L’Enfant maudit
45 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
45 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

L’Enfant mauditHonoré de BalzacA MADAME LA BARONNE JAMES ROTHSCHILDCOMMENT VECUT LA MEREPar une nuit d’hiver et sur les deux heures du matin, la comtesse Jeanned’Hérouville éprouva de si vives douleurs que, malgré son inexpérience, ellepressentit un prochain accouchement ; et l’instinct qui nous fait espérer le mieuxdans un changement de position lui conseilla de se mettre sur son séant, soit pourétudier la nature de souffrances toutes nouvelles, soit pour réfléchir à sa situation.Elle était en proie à de cruelles craintes causées moins par les risques d’unpremier accouchement dont s’épouvantent la plupart des femmes, que par lesdangers qui attendaient l’enfant. Pour ne pas éveiller son mari couché près d’elle, lapauvre femme prit des précautions qu’une profonde terreur rendait aussiminutieuses que peuvent l’être celles d’un prisonnier qui s’évade. Quoique lesdouleurs devinssent de plus en plus intenses, elle cessa de les sentir, tant elleconcentra ses forces dans la pénible entreprise d’appuyer sur l’oreiller ses deuxmains humides, pour faire quitter à son corps endolori la posture où elle se trouvaitsans énergie. Au moindre bruissement de l’immense courte-pointe en moire vertesous laquelle elle avait très-peu dormi depuis son mariage, elle s’arrêtait comme sielle eût tinté une cloche. Forcée d’épier le comte, elle partageait son attention entreles plis de la criarde étoffe et une large figure basanée dont la moustache frôlait sonépaule. Si quelque ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 126
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

L’Enfant mauditHonoré de BalzacA MADAME LA BARONNE JAMES ROTHSCHILDCOMMENT VECUT LA MEREPar une nuit d’hiver et sur les deux heures du matin, la comtesse Jeanned’Hérouville éprouva de si vives douleurs que, malgré son inexpérience, ellepressentit un prochain accouchement ; et l’instinct qui nous fait espérer le mieuxdans un changement de position lui conseilla de se mettre sur son séant, soit pourétudier la nature de souffrances toutes nouvelles, soit pour réfléchir à sa situation.Elle était en proie à de cruelles craintes causées moins par les risques d’unpremier accouchement dont s’épouvantent la plupart des femmes, que par lesdangers qui attendaient l’enfant. Pour ne pas éveiller son mari couché près d’elle, lapauvre femme prit des précautions qu’une profonde terreur rendait aussiminutieuses que peuvent l’être celles d’un prisonnier qui s’évade. Quoique lesdouleurs devinssent de plus en plus intenses, elle cessa de les sentir, tant elleconcentra ses forces dans la pénible entreprise d’appuyer sur l’oreiller ses deuxmains humides, pour faire quitter à son corps endolori la posture où elle se trouvaitsans énergie. Au moindre bruissement de l’immense courte-pointe en moire vertesous laquelle elle avait très-peu dormi depuis son mariage, elle s’arrêtait comme sielle eût tinté une cloche. Forcée d’épier le comte, elle partageait son attention entreles plis de la criarde étoffe et une large figure basanée dont la moustache frôlait sonépaule. Si quelque respiration par trop bruyante s’exhalait des lèvres de son mari,elle lui inspirait des peurs soudaines qui ravivaient l’éclat du vermillon répandu surses joues par sa double angoisse. Le criminel parvenu nuitamment jusqu’à la portede sa prison et qui tâche de tourner sans bruit dans une impitoyable serrure la clefqu’il a trouvée, n’est pas plus timidement audacieux. Quand la comtesse se vit surson séant sans avoir réveillé son gardien, elle laissa échapper un geste de joieenfantine où se révélait la touchante naïveté de son caractère ; mais le sourire àdemi formé sur ses lèvres enflammées fut promptement réprimé : une pensée vintrembrunir son front pur, et ses longs yeux bleus reprirent leur expression detristesse. Elle poussa un soupir et replaça ses mains, non sans de prudentesprécautions, sur le fatal oreiller conjugal. Puis, comme si pour la première foisdepuis son mariage elle se trouvait libre de ses actions et de ses pensées, elleregarda les choses autour d’elle en tendant le cou par de légers mouvementssemblables à ceux d’un oiseau en cage. A la voir ainsi, on eût facilement devinéque naguère elle était tout joie et tout folâtrerie ; mais que subitement le destin avaitmoissonné ses premières espérances et changé son ingénue gaieté enmélancolie.La chambre était une de celles que, de nos jours encore, quelques conciergesoctogénaires annoncent aux voyageurs qui visitent les vieux châteaux en leurdisant : -- Voici la chambre de parade où Louis XIII a couché. De belles tapisseriesgénéralement brunes de ton étaient encadrées de grandes bordures en bois denoyer dont les sculptures délicates avaient été noircies par le temps. Au plafond, lessolives formaient des caissons ornés d’arabesques dans le style du siècleprécédent, et qui conservaient les couleurs du châtaignier. Ces décorations pleinesde teintes sévères réfléchissaient si peu la lumière, qu’il était difficile de voir leursdessins, alors même que le soleil donnait en plein dans cette chambre hauted’étage, large et longue. Aussi la lampe d’argent posée sur le manteau d’une vastecheminée l’éclairait-elle alors si faiblement, que sa lueur tremblotante pouvait êtrecomparée à ces étoiles nébuleuses qui, par moments, percent le voile grisâtred’une nuit d’automne. Les marmousets pressés dans le marbre de cette cheminéequi faisait face au lit de la comtesse, offraient des figures si grotesquementhideuses, qu’elle n’osait y arrêter ses regards, elle craignait de les voir se remuerou d’entendre un rire éclatant sortir de leurs bouches béantes et contournées. En cemoment une horrible tempête grondait par cette cheminée qui en redisait lesmoindres rafales en leur prêtant un sens lugubre, et la largeur de son tuyau la
mettait si bien en communication avec le ciel, que les nombreux tisons du foyeravaient une sorte de respiration, ils brillaient et s’éteignaient tour à tour, au gré duvent. L’écusson de la famille d’Hérouville, sculpté en marbre blanc avec tous seslambrequins et les figures de ses tenants, prêtait l’apparence d’une tombe à cetteespèce d’édifice qui faisait le pendant du lit, autre monument élevé à la gloire del’hyménée. Un architecte moderne eût été fort embarrassé de décider si la chambreavait été construite pour le lit, ou le lit pour la chambre. Deux amours qui jouaient surun ciel de noyer orné de guirlandes auraient pu passer pour des anges, et lescolonnes de même bois qui soutenaient ce dôme présentaient des allégoriesmythologiques dont l’explication se trouvait également dans la Bible ou dans lesMétamorphoses d’Ovide. Otez le lit, ce ciel aurait également bien couronné dansune église la chaire ou les bancs de l’oeuvre. Les époux montaient par troismarches à cette somptueuse couche entourée d’une estrade et décorée de deuxcourtines