Le HorlaGuy de MaupassantLes RoisLe Gaulois, 23 janvier 1887– Ah ! dit le capitaine comte de Garens, je crois bien que je me le rappelle, cesouper des Rois, pendant la guerre !J’étais alors maréchal des logis de hussards, et depuis quinze jours rôdant enéclaireur, en face d’une avant-garde allemande. La veille, nous avions sabréquelques uhlans et perdu trois hommes, dont ce pauvre petit Raudeville. Vous vousrappelez bien, Joseph de Raudeville.Or, ce jour-là, mon capitaine m’ordonna de prendre dix cavaliers et d’aller occuperet de garder toute la nuit le village de Porterin, où l’on s’était battu cinq fois en troissemaines. Il ne restait pas vingt maisons debout ni douze habitants dans ceguêpier.Je pris donc dix cavaliers et je partis vers quatre heures. À cinq heures, en pleinenuit, nous atteignîmes les premiers murs de Porterin. Je fis halte et j’ordonnai àMarchas, vous savez bien, Pierre de Marchas qui a épousé depuis la petite Martel-Auvelin, la fille du marquis de Martel-Auvelin, d’entrer tout seul dans le village et dem’apporter des nouvelles.Je n’avais choisi que des volontaires, tous de bonne famille. Ça fait plaisir, dans leservice, de ne pas tutoyer des mufles. Ce Marchas était dégourdi comme pas un,fin comme un renard et souple comme un serpent. Il savait éventer des Prussiensainsi qu’un chien évente un lièvre, trouver des vivres là où nous serions morts defaim sans lui, et il obtenait des renseignements de tout le monde, ...
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