Contes divers (1882)Guy de MaupassantLe BaiserGil Blas, 14 novembre 1882Ma chère mignonne,Donc, tu pleures du matin au soir et du soir au matin parce que ton marit’abandonne ; tu ne sais que faire, et tu implores un conseil de ta vieille tante que tusupposes apparemment bien experte. Je n’en sais pas si long que tu crois, etcependant je ne suis point sans doute tout à fait ignorante dans cet art d’aimer ouplutôt de se faire aimer, qui te manque un peu. Je puis bien, à mon âge, avouercela.Tu n’as pour lui, me dis-tu que des attentions, que des douceurs, que des caresses,que des baisers. Le mal vient peut-être de là ; je crois que tu l’embrasses trop.Ma chérie, nous avons aux mains le plus terrible pouvoir qui soit : l’amour.L’homme, doué de sa force physique, l’exerce par la violence. La femme, douée ducharme, domine par la caresse. C’est notre arme, arme redoutable, invincible, maisqu’il faut savoir manier.Nous sommes, sache-le bien, les maîtresses de la terre. Raconter l’histoire del’Amour depuis les origines du monde, ce serait raconter l’homme lui-même. Toutvient de là, les arts, les grands événements, les mœurs, les coutumes, les guerres,les bouleversements d’empires.Dans la Bible, tu trouves Dalila, Judith ; dans la Fable, Omphale, Hélène ; dansl’Histoire, les Sabines, Cléopâtre et bien d’autres.Donc, nous régnons, souveraines toutes-puissantes. Mais il nous faut, comme lesrois, user d’une diplomatie délicate.L’Amour, ma chère petite, est ...
Voir