de moire verte à grands dessins brillants, nommés ramages, peut-êtreparce que les oiseaux qu’ils représentent sont censés chanter. Les plis de cesimmenses rideaux étaient si roides, qu’à la nuit on eût pris cette soie pour un tissude métal. Sur le velours vert, orné de crépines d’or, qui formait le fond de ce litseigneurial, la superstition des comtes d’Hérouville avait attaché un grand crucifixoù leur chapelain plaçait un nouveau buis bénit, en même temps qu’il renouvelait aujour de Pâques fleuries l’eau du bénitier incrusté au bas de la croix.D’un côté de la cheminée était une armoire de bois précieux et magnifiquementouvré, que les jeunes mariées recevaient encore en province le jour de leurs noces.Ces vieux bahuts si recherchés aujourd’hui par les antiquaires étaient l’arsenal oùles femmes puisaient les trésors de leurs parures aussi riches qu’élégantes. Ilscontenaient les dentelles, les corps de jupe, les hauts cols, les robes de prix, lesaumônières, les masques, les gants, les voiles, toutes les inventions de lacoquetterie du seizième siècle. De l’autre côté, pour la symétrie, s’élevait unmeuble semblable où la comtesse mettait ses livres, ses papiers et ses pierreries.D’antiques fauteuils en damas, un grand miroir verdâtre fabriqué à Venise etrichement encadré dans une espèce de toilette roulante, achevaient l’ameublementde cette chambre. Le plancher était couvert d’un tapis de Perse dont la richesseattestait la galanterie du comte. Sur la dernière marche du lit se trouvait une petitetable sur laquelle la femme de chambre servait tous les soirs, dans une couped’argent ou d’or, un breuvage préparé avec des épices.Quand nous avons fait quelques pas dans la vie, nous connaissons la secrèteinfluence exercée par les lieux sur les dispositions de l’âme. Pour qui ne s’est-il pasrencontré des instants mauvais où l’on voit je ne sais quels gages d’espérancedans les choses qui nous environnent ? Heureux ou misérable, l’homme prête unephysionomie aux moindres objets avec lesquels il vit ; il les écoute et les consulte,tant il est naturellement superstitieux. En ce moment, la comtesse promenait sesregards sur tous les meubles, comme s’ils eussent été des êtres ; elle semblait leurdemander secours ou protection ; mais ce luxe sombre lui paraissait inexorable.Tout à coup la tempête redoubla. La jeune femme n’osa plus rien augurer defavorable en entendant les menaces du ciel, dont les changements étaientinterprétés à cette époque de crédulité suivant les idées ou les habitudes dechaque esprit. Elle reporta soudain les yeux vers deux croisées en ogive qui étaientau bout de la chambre ; mais la petitesse des vitraux et la multiplicité des lames deplomb ne lui permirent pas de voir l’état du firmament et de reconnaître si la fin dumonde approchait, comme le prétendaient quelques moines affamés de donations.Elle aurait facilement pu croire à ces prédictions, car le bruit de la mer irritée, dontles vagues assaillaient les murs du château, se joignit à la grande voix de latempête, et les rochers parurent s’ébranler. Quoique les souffrances sesuccédassent toujours plus vives et plus cruelles, la comtesse n’osa pas réveillerson mari ; mais elle en examina les traits, comme si le désespoir lui avait conseilléd’y chercher une consolation contre tant de sinistres pronostics.Si les choses étaient tristes autour de la jeune femme, cette figure, malgré le calmedu sommeil, paraissait plus triste encore. Agitée par les flots du vent, la clarté de lalampe qui se mourait aux bords du lit n’illuminait la tête du comte que par moments,en sorte que les mouvements de la lueur simulaient sur ce visage en repos lesdébats d’une pensée orageuse. A peine la comtesse fut-elle rassurée enreconnaissant la cause de ce phénomène. Chaque fois qu’un coup de vent projetaitla lumière sur cette grande figure en ombrant les nombreuses callosités qui lacaractérisaient, il lui semblait que son mari allait fixer sur elle deux yeux d’uneinsoutenable rigueur. Implacable comme la guerre que se faisaient alors l’Eglise etle Calvinisme, le front du comte était encore menaçant pendant le sommeil ; denombreux sillons produits par les émotions d’une vie guerrière y imprimaient unevague ressemblance avec ces pierres vermiculées qui ornent les monuments de cetemps ; pareils aux mousses blanches des vieux chênes, des cheveux gris avant le
temps l’entouraient sans grâce, et l’intolérance religieuse y montrait ses brutalitéspassionnées. La forme d’un nez aquilin qui ressemblait au bec d’un oiseau deproie, les contours noirs et plissés d’un œil jaune, les os saillants d’un visagecreusé, la rigidité des rides profondes, le dédain marqué dans la lèvre inférieure,tout indiquait une ambition, un despotisme, une force d’autant plus à craindre quel’étroitesse du crâne trahissait un défaut absolu d’esprit et du courage sansgénérosité. Ce visage était horriblement défiguré par une large balafre transversaledont la couture figurait une seconde bouche dans la joue droite. A l’âge de trente-trois ans, le comte, jaloux de s’illustrer dans la malheureuse guerre de religion dontle signal fut donné par la Saint-Barthélemi, avait été grièvement blessé au siége dela Rochelle. La malencontre de sa blessure, pour parler le langage du temps,augmenta sa haine contre ceux de la Religion ; mais, par une disposition asseznaturelle, il enveloppa aussi les hommes à belles figures dans son antipathie. Avantcette catastrophe, il était déjà si laid qu’aucune dame n’avait voulu recevoir seshommages. La seule passion de sa jeunesse fut une femme célèbre nommée laBelle Romaine. La défiance que lui donna sa nouvelle disgrâce le rendit susceptibleau point de ne plus croire qu’il pût inspirer une passion véritable ; et son caractèredevint si sauvage, que s’il eut des succès en galanterie, il les dut à la frayeurinspirée par ses cruautés. La main gauche, que ce terrible catholique avait hors dulit, achevait de peindre son caractère. Etendue de manière à garder la comtessecomme un avare garde son trésor, cette main énorme était couverte de poils siabondants, elle offrait un lacis de veines et de muscles si saillants, qu’elleressemblait à quelque branche de hêtre entourée par les tiges d’un lierre jauni. Encontemplant la figure du comte, un enfant aurait reconnu l’un de ces ogres dont lesterribles histoires leur sont racontées par les nourrices. Il suffisait de voir la largeuret la longueur de la place que le comte occupait dans le lit pour deviner sesproportions gigantesques. Ses gros sourcils grisonnants lui cachaient lespaupières de manière à rehausser la clarté de son œil où éclatait la férocitélumineuse de celui d’un loup au guet dans la feuillée. Sous son nez de lion, deuxlarges moustaches peu soignées, car il méprisait singulièrement la toilette, nepermettaient pas d’apercevoir la lèvre supérieure. Heureusement pour la comtesse,la large bouche de son mari était muette en ce moment, car les plus doux sons decette voix rauque la faisaient frissonner. Quoique le comte d’Hérouville eût à peinecinquante ans, au premier abord on pouvait lui en donner soixante, tant les fatiguesde la guerre, sans altérer sa constitution robuste, avaient outragé sa physionomie ;mais il se souciait fort peu de passer pour un mignon.La comtesse, qui atteignait à sa dix-huitième année, formait auprès de cetteimmense figure un contraste pénible à voir. Elle était blanche et svelte. Ses cheveuxchâtains, mélangés de teintes d’or, se jouaient sur son cou comme des nuages debistre et découpaient un de ces visages délicats trouvés par Carlo Dolci pour sesmadones au teint d’ivoire, qui semblent près d’expirer sous les atteintes de ladouleur physique. Vous eussiez dit de l’apparition d’un ange chargé d’adoucir lesvolontés du comte d’Hérouville.