YvetteGuy de MaupassantLe GardeLe Gaulois, 8 octobre 1884On racontait des aventures et des accidents de chasse, après dîner.Un vieil ami de nous tous, M. Boniface, grand tueur de bêtes et grand buveur de vin,un homme robuste et gai, plein d’esprit, de sens et de philosophie, d’unephilosophie ironique et résignée, se manifestant par des drôleries mordantes etjamais par des tristesses, dit tout à coup :– J’en sais une, moi, une histoire de chasse, ou plutôt un drame de chasse assezsingulier. Il ne ressemble pas du tout à ce qu’on connaît dans le genre ; aussi je nel’ai jamais raconté, pensant qu’il n’amuserait personne.Il n’était pas sympathique, vous me comprenez ? Je veux dire qu’il n’a pas cetteespèce d’intérêt qui passionne, ou qui charme, ou qui émeut agréablement.Enfin, voici la chose.J’avais alors trente-cinq ans environ, et je chassais comme un furieux.En ce temps-là, je possédais une terre très isolée dans les environs de Jumièges,entourée de forêts et très bonne pour le lièvre et le lapin. J’y allais passer tout seulquatre ou cinq jours par an seulement, l’installation ne me permettant pas d’amenerun ami.J’avais placé là, comme garde, un ancien gendarme en retraite, un brave homme,violent, sévère sur la consigne, terrible aux braconniers, et ne craignant rien. Ilhabitait tout seul, loin du village, une petite maison ou plutôt une masure composéede deux pièces en bas, cuisine et cellier, et de deux chambres au premier. Uned’elles, une sorte ...
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