Guy de MaupassantP i e r r o tContes de la bécasse, V. Havard, 1894 (pp. 53-66).À Henri RoujonMme Lefèvre était une dame de campagne, une veuve, une de ces demi-paysannes à rubans et à chapeaux à falbalas, de cespersonnes qui parlent avec des cuirs, prennent en public des airs grandioses, et cachent une âme de brute prétentieuse sous desdehors comiques et chamarrés, comme elles dissimulent leurs grosses mains rouges sous des gants de soie écrue.Elle avait pour servante une brave campagnarde toute simple, nommée Rose. Les deux femmes habitaient une petite maison à volets verts, le long d’une route, en Normandie, au centre du pays de Caux.Comme elles possédaient, devant l’habitation, un étroit jardin, elles cultivaient quelques légumes.Or, une nuit, on lui vola une douzaine d’oignons.Dès que Rose s’aperçut du larcin, elle courut prévenir Madame, qui descendit en jupe de laine.Ce fut une désolation et une terreur. On avait volé, volé Mme Lefèvre ! Donc, on volait dans le pays, puis on pouvait revenir.Et les deux femmes effarées contemplaient les traces de pas, bavardaient, supposaient des choses : « Tenez, ils ont passé par là. Ilsont mis leurs pieds sur le mur ; ils ont sauté dans la plate-bande » .Et elles s’épouvantaient pour l’avenir. Comment dormir tranquilles maintenant ! Le bruit du vol se répandit. Les voisins arrivèrent, constatèrent, discutèrent à leur tour ; et les deux femmes expliquaient à chaquenouveau venu leurs observations et leurs idées ...
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