— Non, il ne nous tuera pas, s’écria-t-elle mentalement après avoir longtempscontemplé son mari. N’est-il pas franc, noble, courageux et fidèle à sa parole ?…Fidèle à sa parole ? En reproduisant cette phrase par la pensée, elle tressaillitviolemment et resta comme stupide.Pour comprendre l’horreur de la situation où se trouvait la comtesse, il estnécessaire d’ajouter que cette scène nocturne avait lieu en 1591, époque à laquellela guerre civile régnait en France, et où les lois étaient sans vigueur. Les excès dela Ligue, opposée à l’avénement de Henri IV, surpassaient toutes les calamités desguerres de religion. La licence devint même alors si grande que personne n’étaitsurpris de voir un grand seigneur faisant tuer son ennemi publiquement, en pleinjour. Lorsqu’une expédition militaire dirigée dans un intérêt privé était conduite aunom de la Ligue ou du Roi, elle obtenait des deux parts les plus grands éloges. Cefut ainsi que Balagny, un soldat, faillit devenir prince souverain, aux portes de laFrance. Quant aux meurtres commis en famille, s’il est permis de se servir de cetteexpression, on ne s’en souciait pas plus, dit un contemporain, que d’une gerbe defeurre, à moins qu’ils n’eussent été accompagnés de circonstances par tropcruelles. Quelque temps avant la mort du roi, une dame de la cour assassina ungentilhomme qui avait tenu sur elle des discours malséants. L’un des mignons deHenri III lui dit : -- Elle l’a, vive Dieu ! sire, fort joliment dagué !Par la rigueur de ses exécutions, le comte d’Hérouville, un des plus emportésroyalistes de Normandie, maintenait sous l’obéissance de Henri IV toute la partiede cette province qui avoisine la Bretagne. Chef de l’une des plus riches familles deFrance, il avait considérablement augmenté le revenu de ses nombreuses terres enépousant, sept mois avant la nuit pendant laquelle commence cette histoire, Jeannede Saint-Savin, jeune demoiselle qui, par un hasard assez commun dans ces
temps où les gens mouraient dru comme mouches, avait subitement réuni sur satête les biens des deux branches de la maison de Saint-Savin. La nécessité, laterreur, furent les seuls témoins de cette union. Dans un repas donné, deux moisaprès, par la ville de Bayeux au comte et à la comtesse d’Hérouville à l’occasion deleur mariage, il s’éleva une discussion qui, par cette époque d’ignorance, futtrouvée fort saugrenue ; elle était relative à la prétendue légitimité des enfantsvenant au monde dix mois après la mort du mari, ou sept mois après la premièrenuit des noces. -- Madame, dit brutalement le comte à sa femme, quant à medonner un enfant dix mois après ma mort, je n’y peux. Mais pour votre début,n’accouchez pas à sept mois. -- Que ferais-tu donc, vieil ours ? demanda le jeunemarquis de Verneuil pensant que le comte voulait plaisanter. -- Je tordrais fortproprement le col à la mère et à l’enfant. Une réponse si péremptoire servit declôture à cette discussion imprudemment élevée par un seigneur bas-normand. Lesconvives gardèrent le silence en contemplant avec une sorte de terreur la joliecomtesse d’Hérouville. Tous étaient persuadés que dans l’occurrence ce faroucheseigneur exécuterait sa menace.La parole du comte retentit dans le sein de la jeune femme alors enceinte ; àl’instant même, un de ces pressentiments qui sillonnent l’âme comme un éclair del’avenir l’avertit qu’elle accoucherait à sept mois. Une chaleur intérieure enveloppala jeune femme de la tête aux pieds, en concentrant la vie au cœur avec tant deviolence qu’elle se sentit extérieurement comme dans un bain de glace. Depuislors, il ne se passa pas un jour sans que ce mouvement de terreur secrète n’arrêtâtles élans les plus innocents de son âme. Le souvenir du regard et de l’inflexion devoix par lesquels le comte accompagna son arrêt, glaçait encore le sang de lacomtesse et faisait taire ses douleurs, lorsque, penchée sur cette tête endormie,elle voulait y trouver durant le sommeil les indices d’une pitié qu’elle y cherchaitvainement pendant la veille. Cet enfant menacé de mort avant de naître, luidemandant le jour par un mouvement vigoureux, elle s’écria d’une voix quiressemblait à un soupir : -- Pauvre petit ! Elle n’acheva point, il y a des idées qu’unemère ne supporte pas. Incapable de raisonner en ce moment, la comtesse futcomme étouffée par une angoisse qui lui était inconnue. Deux larmes échappéesde ses yeux roulèrent lentement le long de ses joues, y tracèrent deux lignesbrillantes, et restèrent suspendues au bas de son blanc visage, semblables à deuxgouttes de rosée sur un lis. Quel savant oserait prendre sur lui de dire que l’enfantreste sur un terrain neutre où les émotions de la mère ne pénètrent pas, pendantces heures où l’âme embrasse le corps et y communique ses impressions, où lapensée infiltre au sang des baumes réparateurs ou des fluides vénéneux ? Cetteterreur qui agitait l’arbre troubla-t-elle le fruit ? Ce mot : Pauvre petit ! fut-il un arrêtdicté par une vision de son avenir ? Le tressaillement de la mère fut bien énergique,et son regard fut bien perçant !La sanglante réponse échappée au comte était un anneau qui rattachaitmystérieusement le passé de sa femme à cet accouchement prématuré. Cesodieux soupçons, si publiquement exprimés, avaient jeté dans les souvenirs de lacomtesse la terreur qui retentissait jusque dans l’avenir. Depuis ce fatal gala, ellechassait, avec autant de crainte qu’une autre femme aurait pris de plaisir à lesévoquer, mille tableaux épars que sa vive imagination lui dessinait souvent malgréses efforts. Elle se refusait à l’émouvante contemplation des heureux jours où soncœur était libre d’aimer. Semblables aux mélodies du pays natal qui font pleurer lesbannis, ces souvenirs lui retraçaient des sensations si délicieuses, que sa jeuneconscience les lui reprochait comme autant de crimes, et s’en servait pour rendreplus terrible encore la promesse du comte : là était le secret de l’horreur quioppressait la comtesse.Les figures endormies possèdent une espèce de suavité due au repos parfait ducorps et de l’intelligence ; mais quoique ce calme changeât peu la dure expressiondes traits du comte, l’illusion offre aux