Guy de Maupassant
Contes du jour et de la nuit
C. Marpon et E. Flammarion, 1885 (pp. 3-15).
LE CRIME
au
PÈRE BONIFACE
Ce jour-là le facteur Boniface, en sortant de la maison de poste, constata que sa
tournée serait moins longue que de coutume, et il en ressentit une joie vive. Il était
chargé de la campagne autour du bourg de Vireville, et, quand il revenait, le soir, de
son long pas fatigué, il avait parfois plus de quarante kilomètres dans les jambes.
Donc la distribution serait vite faite ; il pourrait même flaner un peu en route et
rentrer chez lui vers trois heures de relevée. Quelle chance !
Il sortit du bourg par le chemin de Sennemare et commença sa besogne. On était
en juin, dans le mois vert et fleuri, le vrai mois des plaines.
L’homme, vêtu de sa blouse bleue et coiffé d’un képi noir à galon rouge, traversait
par des sentiers étroits les champs de colza, d’avoine ou de blé, enseveli jusqu’aux
épaules dans les récoltes ; et sa tête, passant au-dessus des épis, semblait flotter
sur une mer calme et verdoyante qu’une brise légère faisait mollement onduler.
Il entrait dans les fermes par la barrière de bois plantée dans les talus
qu’ombrageaient deux rangées de hêtres, et saluant par son nom le paysan :
« Bonjour, maît’ Chicot, » il lui tendait son journal le Petit Normand. Le fermier
essuyait sa main à son fond de culotte, recevait la feuille de papier et la glissait
dans sa poche pour la lire à son aise après le repas de midi. Le chien, logé dans
un baril, au ...
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