Edgar Allan Poe
Histoires extraordinaires
Traduction Charles Baudelaire.
Michel Lévy frères, 1869 (pp. 399-424).
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Je ne puis pas me rappeler, sur mon âme, comment, quand, ni même où je fis pour
la première fois connaissance avec lady Ligeia. De longues années se sont
écoulées depuis lors, et une grande souffrance a affaibli ma mémoire. Ou peut-être
ne puis-je plus maintenant me rappeler ces points, parce qu’en vérité le caractère
de ma bien-aimée, sa rare instruction, son genre de beauté, si singulier et si
placide, et la pénétrante et subjuguante éloquence de sa profonde parole musicale,
ont fait leur chemin dans mon cœur d’une manière si patiente, si constante, si
furtive, que je n’y ai pas pris garde et n’en ai pas eu conscience.
Cependant, je crois que je la rencontrai pour la première fois, et plusieurs fois
depuis lors, dans une vaste et antique ville délabrée sur les bords du Rhin. Quant à
sa famille, — très-certainement elle m’en a parlé. Qu’elle fût d’une date
excessivement ancienne, je n’en fais aucun doute. — Ligeia ! Ligeia ! — Plongé
dans des études qui par leur nature sont plus propres que toute autre à amortir les
impressions du monde extérieur, — il me suffit de ce mot si doux, — Ligeia ! —
pour ramener devant les yeux de ma pensée l’image de celle qui n’est plus. Et
maintenant, pendant que j’écris, il me revient, comme une lueur, que je n’ai jamais
su le nom de famille de celle qui fut mon amie et ma fiancée, qui devint mon
compagnon d’études, et enfin ...
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