Guy de Maupassant
Contes du jour et de la nuit
C. Marpon et E. Flammarion, 1885 (pp. 97-111).
C’était l’heure du thé, avant l’entrée des lampes. La villa dominait la mer ; le soleil
disparu avait laissé le ciel tout rose de son passage, frotté de poudre d’or ; et la
Méditerranée, sans une ride, sans un frisson, lisse, luisante encore sous le jour
mourant, semblait une plaque de métal polie et démesurée.
Au loin, sur la droite, les montagnes dentelées dessinaient leur profil noir sur la
pourpre pâlie du couchant.
On parlait de l’amour, on discutait ce vieux sujet, on redisait des choses qu’on avait
dites, déjà, bien souvent. La mélancolie douce du crépuscule alentissait les
paroles, faisait flotter un attendrissement dans les âmes, et ce mot : « amour », qui
revenait sans cesse, tantôt prononcé par une forte voix d’homme, tantôt dit par une
voix de femme au timbre léger, paraissait emplir le petit salon, y voltiger comme un
oiseau, y planer comme un esprit.
Peut-on aimer plusieurs années de suite ?
— Oui, prétendaient les uns.
— Non, affirmaient les autres.
On distinguait les cas, on établissait des démarcations, on citait des exemples ; et
tous, hommes et femmes, pleins de souvenirs surgissants et troublants, qu’ils ne
pouvaient citer et qui leur montaient aux lèvres, semblaient émus, parlaient de cette
chose banale et souveraine, l’accord tendre et mystérieux de deux êtres, avec une
émotion profonde et un intérêt ardent.
Mais tout à coup quelqu’un, ayant les yeux ...
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