Le Diable au corpsRaymond Radiguet1923Je vais encourir bien des reproches. Mais qu'y puis-je ? Est-ce ma faute si j'eusdouze ans quelques mois avant la déclaration de la guerre ? Sans doute, lestroubles qui me vinrent de cette période extraordinaire furent d'une sorte qu'onn'éprouve jamais à cet âge ; mais comme il n'existe rien d'assez fort pour nousvieillir malgré les apparences, c'est en enfant que je devais me conduire dans uneaventure où déjà un homme eût éprouvé de l'embarras. Je ne suis pas le seul. Etmes camarades garderont de cette époque un souvenir qui n'est pas celui de leursaînés. Que ceux déjà qui m'en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tantde très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances.Nous habitions à F..., au bord de la Marne.Mes parents condamnaient plutôt la camaraderie mixte. La sensualité, qui naît avecnous et se manifeste encore aveugle, y gagna au lieu de s'y perdre.Je n'ai jamais été un rêveur. Ce qui me semble rêve aux autres, plus crédules, meparaissait à moi aussi réel que le fromage au chat, malgré la cloche de verre.Pourtant la cloche existe.La cloche se cassant, le chat en profite, même si ce sont ses maîtres qui la cassentet s'y coupent les mains.Jusqu'à douze ans, je ne me vois aucune amourette, sauf pour une petite fille,nommée Carmen, à qui je fis tenir, par un gamin plus jeune que moi, une lettre danslaquelle je lui exprimais mon amour. Je m'autorisai de cet amour pour solliciter ...
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