malheureux de si attrayants mirages, que lajeune femme finit par trouver un espoir dans cette tranquillité. La tempête quidéchaînait alors des torrents de pluie ne fit plus entendre qu’un mugissementmélancolique ; ses craintes et ses douleurs lui laissèrent également un moment derépit. En contemplant l’homme auquel sa vie était liée, la comtesse se laissa doncentraîner dans une rêverie dont la douceur fut si enivrante, qu’elle n’eut pas la forced’en rompre le charme. En un instant, par une de ces visions qui participent de lapuissance divine, elle fit passer devant elle les rapides images d’un bonheur perdusans retour.Jeanne aperçut d’abord faiblement, et comme dans la lointaine lumière de l’aurore,le modeste château où son insouciante enfance s’écoula : ce fut bien la pelouseverte, le ruisseau frais, la petite chambre, théâtre de ses premiers jeux. Elle se vitcueillant des fleurs, les plantant, et ne devinant pas pourquoi toutes se fanaient sansgrandir, malgré sa constance à les arroser. Bientôt apparut confusément encore la
ville immense et le grand hôtel noirci par le temps où sa mère la conduisit à l’âgede sept ans. Sa railleuse mémoire lui montra les vieilles têtes des maîtres qui latourmentèrent. A travers un torrent de mots espagnols ou italiens, en répétant enson âme des romances aux sons d’un joli rebec, elle se rappela la personne de sonpère. Au retour du Palais, elle allait au-devant du Président, elle le regardaitdescendant de sa mule à son montoir, lui prenait la main pour gravir avec luil’escalier, et par son babil chassait les soucis judiciaires qu’il ne dépouillait pastoujours avec la robe noire ou rouge dont, par espièglerie, la fourrure blanchemélangée de noir tomba sous ses ciseaux. Elle ne jeta qu’un regard sur leconfesseur de sa tante, la supérieure des Clarisses, homme rigide et fanatique,chargé de l’initier aux mystères de la religion. Endurci par les sévérités quenécessitait l’hérésie, ce vieux prêtre secouait à tout propos les chaînes de l’enfer,ne parlait que des vengeances célestes, et la rendait craintive en lui persuadantqu’elle était toujours en présence de Dieu. Devenue timide, elle n’osait lever lesyeux, et n’avait plus que du respect pour sa mère, à qui jusqu’alors elle avait faitpartager ses folâtreries. Dès ce moment, une religieuse terreur s’emparait de sonjeune coeur, quand elle voyait cette mère bien-aimée arrêtant sur elle ses yeuxbleus avec une apparence de colère. Elle se retrouva tout à coup dans sa secondeenfance, époque pendant laquelle elle ne comprit rien encore aux choses de la vie.Elle salua par un regret presque moqueur ces jours où tout son bonheur fut detravailler avec sa mère dans un petit salon de tapisserie, de prier dans une grandeéglise, de chanter une romance en s’accompagnant du rebec, de lire en cachetteun livre de chevalerie, déchirer une fleur par curiosité, découvrir quels présents luiferait son père à la fête du bienheureux saint Jean, et chercher le sens des parolesqu’on n’achevait pas devant elle. Aussitôt elle effaça par une pensée, comme onefface un mot crayonné sur un album, les enfantines joies que, pendant ce momentoù elle ne souffrait pas, son imagination venait de lui choisir parmi tous les tableauxque les seize premières années de sa vie pouvaient lui offrir. La grâce de cetocéan limpide fut bientôt éclipsée par l’éclat d’un plus frais souvenir, quoiqueorageux. La joyeuse paix de son enfance lui apportait moins de douceur qu’un seuldes troubles semés dans les deux dernières années de sa vie, années riches entrésors pour toujours ensevelis dans son coeur. La comtesse arriva soudain à cetteravissante matinée où, précisément au fond du grand parloir en bois de chênesculpté qui servait de salle à manger, elle vit son beau cousin pour la première fois.Effrayée par les séditions de Paris, la famille de sa mère envoyait à Rouen ce jeunecourtisan, dans l’espérance qu’il s’y formerait aux devoirs de la magistrature auprèsde son grand-oncle, de qui la charge lui serait transmise quelque jour. La comtessesourit involontairement en songeant à la vivacité avec laquelle elle s’était retirée enreconnaissant ce parent attendu qu’elle ne connaissait pas. Malgré sa promptitudeà ouvrir et fermer la porte, son coup d’œil avait mis dans son âme une si vigoureuseempreinte de cette scène, qu’en ce moment il lui semblait encore le voir tel qu’il seproduisit en se retournant. Elle n’avait alors admiré qu’à la dérobée le goût et le luxerépandus sur des vêtements faits à Paris ; mais, aujourd’hui plus hardie dans sonsouvenir, son œil allait librement du manteau en velours violet brodé d’or et doubléde satin, aux ferrons qui garnissaient les bottines, et des jolies losanges crevées dupourpoint et du haut-de-chausse, à la riche collerette rabattue qui laissait voir uncou frais aussi blanc que la dentelle. Elle flattait avec la main une figurecaractérisée par deux petites moustaches relevées en pointe, et par une royalepareille à l’une des queues d’hermine se- mées sur l’épitoge de son père. Au milieudu silence et de la nuit, les yeux fixés sur les courtines de moire qu’elle ne voyaitplus, oubliant et l’orage et son mari, la comtesse osa se rappeler comment, aprèsbien des jours qui lui semblèrent aussi longs que des années, tant pleins ils furent,le jardin entouré de vieux murs noirs et le noir hôtel de son père lui parurent dorés etlumineux. Elle aimait, elle était aimée ! Comment, craignant les regards sévères desa mère, elle s’était glissée un matin dans le cabinet de son père pour lui faire sesjeunes confidences, après s’être assise sur lui et s’être permis des espiègleries quiavaient attiré le sourire aux lèvres de l’éloquent magistrat, sourire qu’elle attendaitpour lui dire : « -- Me gronderez-vous, si je vous dis quelque chose ? » Elle croyaitentendre encore son père lui disant après un interrogatoire où, pour la premièrefois, elle parlait de son amour : « -- Eh ! bien, mon enfant, nous verrons. S’il étudiebien, s’il veut me succéder, s’il continue à te plaire, je me mettrai de taconspiration ! » Elle n’avait plus rien écouté, elle avait baisé son père et renverséles paperasses pour courir au grand tilleul où, tous les matins avant le lever de saredoutable mère, elle rencontrait le gentil George de Chaverny ! Le courtisanpromettait de dévorer les lois et les coutumes, il quittait les riches ajustements de lanoblesse d’épée pour prendre le sévère costume des magistrats. « -- Je t’aimebien mieux vêtu de noir, » lui disait-elle. Elle mentait, mais ce mensonge avait renduson bien-aimé moins triste d’avoir jeté la dague aux champs. Le souvenir des rusesemployées pour tromper sa mère dont la sévérité semblait grande, lui rendirent lesjoies fécondes d’un amour innocent, permis et partagé. C’était quelque rendez-voussous les tilleuls, où la parole était plus libre sans témoins ; les furtives étreintes et
