils et ne le voyait guère depuis deux ans. Sa
fille avait épousé Padoie, ancien employé des finances, qui venait d’être nommé
receveur des contributions à Vannes. Donc Varajou, en descendant du chemin de
fer, se fit conduire à la maison de son beau-frère. Il le trouva dans son bureau, en
train de discuter avec des paysans bretons des environs. Padoie se souleva sur sa
chaise, tendit la main par-dessus sa table chargée de papiers, murmura :
« Prenez un siège, je suis à vous dans un instant », se rassit et recommença sa
discussion.
Les paysans ne comprenaient point ses explications, le receveur ne comprenait
pas leurs raisonnements ; il parlait français, les autres parlaient breton, et le
commis qui servait ...
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