La Main gaucheGuy de MaupassantLa MorteGil Blas, 31 mai 1887> Je l'avais aimée éperdument ! Pourquoi aime-t-on ? Est-ce bizarre de ne plus voirdans le monde qu'un être, de n'avoir plus dans l'esprit qu'une pensée, dans le cœurqu'un désir, et dans la bouche qu'un nom : un nom qui monte incessamment, quimonte, comme l'eau d'une source, des profondeurs de l'âme, qui monte aux lèvres,et qu'on dit, qu'on redit, qu'on murmure sans cesse, partout, ainsi qu'une prière.Je ne conterai point notre histoire. L'amour n'en a qu'une, toujours la même. Jel'avais rencontrée et aimée. Voilà tout. Et j'avais vécu pendant un an dans satendresse, dans ses bras, dans sa caresse, dans son regard, dans ses robes, danssa parole, enveloppé, lié, emprisonné dans tout ce qui venait d'elle, d'une façon sicomplète que je ne savais plus s'il faisait jour ou nuit, si j'étais mort ou vivant, sur lavieille terre ou ailleurs.Et voilà qu'elle mourut. Comment ? Je ne sais pas, je ne sais plus.Elle rentra mouillée, un soir de pluie, et le lendemain, elle toussait. Elle toussapendant une semaine environ et prit le lit.Que s'est-il passé ? Je ne sais plus.Des médecins venaient, écrivaient, s'en allaient. On apportait des remèdes; unefemme les lui faisait boire. Ses mains étaient chaudes, son front brûlant et humide,son regard brillant et triste. Je lui parlais, elle me répondait. Que nous sommes-nous dit ? Je ne sais plus. J'ai tout oublié, tout, tout ! Elle mourut, je me rappelle ...
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