Guy de Maupassant
Contes du jour et de la nuit
C. Marpon et E. Flammarion, 1885 (pp. 135-153).
On l’appelait dans le monde : le « beau Signoles. » Il se nommait le vicomte
Gontran-Joseph de Signoles.
Orphelin et maître d’une fortune suffisante, il faisait figure, comme on dit. Il avait de
la tournure et de l’allure, assez de parole pour faire croire à de l’esprit, une certaine
grâce naturelle, un air de noblesse et de fierté, la moustache brave et l’œil doux, ce
qui plaît aux femmes.
Il était demandé dans les salons, recherché par les valseuses, et il inspirait aux
hommes cette inimitié souriante qu’on a pour les gens de figure énergique. On lui
avait soupçonné quelques amours capables de donner fort bonne opinion d’un
garçon. Il vivait heureux, tranquille, dans le bien-être moral le plus complet. On savait
qu’il tirait bien l’épée et mieux encore le pistolet.
— Quand je me battrai, disait-il, je choisirai le pistolet. Avec cette arme, je suis sûr
de tuer mon homme.
Or, un soir, comme il avait accompagné au théâtre deux jeunes femmes de ses
amies, escortées d’ailleurs de leurs époux, il leur offrit, après le spectacle, de
prendre une glace chez Tortoni. Ils étaient entrés depuis quelques minutes, quand il
s’aperçut qu’un monsieur assis à une table voisine regardait avec obstination une
de ses voisines. Elle semblait gênée, inquiète, baissait la tête. Enfin elle dit à son
mari :
— Voici un homme qui me dévisage. Moi, je ne le connais pas ; le connais-tu ?
Le mari, qui ...
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