Monsieur Parent
Guy de Maupassant
Tribunaux rustiques
Gil Blas, 25 novembre 1884
La salle de la justice de paix de Gorgeville est pleine de paysans, qui attendent,
immobiles le long des murs, l'ouverture de la séance.
Il y a des grands et des petits, des gros rouges et des maigres qui ont l'air taillés
dans une souche de pommier. Ils ont posé par terre leurs paniers et ils restent
tranquilles, silencieux, préoccupés par leur affaire. Ils ont apporté avec eux des
odeurs d'étable et de sueur, de lait aigre et de fumier. Des mouches bourdonnent
sous le plafond blanc. On entend, par la porte ouverte, chanter les coqs.
Sur une sorte d'estrade s'étend une longue table couverte d'un tapis vert. Un vieux
homme ridé écrit, assis à l'extrémité gauche. Un gendarme, raide sur sa chaise,
regarde en l'air à l'extrémité droite. Et sur la muraille nue, un grand Christ de bois,
tordu dans une pose douloureuse, semble offrir encore sa souffrance éternelle pour
la cause de ces brutes aux senteurs de bêtes.
M. le juge de paix entre enfin. Il est ventru, coloré, et il secoue, dans son pas rapide
de gros homme pressé, sa grande robe noire de magistrat ; il s'assied, pose sa
toque sur la table et regarde l'assistance avec un air de profond mépris.
C'est un lettré de province et un bel esprit d'arrondissement, un de ceux qui
traduisent Horace, goûtent les petits vers de Voltaire et savent par coeur Vert-Vert
ainsi que les poésies grivoises de Parny.
Il prononce :
- Allons, monsieur Potel, ...
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