les baisers surpris, enfin tous les naïfs à-comptes de la passion qui ne dépassepoint les bornes de la modestie. Revivant comme en songe dans ces délicieusesjournées où elle s’accusait d’avoir eu trop de bonheur, elle osa baiser dans le videcette jeune figure aux regards enflammés, et cette bouche vermeille qui lui parla sibien d’amour. Elle avait aimé Chaverny pauvre en apparence ; mais combien detrésors n’avait-elle pas découverts dans cette âme aussi douce qu’elle était forte !Tout à coup meurt le président, Chaverny ne lui succède pas, la guerre civilesurvient flamboyante. Par les soins de leur cousin, elle et sa mère trouvent un asilesecret dans une petite ville de la Basse-Norman- die. Bientôt les morts successivesde quelques parents la rendent une des plus riches héritières de France. Avec lamédiocrité de fortune s’enfuit le bonheur. La sauvage et terrible figure du comted’Hérouville qui demande sa main, lui apparaît comme une nuée grosse de foudrequi étend son crêpe sur les richesses de la terre jusqu’alors dorée par le soleil. Lapauvre comtesse s’efforce de chasser le souvenir des scènes de désespoir et delarmes amenées par sa longue résistance. Elle voit confusément l’incendie de lapetite ville, puis Chaverny le huguenot mis en prison, menacé de mort, et attendantun horrible supplice. Arrive cette épouvantable soirée où sa mère pâle et mourantese prosterne à ses pieds, Jeanne peut sauver son cousin, elle cède. Il est nuit ; lecomte, revenu sanglant du combat, se trouve prêt ; il fait surgir un prêtre, desflambeaux, une église ! Jeanne appartient au malheur. A peine peut-elle dire adieuà son beau cousin délivré. « -- Chaverny, si tu m’aimes, ne me revois jamais ! » Elleentend le bruit lointain des pas de son noble ami qu’elle n’a plus revu ; mais ellegarde au fond du cœur son dernier regard qu’elle retrouve si souvent dans sessonges et qui les lui éclaire. Comme un chat enfermé dans la cage d’un lion, lajeune femme craint à chaque heure les griffes du maître, toujours levées sur elle. Lacomtesse se fait un crime de revêtir à certains jours, consacrés par quelque plaisirinattendu, la robe que portait la jeune fille au moment où elle vit son amant.Aujourd’hui, pour être heureuse, elle doit oublier le passé, ne plus songer à l’avenir.— Je ne me crois pas coupable, se dit-elle ; mais si je le parais aux yeux du comte,n’est-ce pas comme si je l’étais ? Peut-être le suis-je ! La sainte Vierge n’a-t-ellepas conçu sans… Elle s’arrêta.Pendant ce moment où ses pensées étaient nuageuses, où son âme voyageaitdans le monde des fantaisies, sa naïveté lui fit attribuer au dernier regard, parlequel son amant lui darda toute sa vie, le pouvoir qu’exerça la Visitation de l’angesur la mère du Sauveur. Cette supposition, digne du temps d’innocence auquel sarêverie l’avait reportée, s’évanouit devant le souvenir d’une scène conjugale plusodieuse que la mort. La pauvre comtesse ne pouvait plus conserver de doute sur lalégitimité de l’enfant qui s’agitait dans son sein. La première nuit des noces luiapparut dans toute l’horreur de ses supplices, traînant à sa suite bien d’autres nuits,et de plus tristes jours ! -- Ah ! pauvre Chaverny ! s’écria-t-elle en pleurant, toi sisoumis, si gracieux, tu m’as toujours été bienfaisant !Elle tourna les yeux sur son mari, comme pour se persuader encore que cette figurelui promettait une clémence si chèrement achetée. Le comte était éveillé. Ses deuxyeux jaunes, aussi clairs que ceux d’un tigre, brillaient sous les touffes de sessourcils, et jamais son regard n’avait été plus incisif qu’en ce moment. Lacomtesse, épouvantée d’avoir rencontré ce regard, se glissa sous la courte-pointeet resta sans mouvement.— Pourquoi pleurez-vous ? demanda le comte en tirant vivement le drap souslequel sa femme s’était cachée.Cette voix, toujours effrayante pour elle, eut en ce moment une douceur factice quilui sembla de bon augure.— Je souffre beaucoup, répondit-elle.— Eh ! bien, ma mignonne, est-ce un crime que de souffrir ? Pourquoi tremblerquand je vous regarde ? Hélas ! que faut-il donc faire pour être aimé ? Toutes lesrides de son front s’amassèrent entre ses deux sourcils. -- Je vous cause toujoursde l’effroi, je le vois bien, ajouta-t-il en soupirant.Conseillée par l’instinct des caractères faibles, la comtesse interrompit le comte enjetant quelques gémissements, et s’écria : -- Je crains de faire une fausse couche !J’ai couru sur les rochers pendant toute la soirée, je me serai sans doute tropfatiguée.En entendant ces paroles, le sire d’Hérouville jeta sur sa femme un regard sisoupçonneux qu’elle rougit en frissonnant. Il prit la peur qu’il inspirait à cette naïvecréature pour l’expression d’un remords.
— Peut-être est-ce un accouchement véritable qui commence ? demanda-t-il.— Eh ! bien ? dit-elle.— Eh ! bien, dans tous les cas, il faut ici un homme habile, et je vais l’aller chercher.L’air sombre qui accompagnait ces paroles glaça la comtesse, elle retomba sur lelit en poussant un soupir arraché plutôt par le sentiment de sa destinée que par lesangoisses de la crise prochaine. Ce gémissement acheva de prouver au comte lavraisemblance des soupçons qui se réveillaient dans son esprit. En affectant uncalme que les accents de sa voix, ses gestes et ses regards démentaient, il se levaprécipitamment, s’enveloppa d’une robe qu’il trouva sur un fauteuil, et commençapar fermer une porte située auprès de la cheminée, et par laquelle on passait de lachambre de parade dans les appartements de réception qui communiquaient àl’escalier d’honneur. En voyant son mari garder cette clef, la comtesse eut lepressentiment d’un malheur ; elle l’entendit ouvrir la porte opposée à celle qu’ilvenait de fermer, et se rendre dans une autre pièce où couchaient les comtesd’Hérouville, quand ils n’honoraient pas leurs femmes de leur noble compagnie. Lacomtesse ne connaissait que par ouï-dire la destination de cette chambre, lajalousie fixait son mari près d’elle. Si quelques expéditions militaires l’obligeaient àquitter le lit d’honneur, le comte laissait au château des argus dont l’incessantespionnage accusait ses outrageuses défiances. Malgré l’attention avec laquelle lacomtesse s’efforçait d’écouter le moindre bruit, elle n’entendit plus rien. Le comteétait arrivé dans une longue galerie contiguë à sa chambre, et qui occupait l’aileoccidentale du château. Le cardinal d’Hérouville, son grand-oncle, amateurpassionné des oeuvres de l’imprimerie, y avait amassé une bibliothèque aussicurieuse par le nombre que par la beauté des volumes, et la prudence lui avait faitpratiquer dans les murs une de ces inventions conseillées par la solitude ou par lapeur monastique. Une chaîne d’argent mettait en mouvement, au moyen de filsinvisibles, une sonnette placée au chevet d’un serviteur fidèle. Le comte tira cettechaîne, un écuyer de garde ne tarda pas à faire retentir du bruit de ses bottes et deses éperons les dalles sonores d’une vis en colimaçon contenue dans la hautetourelle qui flanquait l’angle occidental du château du côté de la mer. En entendantmonter son serviteur, le comte alla dérouiller les ressorts de fer et les verrous quidéfendaient la porte secrète par laquelle la galerie communiquait avec la tour, et ilintroduisit dans ce sanctuaire de la science un homme d’armes dont l’encolureannonçait un serviteur digne du maître. L’écuyer, à peine éveillé, semblait avoirmarché par instinct ; la lanterne de corne qu’il tenait à la main éclaira si faiblementla longue galerie, que son maître et lui se dessinèrent dans l’obscurité comme deuxfantômes.