Les secrets - 1er chapitre
24 pages
Français

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Description

Amélie ANTOINE LES SECRETS ROMAN – 20 – Septembre 2015 ­ Ǥ ǡ ǡ ± ǡ ² Ǥ ǡ Ǧ ǡ ǡ Ǥ ǡ ǯ Ǥ ° ǯ ± ǡ ǯ ± ǡ ǡ ° Ǥ Á ǡ ° ǯ± ǡ ǯ ± ± ǯ Ǥ ǯ ǯ ± Ǥ ǡ ǯ ǯ ǡ ± ǡ ǯ ǯ± ǡavantǤ ǯ± ǡ ǡ ǯ ça ǡ ǡ Ǥ ǯ ±ǡ ǡ ± ǡ Ǥ ǡ Ǥ Ǥ Ø ± ǯ ǡ Ǥ ± Ǧ ² ǯ ǡ ± Ǥ ǯ Ǥ

Informations

Publié par
Publié le 01 mars 2018
Nombre de lectures 205
Langue Français

Extrait

AmélieANTOINE
LESSECRETS
ROMAN
20Septembre2015Mathilde se brosse les dents tout en se forçant à ne pas quitter le miroir des yeux. Elle compte, lentement, le plus posément possible, les secondes dans sa tête. Trois minutes, cent quatre‐vingts secondes qui lui semblent, comme à chaque fois, interminables. Pourtant, ce n’est pas comme si elle y croyait encore. Après tant d’années, elle s’est habituée à la douleur qui revient, lancinante, mois après mois. Elle la connaît bien, cette souffrance amère qui l’éloigne des autres, qui s’est érigée comme un rempart autour d’elle. On pourrait presque dire qu’elle l’a apprivoisée. Et puis, Mathilde a tellement l’impression que ce chagrin fait partie d’elle, à présent, qu’elle se souvient à peine de comment c’était,avant. Comment c’était, avant de souffrir, avant de ne penser qu’à çaen permanence, à chaque heure du jour, parfois à chaque heure de la nuit. Parce qu’elle en a passé, des nuits blanches, allongée dans son lit, les yeux grands ouverts. À fixer le plafond, immobile. Vide. À entendre Adrien ronfler doucement à côté d’elle, le visage paisible. À lui en vouloir de réussir à trouver aussi facilement le sommeil quand elle‐même ne parvenait plus à s’assoupir, ou alors seulement pour faire des cauchemars qui la réveillaient en sueur au petit matin.
La jeune femme s’appuie de la main droite sur le rebord du lavabo de la minuscule salle de bains. Ses yeux demeurent rivés au grand miroir rond qui mériterait d’être nettoyé. Ce n’est pourtant pas faute de répéter chaque matin à son mari de ne pas frotter la surface après sa douche brûlante pour laisser apparaître un trou dans la buée de façon à pouvoir se coiffer. Cent soixante‐dix‐huit, cent soixante‐dix‐neuf, cent quatre‐ vingts. Mathilde crache le dentifrice et se penche au robinet pour se rincer la bouche. Chaque geste est précis, millimétré. Pas d’empressement. Même si aujourd’hui, son cœur bat un peu plus fort que d’habitude. Car depuis quelques jours, elle a des nausées. Ça ne signifie rien, bien sûr. Elle a déjà eu ce symptôme tant de fois. Elle se redresse et prend une longue inspiration. Quoi qu’il arrive, elle ne sera pas déçue. Du moins, elle se promet de ne pas l’être. Au pire, elle ressentira ce petit pincement au cœur si familier, mais pas davantage. Elle ne peut plus se le permettre. Elle sait qu’un jour, elle risquerait de ne plus être capable de se relever. La jeune femme prend le bâtonnet de plastique entre ses doigts. Elle ne tremble pas. Au milieu de la petite fenêtre blanche, un trait bleu se détache. Un trait bleu foncé, presque noir. Mathilde ne ressent rien, même si c’est la première fois qu’elle voit ce résultat. Elle saisit le second bâtonnet posé à côté de sa trousse de maquillage.
Sur le minuscule écran, deux caractères seulement : ͵+. D’après la notice qu’elle connaît par cœur à force de l’avoir lue et relue, elle sait que ça signifie une grossesse de plus de trois semaines. D’après elle, qui en sait bien plus que n’importe quel morceau de plastique – avec ou sans écran digital – ça signifie très probablement une grossesse d’exactement six semaines et un jour. Elle pourrait sauter de joie, trépigner, hurler son bonheur. Elle pourrait. Elledevrait. Mais elle reste immobile, comme paralysée. Son cerveau est anesthésié, aucune pensée ne fuse dans sa tête pourtant toujours en ébullition. Peut‐être qu’elle a trop attendu ce résultat, qu’elle l’a trop désiré pour pouvoir se contenter d’être heureuse. Peut‐être qu’elle ne sait plus comment faire pour se réjouir, pour être insouciante. Peut‐être que le prix à payer pour ce minuscule trait bleu marine est trop élevé, que les sacrifices qui ont dû être faits au fil du temps, au fil de la souffrance, sont trop grands et qu’il est pour l’instant trop difficile pour Mathilde de simplement savourer cet instant magique. Lentement, la jeune femme pose le second test sur le rebord du lavabo. L’aligne à côté du premier, bien parallèle. Puis son cerveau se remet en marche. Estcequ’onpeutfaireconfianceàunsimpletest?Ilvaudraitsansdoutemieuxattendreuneprisedesangavantdes’emballer.Oumêmeplutôtuneéchographie.Aprèstout,rienneditqu’ilyauncœurquibataucreuxdemonventre.Etsic’estlecas,rienneditqu’ilybattrapendantneufmois.
