Anatole FranceLes Désirs de Jean ServieneCalmann-Lévy, 1921 [56 édition] (pp. 1-248).IJean Servien naquit dans une arrière-boutique de la rue Notre-Dame-des-Champs.Son père était relieur et travaillait pour les couvents. Jean fut un petit enfant chétifque sa mère nourrissait tout en cousant les livres, feuille à feuille, avec l’aiguillecourbe. Un jour qu’elle traversait la boutique en chantonnant une romance dont lesparoles exprimaient pour elle la splendeur confuse des ambitions maternelles, lepied lui glissa sur le carreau humide de colle.Elle leva instinctivement le bras pour protéger l’enfant qu’elle tenait contre son sein,et, de sa poitrine découverte, heurta rudement l’angle de fonte de la presse. Elle nesentit pas d’abord une très vive douleur, mais il lui vint au sein un abcès qui seferma et se rouvrit, puis une fièvre hectique qui l’étendit au lit.Là, pendant les heures infinies du soir, de son seul bras libre, elle entourait son petitenfant en lui murmurant d’un souffle embrasé quelques lambeaux de sa chèreromance :Comme un pécheur, quand l’aube est près d’éclore,Vient épier le réveil de l’aurore…Elle aimait surtout le refrain régulier et changeant dont elle berçait son Jean quidevenait tour à tour, au gré de la chanson, général, avocat et « lévite » enespérance.En femme du peuple qui ne connaissait les hautes fonctions sociales que parquelques éclats de leur pompe extérieure et par les révélations informes desportiers, des valets et ...
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