L’Illustre Gaudissart
Honoré de Balzac
A MADAME LA DUCHESSE DE CASTRIES.
Le Commis-Voyageur, personnage inconnu dans l'antiquité, n'est-il pas une des
plus curieuses figures créées, par les moeurs de l'époque actuelle ? N'est-il pas
destiné, dans un certain ordre de choses, à marquer la grande transition qui, pour
les observateurs, soude le temps des exploitations matérielles au temps des
exploitations intellectuelles. Notre siècle reliera le règne de la force isolée,
abondante en créations originales, au règne de la force uniforme, mais niveleuse,
égalisant les produits, les jetant par masses, et obéissant à une pensée unitaire,
dernière expression des sociétés. Après les saturnales de l'esprit généralisé, après
les derniers efforts de civilisations qui accumulent les trésors de la terre sur un
point, les ténèbres de la barbarie ne viennent-ils pas toujours ? Le Commis-
Voyageur n'est-il pas aux idées ce que nos diligences sont aux choses et aux
hommes ? il les voiture, les met en mouvement, les fait se choquer les unes aux
autres ; il prend, dans le centre lumineux, sa charge de rayons et les sème à travers
les populations endormies. Ce pyrophore humain est un savant ignorant, un
mystificateur mystifié, un prêtre incrédule qui n'en parle que mieux de ses mystères
et de ses dogmes. Curieuse figure ! Cet homme a tout vu, il sait tout, il connaît tout
le monde. Saturé des vices de Paris, il peut affecter la bonhomie de la province.
N'est-il pas l'anneau qui joint le ...
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