— Selle mon cheval de bataille à l’instant même, et tu vas m’accompagner. Cetordre fut prononcé d’un son de voix profond qui réveilla l’intelligence du serviteur ; illeva les yeux sur son maître, et rencontra un regard si perçant, qu’il en reçut commeune se- [Le comte d’Hérouville]cousse électrique. -- Bertrand, ajouta le comte en posant la main droite sur le brasde l’écuyer, tu quitteras ta cuirasse et prendras les habits d’un capitaine demiquelets.— Vive Dieu, monseigneur, me déguiser en ligueur ! Excusez-moi, je vous obéirai,mais j’aimerais autant être pendu.Flatté dans son fanatisme, le comte sourit ; mais pour effacer ce rire qui contrastaitavec l’expression répandue sur son visage, il répondit brusquement : -- Choisisdans l’écurie un cheval assez vigoureux pour que tu me puisses suivre. Nousmarcherons comme des balles au sortir de l’arquebuse. Quand je serai prêt, sois-le. Je sonnerai de nouveau.Bertrand s’inclina en silence et partit ; mais quand il eut descendu quelquesmarches, il se dit à lui-même, en entendant siffler l’ouragan : -- Tous les démonssont dehors, jarnidieu ! j’aurais été bien étonné de voir celui-ci rester tranquille.Nous avons surpris Saint-Lô par une tempête semblable.Le comte trouva dans sa chambre le costume qui lui servait souvent pour sesstratagèmes. Après avoir revêtu sa mauvaise casaque, qui avait l’air d’appartenir àl’un de ces pauvres reîtres dont la solde était si rarement payée par Henri IV, ilrevint dans la chambre où gémissait sa femme.— Tâchez de souffrir patiemment, lui dit-il. Je crèverai, s’il le faut, mon cheval, afinde revenir plus vite pour apaiser vos douleurs.Ces paroles n’annonçaient rien de funeste, et la comtesse enhardie se préparait à
faire une question, lorsque le comte lui demanda tout à coup : -- Ne pourriez-vousme dire où sont vos masques ?— Mes masques, répondit-elle. Bon Dieu ! qu’en voulez-vous faire ?— Où sont vos masques ? répéta-t-il avec sa violence ordinaire.— Dans le bahut, dit-elle.La comtesse ne put s’empêcher de frémir en voyant son mari choisir dans sesmasques un touret de nez, dont l’usage était aussi naturel aux dames de cetteépoque, que l’est celui des gants aux femmes d’aujourd’hui. Le comte devintentièrement méconnaissable quand il eut mis sur sa tête un mauvais chapeau defeutre gris orné d’une vieille plume de coq toute cassée. Il serra autour de ses reinsun large ceinturon de cuir dans la gaîne duquel il passa une dague qu’il ne portaitpas habituellement. Ces misérables vêtements lui donnèrent un aspect si effrayant,et il s’avança vers le lit par un mouvement si étrange, que la comtesse crut sadernière heure arrivée.— Ah ! ne nous tuez pas, s’écria-t-elle, laissez-moi mon enfant, et je vous aimerai.neib— Vous vous sentez donc bien coupable pour m’offrir comme une rançon de vosfautes l’amour que vous me devez ?La voix du comte eut un son lugubre sous le velours ; ses amères paroles furentaccompagnées d’un regard qui eut la pesanteur du plomb et anéantit la comtesseen tombant sur elle.— Mon Dieu, s’écria-t-elle douloureusement, l’innocence serait-elle donc funeste ?— Il ne s’agit pas de votre mort, lui répondit son maître en sortant de la rêverie où ilétait tombé, mais de faire exactement, et pour l’amour de moi, ce que je réclame ence moment de vous. Il jeta sur le lit un des deux masques qu’il tenait, et sourit depitié en voyant le geste de frayeur involontaire qu’arrachait à sa femme le choc siloger du velours noir. -- Vous ne me ferez qu’un mièvre enfant ! s’écria-t-il. Ayez cemasque sur votre visage lorsque je serai de retour, ajouta-t-il. Je ne veux pas qu’uncroquant puisse se vanter d’avoir vu la comtesse d’Hérouville !— Pourquoi prendre un homme pour cet office ? demanda-t-elle à voix basse.— Oh ! oh ! ma mie, ne suis-je pas le maître ici ? répondit le comte.— Qu’importe un mystère de plus ! dit la comtesse au désespoir.Son maître avait disparu, cette exclamation fut sans danger pour elle, car souventl’oppresseur étend ses mesures aussi loin que va la crainte de l’opprimé. Par undes courts moments de calme qui séparaient les accès de la tempête, la comtesseentendit le pas de deux chevaux qui semblaient voler à travers les dunes périlleuseset les rochers sur lesquels ce vieux château était assis. Ce bruit fut promptementétouffé par la voix des flots. Bientôt elle se trouva prisonnière dans ce sombreappartement, seule au milieu d’une nuit tour à tour silencieuse ou menaçante, etsans secours pour conjurer un malheur qu’elle voyait s’avancer à grands pas. Lacomtesse chercha quelque ruse pour sauver cet enfant conçu dans les larmes, etdéjà devenu toute sa consolation, le principe de ses idées, l’avenir de sesaffections, sa seule et frêle espérance. Soutenue par un maternel courage, elle allaprendre le petit cor dont se servait son mari pour faire venir ses gens, ouvrit unefenêtre, et tira du cuivre des accents grêles qui se perdirent sur la vaste étenduedes eaux, comme une bulle lancée dans les airs par un enfant. Elle comprit l’inutilitéde cette plainte ignorée des hommes, et se mit à marcher à travers lesappartements, en espérant que toutes les issues ne seraient pas fermées.Parvenue à la bibliothèque, elle chercha, mais en vain, s’il n’y existerait pas quelquepassage secret, elle traversa la longue galerie des livres, atteignit la fenêtre la plusrapprochée de la cour d’honneur du château, fit de nouveau retentir les échos ensonnant du cor, et lutta sans succès avec la voix de l’ouragan. Dans sondécouragement, elle pensait à se confier à l’une de ses femmes, toutes créaturesde son mari, lorsqu’en passant dans son oratoire elle vit que le comte avait fermé laporte qui conduisait à leurs appartements. Ce fut une horrible découverte. Tant deprécautions prises pour l’isoler annonçaient le désir de procéder sans témoins àquelque terrible exécution. A mesure que la comtesse perdait tout espoir, lesdouleurs venaient l’assaillir plus vives, plus ardentes. Le pressentiment d’un meurtrepossible, joint à la fatigue de ses efforts, lui enleva le reste de ses forces. Elleressemblait au naufragé qui succombe, emporté par une dernière lame moins
