Miss HarrietGuy de MaupassantLa Mère sauvageLe Gaulois, 3 mars 1884IJe n’étais point revenu à Virelogne depuis quinze ans. J’y retournai chasser, àl’automne, chez mon ami Serval, qui avait enfin fait reconstruire son château, détruitpar les Prussiens.J’aimais ce pays infiniment. Il est des coins du monde délicieux qui ont pour lesyeux un charme sensuel. On les aime d’un amour physique. Nous gardons, nousautres que séduit la terre, des souvenirs tendres pour certaines sources, certainsbois, certains étangs, certaines collines, vus souvent et qui nous ont attendris à lafaçon des événements heureux. Quelquefois même la pensée retourne vers un coinde forêt, ou un bout de berge, ou un verger poudré de fleurs, aperçus une seule fois,par un jour gai, et restés en notre cœur comme ces images de femmes rencontréesdans la rue, un matin de printemps, avec une toilette claire et transparente, et quinous laissent dans l’âme et dans la chair un désir inapaisé, inoubliable, la sensationdu bonheur coudoyé.À Virelogne, j’aimais toute la campagne, semée de petits bois et traversée par desruisseaux qui couraient dans le sol comme des veines, portant le sang à la terre. Onpêchait là-dedans des écrevisses, des truites et des anguilles ! Bonheur divin ! Onpouvait se baigner par places, et on trouvait souvent des bécassines dans leshautes herbes qui poussaient sur les bords de ces minces cours d’eau.J’allais, léger comme une chèvre, regardant mes deux chiens fourrager ...
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