Tellementdechosespeuventarriver.Toutpeutencorebasculer.Toutpourrait…Mathilde expire le plus doucement possible, le plus longtemps que lui permettent ses poumons.Chut.Arrêtedepenser.Elle a l’impression que c’est la fin, qu’elle vient de franchir péniblement la ligne d’arrivée d’un marathon qui l’a laissée exsangue, alors qu’en réalité, ce n’est que le début de l’aventure. Qu’elle vient à peine de poser son pied dans un starting‐block. Elle est épuisée alors que dans un sens, c’est maintenant que tout commence. Elle s’observe avec tendresse dans le miroir, comme si elle contemplait une vieille amie.Onenavécudesépreuves,hein…Maiscecombatlà,ondiraitqu’onafiniparlegagner,n’estcepas?Avec délicatesse, elle caresse les fines rides qui sont apparues subrepticement au coin de ses yeux. Elle arrache un cheveu blanc un peu trop voyant. )l n’y a pas si longtemps, le coiffeur lui demandait si elle se teignait les cheveux, pour les avoir aussi noirs. La dernière fois que Mathilde est allée se faire couper les pointes, il n’a plus posé la question, les quelques fils blancs qui parsemaient sa tête étant une réponse évidente. Distraitement, elle brosse sa chevelure encore emmêlée après les rares heures de sommeil grappillées grâce au somnifère qu’elle a avalé à ͳ heure du matin. Elle insiste jusqu’à ce que la brosse ne rencontre plus aucune résistance. Ses cheveux ondulés ne lui arrivent encore qu’aux épaules, mais même courts, elle n’a jamais réussi à les dompter.
Mathilde attrape à nouveau les deux tests de grossesse, pour s’assurer que les résultats n’ont pas changé. Même si elle sait parfaitement que c’est impossible. Elle sort de la petite salle de bains et entrebâille discrètement la porte de la chambre. Adrien est encore endormi, elle ne voit qu’un de ses bras dépasser de la couette et pendre le long du lit. Les bâtonnets à la main, elle hésite, ne sachant si elle veut le réveiller ou non. C’est la radio qui décide à sa place ; comme tous les matins de semaine, elle se déclenche à 7 h Ͷͷ précises. De la main, son mari cherche à éteindre son réveil à tâtons, mais, n’y parvenant pas, il pousse un profond soupir et se redresse pour appuyer sur le gros bouton gris. La musique s’arrête brutalement et Adrien, après s’être longuement étiré, remarque la présence de sa femme. Son regard encore embrumé se fait interrogateur. – Je suis en retard ? – Non, pas que je sache. Mathilde se mord la lèvre inférieure. Elle ne sait pas ce qu’elle est censée dire, elle a appris à annoncer la même nouvelle mois après mois, année après année, et aujourd’hui elle ignore les mots qu’il faudrait employer. – )l y a quelque chose qui ne va pas ? – Non… – Alors quoi ? Pourquoi tu restes sur le pas de la porte à me dévisager comme ça ? J’ai oublié de faire quelque chose ? De dire quelque chose ? Adrien commence à s’énerver. Le matin, il a besoin d’être tranquille. )l aime que personne ne lui adresse la parole, et
surtout que personne ne lui demande de parler. Mathilde a l’habitude de l’ignorer tant qu’il n’a pas pris sa douche, tant qu’il n’a pas complètement émergé de sa nuit de sommeil. Elle se dit qu’elle aurait peut‐être mieux fait d’attendre, en fin de compte. )ls vont réussir à se disputer avant même qu’elle ait pu prononcer plus de deux phrases d’affilée, alors que c’est bien la dernière chose qu’elle souhaite à ce moment précis. Sans un mot, elle entre dans la chambre, s’assoit à côté de son mari, et dépose les deux tests sur la couette. Adrien lui jette un coup d’œil avant de les saisir. )l fait encore sombre dans la pièce, aussi est‐il obligé d’allumer sa petite lampe de chevet. )l cligne des yeux, ébloui, puis reporte son regard sur les bâtonnets. Mathilde attend ce qui lui semble être une éternité. – Ça veut dire… que c’est bon ? Elle se retourne vers Adrien et acquiesce doucement. Son mari fronce les sourcils. – Alors… pourquoi tu ne sautes pas de joie ? Mathilde cherche ses mots, mais elle‐même ne sait pas vraiment pourquoi elle semble si éteinte, si amorphe. – On va avoir un bébé ! On va avoir un bébé ! Mathilde, regarde‐moi ! On va avoir un bébé ! Adrien articule exagérément la dernière phrase, comme s’il pensait que sa femme n’avait pas compris. )l la prend par les épaules et répète encore cette phrase toute simple, d’abord en murmurant puis en criant de joie. Mathilde sourit, l’excitation de son mari est irrésistiblement contagieuse. – On a attendu, on a espéré, on a désespéré, on a arrêté d’y croire, et c’est enfin arrivé ! Je savais qu’un jour, la chance
serait de notre côté, ma chérie… Je savais que notre patience serait récompensée… )l serre Mathilde dans ses bras de toutes ses forces, et elle se laisse enfin aller, happée par l’enthousiasme et le bonheur de son époux. – Mais il peut arriver encore tellement de choses, ce n’est que le tout début, et avant trois mois… Adrien pose son index sur la bouche de sa femme et la regarde dans les yeux. – Ne fais pas ça. Ne fais pas ça, d’accord… Tout va très bien se passer, fais‐moi confiance. Oublie tout ce qu’on a vécu, oublie tout ça, parce que maintenant, c’est derrière nous. Dans neuf mois, on sera trois. Ce n’est pas négociable, et je refuse que tu t’inquiètes. On va profiter à deux cents pour cent de cette grossesse, tu m’entends ? Mathilde hoche la tête. Elle a les larmes aux yeux mais elle sourit. Adrien essuie tendrement les joues de sa femme avec la paume de sa main puis il la prend à nouveau dans ses bras. Plaquée contre son torse, Mathilde entend le cœur de son mari battre sourdement. Elle ferme les yeux un instant, profite de la chaleur bienveillante d’Adrien et sent soudain une bouffée d’amour la submerger. )ls ont tellement souffert tous les deux, et, enfin, le bonheur semble avoir décidé de se ranger de leur côté. Une vague de gratitude et de soulagement vient lui caresser le cœur, et elle enlace à son tour son mari, se cramponne à lui comme à une bouée de sauvetage. – Tu sais ce qu’aurait dit Nietzsche ? demande Adrien.
Mathilde se redresse et regarde le professeur de philo assis dans le lit conjugal en poussant un profond soupir. – Je n’en ai aucune idée, et à vrai dire, je m’en fiche royalement, rétorque‐t‐elle en lui donnant un coup de coude qu’il évite de justesse. – Comment tu peux affirmer une chose pareille ? s’offusque Adrien. Figure‐toi que Nietzsche a beaucoup réfléchi à la problématique de… Mathilde secoue la tête et sort prestement de la chambre en faisant mine de se boucher les oreilles. En haut de l’escalier, elle se retourne vers son mari pour s’apercevoir qu’il a arrêté de parler et qu’il la contemple d’un air attendri. – Bonne journée, ma puce. – À ce soir, répond‐elle en souriant avec douceur. – Tu fais quoi à midi ? On pourrait déjeuner ensemble, ça me ferait une pause dans mes copies. – Merci pour cette proposition alléchante et désintéressée, mais je dois retrouver ma mère au restaurant. J’ai déjà reporté deux fois, impossible d’esquiver une troisième, tu la connais. Tu peux nous rejoindre, si ça te fait plaisir. Adrien fait la moue. – Ah ah ah. Je ris intérieurement à ta plaisanterie douteuse. Mais dis‐lui quand même bonjour de ma part. – Quelle magnanimité, se moque la jeune femme. – N’est‐ce pas… Mathilde descend quelques marches, tourne la tête une dernière fois en direction d’Adrien qui lutte déjà contre l’envie de grappiller encore quelques minutes au lit avant d’entamer la journée. – Je t’aime tellement, tu sais.
Son mari acquiesce, son regard se fait taquin. – Normal, je suis un mec génial… Puis il redevient soudain sérieux, passe les mains derrière sa tête pour contempler celle qui va enfin devenir la mère de son enfant. – Moi aussi, je t’aime. * * * La matinée à la bibliothèque passe rapidement. Mathilde est allée au laboratoire situé de l’autre côté de la rue pour faire une prise de sang, elle aura les résultats ce soir. Mais au vu des nausées qui persistent et de la tension qu’elle sent dans sa poitrine, elle sait qu’il n’y a aucun doute à avoir. Un enfant. Elle se prend à rêver. S’autorise à lister des prénoms dans sa tête. Léon, Paul, Antoine, elle a toujours eu un faible pour les prénoms anciens et a bon espoir de faire en sorte que ses goûts déteignent sur Adrien. Sarah, Colette, (ortense, pour une fille. Mais ce sera sans doute un garçon, elle le sent au fond d’elle‐même, elle en est intimement persuadée sans savoir pourquoi. Un petit garçon aux yeux malicieux et au nez retroussé… Un sourire songeur aux lèvres, elle imagine comment elle agencera la chambre du bébé. Se demande si leur enfant aura sa couleur de cheveux, sa peau laiteuse. S’il aura la même adorable fossette qu’Adrien au coin des lèvres, les mêmes yeux en amande. Puis elle secoue la tête, subitement envahie par une vague de tristesse mélancolique. Elle fronce les sourcils, visualise à nouveau la
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