furieuse que toutes celles qu’il a vaincues. La douloureuse ivresse de l’enfantementne lui permit plus de compter les heures. Au moment où elle se crut sur le pointd’accoucher, seule, sans secours, et qu’à ses terreurs se joignit la crainte desaccidents auxquels son inexpérience l’exposait, le comte arriva soudain sansqu’elle l’eût entendu venir. Cet homme se trouva là comme un démon réclamant, àl’expiration d’un pacte, l’âme qui lui a été vendue ; il gronda sourdement en voyantle visage de sa femme découvert ; mais après l’avoir assez adroitement masquée,il l’emporta dans ses bras et la déposa sur le lit de sa chambre.L’effroi que cette apparition et cet enlèvement inspirèrent à la comtesse fit taire unmoment ses douleurs, elle put jeter un regard furtif sur les acteurs de cette scènemystérieuse, et ne reconnut pas Bertrand qui s’était masqué aussi soigneusementque son maître. Après avoir allumé à la hâte quelques bougies dont la clarté semêlait aux premiers rayons du soleil qui rougissait les vitraux, ce serviteur allas’appuyer à l’angle d’une embrasure de fenêtre. Là, le visage tourné vers le mur, ilsemblait en mesurer l’épaisseur et se tenait dans une immobilité si complète quevous eussiez dit d’une statue de chevalier. Au milieu de la chambre, la comtesseaperçut un petit homme gras, tout pantois, dont les yeux étaient bandés et dont lestraits étaient si bouleversés par la terreur, qu’il lui fut impossible de deviner leurexpression habituelle.— Par la mort-dieu ! monsieur le drôle, dit le comte en lui rendant la vue par unmouvement brusque qui fit tomber au cou de l’inconnu le bandeau qu’il avait sur lesyeux, ne t’avise pas de regarder autre chose que la misérable sur laquelle tu vasexercer ta science ; sinon, je te jette dans la rivière qui coule sous ces fenêtresaprès t’avoir mis un collier de diamants qui pèseront plus de cent livres ! Et il tiralégèrement sur la poitrine de son auditeur stupéfait la cravate qui avait servi debandeau. -- Examine d’abord si ce n’est qu’une fausse couche ; dans ce cas ta vieme répondrait de la sienne ; mais si l’enfant est vivant, tu me l’apporteras.Après cette allocution, le comte saisit par le milieu du corps le pauvre opérateur,l’enleva comme une plume de la place où il était, et le posa devant la comtesse. Leseigneur alla se placer au fond de l’embrasure de la croisée, où il joua du tambouravec ses doigts sur le vitrage, en portant alternativement ses yeux sur son serviteur,sur le lit et sur l’Océan, comme s’il eût voulu promettre à l’enfant attendu la mer pourberceau.L’homme que, par une violence inouïe, le comte et Bertrand venaient d’arracher auplus doux sommeil qui eût jamais clos paupière humaine, pour l’attacher en croupesur un cheval qu’il put croire poursuivi par l’enfer, était un personnage dont laphysionomie peut servir à caractériser celle de cette époque, et dont l’influence sefit d’ailleurs sentir dans la maison d’Hérouville.Jamais en aucun temps les nobles ne furent moins instruits en sciences naturelles,et jamais l’astrologie judiciaire ne fut plus en honneur, car jamais on ne désira plusvivement connaître l’avenir. Cette ignorance et cette curiosité générale avaientamené la plus grande confusion dans les connaissances humaines ; tout y étaitpratique personnelle, car les nomenclatures de la théorie manquaient encore ;l’imprimerie exigeait de grands frais, les communications scientifiques avaient peude rapidité ; l’Eglise persécutait encore les sciences tout d’examen qui se basaientsur l’analyse des phénomènes naturels. La persécution engendrait le mystère.Donc, pour le peuple comme pour les grands, physicien et alchimiste,mathématicien et astronome, astrologue et nécromancien, étaient six attributs quise confondaient en la personne du médecin. Dans ce temps, le médecin supérieurétait soupçonné de cultiver la magie ; tout en guérissant ses malades, il devait tirerdes horoscopes. Les princes protégeaient d’ailleurs ces génies auxquels serévélait l’avenir, ils les logeaient chez eux et les pensionnaient. Le fameux CorneilleAgrippa, venu en France pour être le médecin de Henri II, ne voulut pas, comme lefaisait Nostradamus, pronostiquer l’avenir, et il fut congédié par Catherine deMédicis qui le remplaça par Cosme Ruggieri. Les hommes supérieurs à leur tempset qui travaillaient aux sciences étaient donc difficilement appréciés ; tousinspiraient la terreur qu’on avait pour les sciences occultes et leurs résultats.Sans être précisément un de ces fameux mathématiciens, l’homme enlevé par lecomte jouissait en Normandie de la réputation équivoque attachée à un médecinchargé d’oeuvres ténébreuses. Cet homme était l’espèce de sorcier que lespaysans nomment encore, dans plusieurs endroits de la France, un Rebouteur. Cenom appartenait à quelques génies bruts qui, sans étude apparente, mais par desconnaissances héréditaires et souvent par l’effet d’une longue pratique dont lesobservations s’accumulaient dans une famille, reboutaient, c’est-à-dire remettaientles jambes et les bras cassés, guérissaient bêtes et gens de certaines maladies, etpossédaient des secrets prétendus merveilleux pour le traitement des cas graves.
Non-seulement maître Antoine Beauvouloir, tel était le nom du rebouteur, avait eupour aïeul et pour père deux fameux praticiens desquels il tenait d’importantestraditions, mais encore il était instruit en médecine ; il s’occupait de sciencesnaturelles. Les gens de la campagne voyaient son cabinet plein de livres et dechoses étranges qui donnaient à ses succès une teinte de magie. Sans passerprécisément pour sorcier, Antoine Beauvouloir imprimait, à trente lieues à la ronde,un respect voisin de la terreur aux gens du peuple ; et, chose plus dangereuse pourlui-même, il avait à sa disposition des secrets de vie et de mort qui concernaientles familles nobles du pays. Comme son grand-père et son père, il était célèbre parson habileté dans les accouchements, avortements et fausses couches. Or, dansces temps de désordres, les fautes furent assez fréquentes et les passions assezmauvaises pour que la haute noblesse se vît obligée d’initier souvent maître AntoineBeauvouloir à des secrets honteux ou terribles. Nécessaire à sa sécurité, sadiscrétion était à toute épreuve ; aussi sa clientèle le payait-elle généreusement, ensorte que sa fortune héréditaire s’augmentait beaucoup. Toujours en route, tantôtsurpris comme il venait de l’être par le comte, tantôt obligé de passer plusieursjours chez quelque grande dame, il ne s’était pas encore marié ; d’ailleurs sarenommée avait empêché plusieurs filles de l’épouser. Incapable de chercher desconsolations dans les hasards de son métier qui lui conférait tant de pouvoir sur lesfaiblesses féminines, le pauvre rebouteur se sentait fait pour les joies de la famille,et ne pouvait se les donner. Ce bonhomme cachait un excellent cœur sous lesapparences trompeuses d’un caractère gai, en harmonie avec sa figure joufflue,avec ses formes rondes, avec la vivacité de son petit corps gras et la franchise deson parler. Il désirait donc se marier pour avoir une fille qui transportât ses biens àquelque pauvre gentilhomme ; car il n’aimait pas son état de rebouteur, et voulaitfaire sortir sa famille de la situation où la mettaient les préjugés du