Sacrifice de Joyce Carol Oates
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Description

Sacriice Du même auteur Aux éditionsPhilippeRey Délicieuses pourritures La Foi d’un écrivain Les Chutes(prix Femina étranger) Viol, une histoire d’amour Vous ne me connaissez pas Les Femelles Mère disparue La Fille du fossoyeur Journal 1973-1982 Fille noire,ille blanche Vallée de la mort Petite sœur, mon amour Folles nuits J’ai réussi à rester en vie Le Musée du Dr Moses Petit oiseau du ciel Étoufements Le Mystérieux Mr Kidder Cher époux Mudwoman Maudits Premier amour Carthage Daddy Love Dahlia noir & Rose blanche Aux éditionsStock Amours profanes Aile de corbeau Haute enfance La Légende de Bloodsmoor Marya Le Jardin des délices Mariages et Inidélités Suite enin de volume Joyce Carol Oates Sacriice r o m a n Traduit de l’anglais(États-Unis) parClaudeSeban Philippe Rey « Angelof Wrath» (Ange de colère) est d’abord paru dansTweed’s Magazine of Literature & Art, n°1, en 2014. Titre original :he Sacriice © 2015 byhe Ontario Review. Published by arrangement with Ecco, an imprint of HarperCollins Publishers. All rights reserved. Pour la traduction française © 2016, Éditions Philippe Rey 7, rue Rougemont – 75009 Paris www.philippe-rey.fr Pour Richard Levao et pour Charlie Gross La mère 6 OC T O B R E1 9 8 7 P A S C A Y N E ,N E WJ E R S E Y Zavez vu maille ?Mon bébé? Elle arriva telle une procession de voix bien qu’elle ne fût qu’une voix unique.

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Publié le 19 octobre 2016
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Langue Français
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Extrait

Sacriice
Dumêmeauteur
AuxédItIonsPhIlIppeRey Délicieuses pourritures La Foi d’un écrivain Les Chutes(prix Femina étranger) Viol, une histoire d’amour Vous ne me connaissez pas Les Femelles Mère disparue La Fille du fossoyeur Journal 1973-1982 Fille noire,ille blanche Vallée de la mort Petite sœur, mon amour Folles nuits J’ai réussi à rester en vie Le Musée du Dr Moses Petit oiseau du ciel Étoufements Le Mystérieux MrKidder Cher époux Mudwoman Maudits Premier amour Carthage Daddy Love Dahlia noir & Rose blanche
AuxédItIonsStock Amours profanes Aile de corbeau Haute enfance La Légende de Bloodsmoor Marya Le Jardin des délices Mariages et Inidélités
Suite enin de volume
Joyce Carol Oates
Sacriice
r o m a n
TraduItdelanglaIstats-UnIs) parClaudeSeban
Philippe Rey
« Angel of Wrath » (Ange de colère) est d’abord paru dansTweed’s Magazine of Literature & Art, n°1, en 2014.
Titre original :he Sacriice © 2015 byHe Ontario Review. Published by arrangement with Ecco, an imprint of HarperCollins Publishers. All rights reserved.
Pour la traduction française © 2016, Éditions Philippe Rey 7, rue Rougemont – 75009 Paris
www.philippe-rey.fr
Pour Richard Levao et pour Charlie Gross
La mère
6 O C T O B R E 1 9 8 7 P A S C A Y N E , N E W J E R S E Y
Zavez vu maille ? Mon bébé ? Elle arriva telle une procession de voix bien qu’elle ne fût qu’une voix unique. Elle arriva le long de Camden Avenue dans le bas quartier de Red Rock, dans le centre-ville de Pascayne, douze pâtés d’immeubles comprimés entre les voies de la New Jersey Turnpike et le cours de la Passaic. Dans l’ombre sinistre des hautes travées du pont Pitcairn, elle arriva. Telle une mère de l’Ancien Testament cherchant son enfant perdu. Elle arriva à pied, silhouette vacillante, gauche à force d’anxiété, foulard rouge hâtivement noué sur la tête, vêtementsLottant sur un corps opulent et sans taille. Dans les rues Depp, Washburn, Barnegat et Crater, elle fut aperçue et par des gens qui recon-naissaient son visage mais n’auraient su dire son nom, et par des gens qui savaient qu’elle était Ednetta – Ednetta Frye – l’une des femmes d’Anis Schutt, mais qui pour la plupart n’auraient su dire si Anis Schutt vivait ou avait jamais vécu avec cette femme entre deux âges. Elle fut aperçue par des inconnus qui ne savaient rien d’Ednetta Frye ni d’Anis Schutt, mais qu’arrê-taient net l’angoisse peinte sur son visage, la supplication de son regard, sa voix rauque et tremblante –Quelqu’un a vu ma ille S’billa ?
