Monsieur ParentGuy de MaupassantPetit SoldatLe Figaro, 13 avril 1885Chaque dimanche, sitôt qu’ils étaient libres, les deux petits soldats se mettaient enmarche.Ils tournaient à droite en sortant de la caserne, traversaient Courbevoie à grandspas rapides, comme s’ils eussent fait une promenade militaire; puis, dès qu’ilsavaient quitté les maisons, ils suivaient, d’une allure plus calme, la grand-routepoussiéreuse et nue qui mène à Bezons.Ils étaient petits, maigres, perdus dans leur capote trop large, trop longue, dont lesmanches couvraient leurs mains, gênés par la culotte rouge, trop vaste, qui lesforçait à écarter les jambes pour aller vite. Et sous le shako raide et haut, on nevoyait plus qu’un rien du tout de figure, deux pauvres figures creuses de Bretons,naïves, d’une naïveté presque animale, avec des yeux bleus doux et calmes.Ils ne parlaient jamais durant le trajet, allant devant eux, avec la même idée en tête,qui leur tenait lieu de causerie, car ils avaient trouvé à l’entrée du petit bois desChampioux, un endroit leur rappelant leur pays, et ils ne se sentaient bien que là.Au croisement des routes de Colombes et de Chatou, comme on arrivait sous lesarbres, ils ôtaient leur coiffure qui leur écrasait la tête, et ils s’essuyaient le front.Ils s’arrêtaient toujours un peu sur le pont de Bezons pour regarder la Seine. Ilsdemeuraient là, deux ou trois minutes, courbés en deux, penchés sut le parapet; oubien ils considéraient le grand bassin ...
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