Guy de MaupassantL ’ É p a v eBoule de suif, P. Ollendorff, 1907 (pp. 65-80).L ’ É p a v eC’était hier, 31 décembre.Je venais de déjeuner avec mon vieil ami Georges Garin. Le domestique luiapporta une lettre couverte de cachets et de timbres étrangers.Georges me dit :— Tu permets ?— Certainement.Et il se mit à lire huit pages d’une grande écriture anglaise, croisée dans tous lessens. Il les lisait lentement, avec une attention sérieuse, avec cet intérêt qu’on metaux choses qui vous touchent le cœur.Puis il posa la lettre sur un coin de la cheminée, et il dit :« Tiens, en voilà une drôle d’histoire que je ne t’ai jamais racontée, une histoiresentimentale pourtant, et qui m’est arrivée ! Oh ! ce fut un singulier jour de l’an, cetteannée-là. Il y a de cela vingt ans… puisque j’avais trente ans et que j’en aicinquante !… « J’étais inspecteur de la Compagnie d’assurances maritimes que je dirigeeraujourd’hui. Je me disposais à passer à Paris la fête du l janvier, puisqu’on estconvenu de faire de ce jour un jour de fête, quand je reçus une lettre du directeur medonnant l’ordre de partir immédiatement pour l’île de Ré, où venait de s’échouer untrois-mâts de Saint-Nazaire, assuré par nous. Il était alors huit heures du matin.J’arrivai à la Compagnie, à dix heures, pour recevoir des instructions ; et, le soirmême, je prenais l’express, qui me déposait à La Rochelle le lendemain 31décembre.« J’avais deux heures avant de monter sur le bateau de Ré, le ...
Voir