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C’était un milieu de matinée dans la lumière blanche d’un jour maussade sentant l’odeur de la Passaic – une odeur chimique douceâtre, mêlée de relents acides de pourriture. C’était un milieu de matinée succédant à une nuit de pluie battante, partout sur les chaussées défoncées desLaques scintil-laient comme des feuilles de métal. Mai?lle S’billa… quelqu’un l’a vue La mère anxieuse avait des photos à montrer aux passants (étonnés, généralement compatissants) à qui elle semblait s’adresser au petit bonheur: des photos d’une jeuneille, sombre de peau, les yeux vifs, une coquetterie dans l’œil gauche et un sourire brèche-dent enfantin. Sur certaines, elle ne semblait pas avoir plus de onze ou douze ans, sur les plus récentes elle en paraissait à peu près quatorze. Ses cheveux noirs, épais et frisés, retenus par un foulard de couleur vive, dégageaient un front plissé. Elle avait les yeux d’un noir brillant, ourlés de cils épais, en amande comme ceux de sa mère. S’billa l’est jeune pour son âge, et elle fait coniance… elle sou-rit n’importe qui. Dans le salon de coifure Jubilee, l’onglerie Chez Ruby, le resto-gril Jax et l’épicerie coréenne ; dans l’oîcine de cautions Liberty, dans la boutique de prêt sur gage Scully, dans le maga-sin caritatif des Anciens Combattants de Pascayne, aux Services familiaux du comté de Passaic et dans la cafétéria bondée de la clinique James K. Polk, dans le square Hicks ouvert aux quatre vents, et dans les abribus déigurés de tags de Camden, Ednetta Frye arrivait, le soue court, impatiente de demander si quelqu’un avait vu saille et de montrer les photos qu’elle tenait de ses doigts tremblants comme des cartes à jouer – Zavez pas vu S’billa ? Oui peut-être ? Non ? Elle s’accrochait à des bras pour ne pas perdre l’équilibre. Elle semblait hébétée, désorientée. Ses habits étaient en désordre.
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Le foulard nouant ses cheveux raidis d’huile était de travers. À ses pieds, des tennis tachées d’humidité, usées de façon curieu-sement symétrique à l’emplacement des deux petits orteils. Depuis jeudi elle a disparu. Un jour et une nuit et nautre jour et nautre nuit et tout ce temps je croyais l’était chez sa cou-e sine Martine de la 9 Rue comme elle fait temps en temps après l’école et elle oublie m’appeler, alors je – je pensais juste – que c’est là qu’elle était. Mais maintenant ils disent elle est pas là et à l’école y disent elle est jamais venue jeudi et elle a séché d’autres fois que je savais pas depuis septembre où l’école a com-mencéet maintenant personne a pas l’air savoir où est mon bébé. Quelqu’un voit S’billa, s’il vous plaît appelez-moi: Ednetta Frye. Mon téléphone c’est… Ses beaux yeux muets de soufrance et striés de capillaires éclatés. Sa peau de la chaude teinte dorée de l’acajou. Son visage avait un éclat huileux qu’accentuait la lumière blanchâtre du jour. De loin Ednetta semblait trapue, les seins pareils à des outres, gros et tombants, les hanches et les cuisses larges, et pourtant elle n’était pas grasse, plutôt massive, d’une robustesse élastique, forte, résistante et même insolente ; d’un âge indéini au-delà de la quarantaine, avec un visage plaintif d’enfant sous ses traits bouîs de femme mûre. S’il vous plaît – vous dites vous l’avez vue ? Ohhh mais – quand ? Depuis jeudi ? Ça fait deux jours et deux nuits elle a disparu… Dans l’avenue Trenton, large et venteuse, Ednetta Frye entra en titubant dans le Diamond Café, et dans la boutique de perruques Wig-a-Do et dans l’oîcine Prêts-et-Cautions-AMC, et dans le magasin caritatif Goodwill où le patron lui proposa d’appeler le 911 pour signaler la disparition de saille, et Ednetta eut un mouvement de recul répondant avec un petit cri angoisséPas la po-lice Non ! ! Ça s’trouve c’est la police de Pascayne qui a pris maille !
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Elle sortit du Goodwill en trébuchant, marmonnant tout basOh Seigneur Oh Seigneur fais qu’il arrive rien à mon bébé Oh Seigneur aie pitié. Aperçue ensuite longeant les magasins fermés de Trenton Avenue et puis dans les rues Penescott et Freund avec leurs rangées de maisons de grès brun aménagées en appartements, et puis dans les rues Port et Sansom avec leurs petits bungalows en bois et crépi construits au ras de trottoirs fendillés, percés de mauvaises herbes. Un observateur aurait jugé son itinéraire imprévisible et capricieux, obéissant à une logique indiscer-nable. Elle changeait parfois plusieurs fois de trottoir le long d’un même pâté de maisons. Ces rues résidentielles étant bien moins fréquentées, Ednetta frappait aux portes, appelait dans des intérieurs mal éclairés, regardait parfois hardiment par les fenêtres et toquait aux vitres – ‘Je peux vousBonjour ? Scusez ? d’mander une chose ? Ça c’est maille S’billa Frye qu’est disparue depuis jeudi – vous avez vu quelqu’un comme elle ? Elle traversa des terrains vagues remplis de détritus, suivit des ruelles boueuses, gémissant à voix basse. Elle s’était mise à boi-ter. Elle était haletante, égarée. Elle s’était apparemment trom-pée de rue, mais ne voulait pas rebrousser chemin. Quelque part à proximité, un chien aboyait furieusement. Dans le ciel, un avion descendait vers l’aéroport international de Newark dans un rugissement assourdissant: Ednetta se démancha le cou pour regarder le ciel comme si c’était un signe divin, impé-nétrable et terrible. En bas, sur terre, des maisons abandonnées et en ruine, un immeuble de grès délabré de Sansom Street connu depuis longtemps pour un repaire de drogués, d’ado-lescents, de SDF et de malades mentaux, dont Ednetta Frye s’approcha pourtant.Hé ? Y ! Hé ho !a quelqu’un ? Hé ho Osant aussi s’avancer sur la chaussée, arrêter des véhicules, déclarant à leurs occupants stupéfaits ‘Scusez ! Je suis Ednetta
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Frye, ça c’est maille S’billa Frye qu’a quatorze ans. Quand je l’ai vue en dernier elle partait pour l’école et maintenant y disent qu’elle est jamais arrivée. C’était jeudi. Elle tendait les photos de Sybilla à ces inconnus, qui les contemplaient d’un air sombre, les rendaient à Ednetta et lui assuraient que, non, ils n’avaient pas vu laille mais que, oui, ils ouvriraient l’œil. e Au coin de Sansom et de la 5 Rue, un vent âpre arrivait par rafales de la rivière, un air froid humide, l’odeur douceâtre des feuilles et des ordures répandues dans les ruelles. Et là au bord du trottoir Ednetta Frye se reposa comme un ouvrier épuisé après un efort n’ayant abouti à rien. Personne d’aussi seul que cette mère désespérée cherchant vainement son enfant perdu. Le talon de la main pressé contre la poitrine comme si une douleur la frappait au cœur, elle regardait au loin l’envolée du pont Pitcairn pareil à un grand oiseau prédateur préhistorique et, au-delà, le lent saignement du ciel, et sur son visage des larmes coulaient sans honte, des larmes dont Ednetta avait si peu conscience qu’elle n’avait pas levé une main pour les essuyer.
Cette pauvre femme la peur lui tourne tellement la cervelle elle sait même plus à qui elle parle ! À des femmes, surtout. Pendant les longues heures de recherche et d’enquête menées par Ednetta Frye entre Camden e Avenue et la 12 Rue dans le centre-ville de Pascayne en ce matin du 6 octobre 1987. Quelque soixante personnes, se rappellerait Ednetta après coup. Parmi elles, beaucoup étaient des femmes du quartier qui connaissaient Ednetta Frye et l’avaient souvent vue avec des enfants supposés être les siens, dont saille Sybilla – mais elles
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n’avaient pas vu Sybilla ces dernières quarante-huit heures, elles en étaient sûres. Certaines connaissaient Ednetta Frye depuis des années trente ans et plus– parce qu’elles avaient grandi ensemble dans la vieille cité Roosevelt, condamnée depuis, rasée et rem-placée par une « esplanade » en bord de rivière qui n’avait jamais été terminée, un demi-kilomètre de béton, de boue, de gril-lages rouillés, de lambeaux de panneaux en plastique battant au vent –dangerchantIerInterdIt. Elles étaient allées à l’école élémentaire d’East Edson dans les années 1950 et ensuite au collège d’East Edson et au lycée de Pascayne South. D’autres avaient connu Ednetta jeune mère (elle avait eu son premier bébé à seize ans, quitté le lycée pour ne plus y retourner) et pendant les années où elle travaillait comme aide-soignante à temps partiel à la clinique Polk et prenait le bus de Clinton Street dans Camden Avenue, une belle femme robuste au dos bien droit, au sourire brèche-dent, dont le rire en cascade était communicatif. Et il y avait celles qui connaissaient Ednetta depuis la dizaine d’années où elle habitait avec Anis Schutt dans l’une des mai-e sons de grès brun de la 3 Rue. Certaines de ces femmes, qui avaient connu Anis Schutt au moment de son incarcération à la prison de haute sécurité de Rahway et, avant cela, à l’époque de la mort de sa première femme – « homicide involontaire », c’était le chef d’accusation plaidé par Anis – avaient (peut-être) été étonnées de voir Ednetta, qui avait au minimum dix ans de moins qu’Anis, tomber amoureuse d’un homme pareil, prendre un risque pareil, alors qu’elle avait trois jeunes enfants. Ednetta fréquentait depuis toujours l’église méthodiste re épiscopale africaine de Sion de la 1 Rue. Elle y avait chanté dans la chorale. La voix de contralto chaude et grave de Marian Anderson, lui avait-on dit.
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