Le Rosier de Madame HussonGuy de MaupassantUn échecGil Blas, 16 juin 1885UN ÉCHEC──────J’allais à Turin en traversant la Corse.Je pris à Nice le bateau pour Bastia, et, dès que nous fûmes en mer, je remarquai,assise sur le pont, une jeune femme gentille et assez modeste, qui regardait au loin.Je me dis : « Tiens, voilà ma traversée. »Je m’installai en face d’elle et je la regardai en me demandant tout ce qu’on doit sedemander quand on aperçoit une femme inconnue qui vous intéresse : sa condition,son âge, son caractère. Puis on devine, par ce qu’on voit, ce qu’on ne voit pas. Onsonde avec l’œil et la pensée les dedans du corsage et les dessous de la robe. Onnote la longueur du buste quand elle est assise ; on tâche de découvrir la cheville ;on remarque la qualité de la main qui révélera la finesse de toutes les attaches, etla qualité de l’oreille qui indique l’origine mieux qu’un extrait de naissance toujourscontestable. On s’efforce de l’entendre parler pour pénétrer la nature de son esprit,et les tendances de son cœur par les intonations de sa voix. Car le timbre et toutesles nuances de la parole montrent à un observateur expérimenté toute la contexturemystérieuse d’une âme, l’accord étant toujours parfait, bien que difficile à saisir,entre la pensée même et l’organe qui l’exprime.Donc j’observais attentivement ma voisine, cherchant les signes, analysant sesgestes, attendant des révélations de toutes ses attitudes.Elle ouvrit un petit sac et tira ...
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