temps. Soncaractère s’était d’ailleurs assez bien accommodé de la joie et des repas quicouronnaient ses principales opérations. L’habitude d’être partout l’homme le plusimportant avait ajouté à sa gaieté constitutive une dose de vanité grave. Sesimpertinences étaient presque toujours bien reçues dans les moments de crise, oùil se plaisait à opérer avec une certaine lenteur magistrale. De plus, il était curieuxcomme un rossignol, gourmand comme un lévrier et bavard comme le sont lesdiplomates qui parlent sans jamais rien trahir de leurs secrets. A ces défauts près,développés en lui par les aventures multipliées où le jetait sa profession, AntoineBeauvouloir passait pour être le moins mauvais homme de la Normandie. Quoiqu’ilappartînt au petit nombre d’esprits supérieurs à leur temps, un bon sens decampagnard normand lui avait conseillé de tenir cachées ses idées acquises et lesvérités qu’il découvrait.En se trouvant placé par le comte devant une femme en mal d’enfant, le rebouteurrecouvra toute sa présence d’esprit. Il se mit à tâter le pouls de la dame masquée,sans penser aucunement à elle ; mais, à l’aide de ce maintien doctoral, il pouvaitréfléchir et réfléchissait sur sa propre situation. Dans aucune des intrigueshonteuses et criminelles où la force l’avait contraint d’agir en instrument aveugle,jamais les précautions n’avaient été gardées avec autant de prudence qu’ellesl’étaient dans celle-ci. Quoique sa mort eût été souvent mise en délibération,comme moyen d’assurer le succès des entreprises auxquelles il participait malgrélui, jamais sa vie n’avait été compromise autant qu’elle l’était en ce moment. Avanttout, il résolut de reconnaître ceux qui l’employaient, et de s’enquérir ainsi del’étendue de son danger afin de pouvoir sauver sa chère personne.— De quoi s’agit-il ? demanda le rebouteur à voix basse en disposant la comtesseà recevoir les secours de son expérience.— Ne lui donnez pas l’enfant.— Parlez haut, dit le comte d’une voix tonnante qui empêcha maître Beauvouloird’entendre le dernier mot prononcé par la victime. Sinon, ajouta le seigneur quidéguisait soigneusement sa voix, dis ton In manus.— Plaignez-vous à haute voix, dit le rebouteur à la dame. Criez, jarnidieu ! cethomme a des pierreries qui ne vous iraient pas mieux qu’à moi ! Du courage, mapetite dame ?— Aie la main légère, cria de nouveau le comte.— Monsieur est jaloux, répondit l’opérateur d’une petite voix aigre qui futheureusement couverte par les cris de la comtesse.Pour la sûreté de maître Beauvouloir, la nature se montra clémente. Ce fut plutôt unavortement qu’un accouchement, tant l’enfant qui vint était chétif ; aussi causa-t-ilpeu de douleurs à sa mère.
— Par le ventre de la sainte Vierge, s’écria le curieux rebouteur, ce n’est pas unefausse couche !Le comte fit trembler le plancher en piétinant de rage, et la comtesse pinça maîtreBeauvouloir.— Ah ! j’y suis, se dit-il à lui-même. -- Ce devait donc être une fausse couche ?demanda-t-il tout bas à la comtesse qui lui répondit par un geste affirmatif, commesi ce geste eût été le seul langage qui pût exprimer ses pensées. -- Tout cela n’estpas encore bien clair, pensa le rebouteur.Comme tous les gens habiles en son art, l’accoucheur reconnaissait facilement unefemme qui en était, disait-il, à son premier malheur. Quoique la pudiqueinexpérience de certains gestes lui révélât la virginité de la comtesse, le malicieuxrebouteur s’écria : -- Madame accouche comme si elle n’avait jamais fait que cela !Le comte dit alors avec un calme plus effrayant que sa colère : -- A moi l’enfant.— Ne le lui donnez pas, au nom de Dieu ! fit la mère dont le cri presque sauvageréveilla dans le cœur du petit homme une courageuse bonté qui l’attacha, beaucoupplus qu’il ne le crut lui-même, à ce noble enfant renié par son père.— L’enfant n’est pas encore venu. Vous vous battez de la chape à l’évêque,répondit-il froidement au comte en cachant l’avorton.Etonné de ne pas entendre de cris, le rebouteur regarda l’enfant en le croyant déjàmort ; la comte s’aperçut alors de la supercherie et sauta sur lui d’un seul bond.— Tête-dieu pleine de reliques ! me le donneras-tu, s’écria le seigneur en luiarrachant l’innocente victime qui jeta de faibles cris.— Prenez garde, il est contrefait et presque sans consistance, dit maîtreBeauvouloir en s’accrochant au bras du comte. C’est un enfant venu sans doute àsept mois ! Puis, avec une force supérieure qui lui était donnée par une sorted’exaltation, il arrêta les doigts du père en lui disant à l’oreille, d’une voixentrecoupée : -- Epargnez-vous un crime, il ne vivra pas.— Scélérat ! répliqua vivement le comte aux mains duquel le rebouteur avaitarraché l’enfant, qui te dit que je veuille la mort de mon fils ? Ne vois-tu pas que je lecaresse ?— Attendez alors qu’il ait dix-huit ans pour le caresser ainsi, répondit Beauvouloiren retrouvant son importance. Mais, ajouta-t-il en pensant à sa propre sûreté, car ilvenait de reconnaître le seigneur d’Hérouville qui dans son emportement avaitoublié de déguiser sa voix, baptisez-le promptement et ne parlez pas de mon arrêtà la mère : autrement, vous la tueriez.La joie secrète que le comte avait trahie par le geste qui lui échappa quand la mortde l’avorton lui fut prophétisée, avait suggéré cette phrase au rebouteur, et venaitde sauver l’enfant ; Beauvouloir s’empressa de le reporter près de la mère alorsévanouie, et il la montra par un geste ironique, pour effrayer le comte de l’état danslequel leur débat l’avait mise. La comtesse avait tout entendu, car il n’est pas rarede voir dans les grandes crises de la vie les organes humains contractant unedélicatesse inouïe ; ce- pendant les cris de son enfant posé sur le lit la rendirentcomme par magie à la vie ; elle crut entendre la voix de deux anges quand, à lafaveur des vagissements du nouveau-né, le rebouteur lui dit à voix basse, en sepenchant à son oreille : -- Ayez-en bien soin, il vivra cent ans. Beauvouloir s’yconnaît.Un soupir céleste, un mystérieux serrement de main furent la récompense durebouteur qui cherchait à s’assurer, avant de livrer aux embrassements de la mèreimpatiente cette frêle créature dont la peau portait encore l’empreinte des doigts ducomte, si la caresse paternelle n’avait rien dérangé dans sa chétive organisation.Le mouvement de folie par lequel la mère cacha son fils auprès d’elle et le regardmenaçant qu’elle jeta sur le comte par les deux trous du masque firent frissonnerBeauvouloir.— Elle mourrait si elle perdait trop promptement son fils, dit-il au comte.Pendant cette dernière partie de la scène, le sire d’Hérouville semblait n’avoir rienvu, ni entendu. Immobile et comme absorbé dans une profonde méditation, il avaitrecommencé à battre du tambour avec ses doigts sur les vitraux ; mais, après ladernière phrase que lui dit le rebouteur, il se retourna vers lui par un mouvementd’une violence frénétique, et tira sa dague.
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents