La Petite RoqueGuy de MaupassantLa Petite RoqueGil Blas, 18 au 23 décembre 1885ILe piéton Médéric Rompel, que les gens du pays appelaient familièrement Médéri,partit à l'heure ordinaire de la maison de poste de Roüy-le-Tors. Ayant traversé lapetite ville de son grand pas d'ancien troupier, il coupa d'abord les prairies deVillaumes pour gagner le bord de la Brindille qui le conduisait, en suivant l'eau, auvillage de Carvelin, où commençait sa distribution.Il allait vite, le long de l'étroite rivière qui moussait, grognait, bouillonnait et filait dansson lit d'herbes, sous une voûte de saules. Les grosses pierres, arrêtant le cours,avaient autour d'elles un bourrelet d'eau, une sorte de cravate terminée en noeudd'écume. Par places, c'étaient des cascades d'un pied, souvent invisibles, quifaisaient sous les feuilles, sous les lianes, sous un toit de verdure, un gros bruitcolère et doux ; puis plus loin, les berges s'élargissant, on rencontrait un petit lacpaisible où nageaient des truites parmi toute cette chevelure verte qui ondoie aufond des ruisseaux calmes.Médéric allait toujours, sans rien voir, et ne songeant qu'à ceci : "Ma première lettreest pour la maison Poivron, puis j'en ai une pour M. Renardet ; faut donc que jetraverse la futaie."Sa blouse bleue serrée à la taille par une ceinture de cuir noir passait d'un trainrapide et régulier sur la haie verte des saules ; et sa canne, un fort bâton de houx,marchait à son côté du même mouvement que ...
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