L’Écrivain national, Serge Joncour
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Ce séjour promettait d'être calme. C'était même l'idée de départ, prendre du recul, faire un pas de côté hors du quotidien. En acceptant l'invitation je ne courais aucun risque, la sinécure s'annonçait même idéale, un mois dans une région forestière et reculée, un mois dans une ville perdue avec juste ce qu'il faut de monde pour ne pas craindre d'être seul, tout en étant royalement retiré, ça semblait rêvé. En plus, on était au début de l'automne, ça promettait de belles balades au fil des chemins creux, des fins d'après-midi à parcourir la forêt, des heures à se perdre dans des panoramas aux couleurs incendiées, pour en revenir le sang neuf et la tête gorgée d'idées neuves, ce serait parfait. En contrepartie de cette villégiature j'aurais certes une mission à remplir, mais bien mince et plutôt distrayante, sans pression d'aucune sorte. À vrai dire il n'y avait pas de réels enjeux, pas le moindre péril, pas de piège, je savais être attendu avec une sincère bienveillance, voire de l'impatience chez certains, et c'est pourquoi, en prenant le train ce lundi matin avec mon grand sac, pas une seconde je n'imaginais que le doux séjour puisse virer au cauchemar, pas une seconde je ne pouvais envisager que tout bascule au point de sombrer dans la folie des pires dérèglements. Oui, sans ce fait divers à quelques kilomètres de là, tout se serait parfaitement bien passé.

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Publié par
Publié le 04 novembre 2014
Nombre de lectures 2 782
Langue Français

Extrait

Serge Joncour
L'écrivain national
Flammarion
© Flammarion, 2014 Dépôt légal : août 2014 ISBN Epub : 9782081349407
ISBN PDF Web : 9782081349414
Le livre a été imprimé sous les références : ISBN : 9782081249158
Ouvrage composé et converti par Meta-systems (59100 Roubaix)
Présentation de l'éditeur Le jour où il arrive en résidence d’écriture dans une petite ville du centre de la France, Serge découvre dans la gazette locale qu’un certain Commodore, vieux maraîcher à la retraite que tous disent richissime, a disparu sans laisser de traces. On soupçonne deux jeunes « néoruraux », Aurélik et Dora, de l’avoir tué. Mais dans ce fait divers, ce qui fascine le plus l’écrivain, c’est une photo : celle de Dora dans le journal. Dès lors, sous le regard de plus en plus suspicieux des habitants de la ville, cet « écrivain national », comme l’appelle malicieusement monsieur le Maire, va enquêter à sa manière, celle d’un auteur qui recueille les confidences et échafaude des romans, dans l’espoir de se rapprocher de la magnétique Dora. Dans une atmosphère très chabrolienne, Serge Joncour déroule une histoire à haute tension : les quelques semaines de tranquillité que promettait ce séjour d’écriture se muent, lentement mais sûrement, en une inquiétante plongée dans nos peurs contemporaines.
Serge Joncour est l’auteur de dix livres, parmi lesquels UV (Le Dilettante, 2003), L’Idole, Combien de fois je t’aime, L’Homme qui ne savait pas dire non et L’Amour sans le faire (Flammarion, 2005, 2008, 2010 et 2012). Ses romans sont traduits en quinze langues.
Du même auteur
Vu, Le Dilettante, 1998 (prix Jean Freustier) ; J'ai lu, 2000 enavo, Flammarion, 2000 ; J'ai lu, 2002 Situations délicates, Flammarion, 2001 ; J'ai lu, 2003 n vivo, Flammarion, 2002 ; J'ai lu, 2006 UV, Le Dilettante, 2003 (prix France Télévisions) ; Folio, 2005 'Idole, Flammarion, 2004 (prix de l'Humour noir Xavier Forneret) ; J'ai lu, 2009 Que la paix soit avec vous, Flammarion, 2006 ; J'ai lu, 2008 Combien de fois je t'aime, Flammarion, 2008 ; J'ai lu, 2009 'Homme qui ne savait pas dire non, Flammarion, 2009 ; J'ai lu, 2012 'Amour sans le faire, Flammarion, 2012 (prix littéraire des Hebdos en Région) ; J'ai lu, 2013
L'écrivain national
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Ce séjour promettait d'être calme. C'était même l'idée de départ, prendre du recul, faire un pas de côté hors du quotidien. En acceptant l'invitation je ne courais aucun risque, la sinécure s'annonçai même idéale, un mois dans une région forestière et reculée, un mois dans une ville perdue avec juste ce qu'il faut de monde pour ne pas craindre d'être seul, tout en étant royalement retiré, ça semblai rêvé. En plus, on était au début de l'automne, ça promettait de belles balades au fil des chemins creux, des fins d'après-midi à parcourir la forêt, des heures à se perdre dans des panoramas aux couleurs incendiées, pour en revenir le sang neuf et la tête gorgée d'idées neuves, ce serait parfait. En contrepartie de cette villégiature j'aurais certes une mission à remplir, mais bien mince et plutôt distrayante, sans pression d'aucune sorte. À vrai dire il n'y avait pas de réels enjeux, pas le moindre éril, pas de piège, je savais être attendu avec une sincère bienveillance, voire de l'impatience che certains, et c'est pourquoi, en prenant le train ce lundi matin avec mon grand sac, pas une seconde je n'imaginais que le doux séjour puisse virer au cauchemar, pas une seconde je ne pouvais envisager que tout bascule au point de sombrer dans la folie des pires dérèglements. Oui, sans ce fait divers à quelques kilomètres de là, tout se serait parfaitement bien passé.
Le projet, c'était de rester quatre semaines dans cette petite ville nichée entre Nièvre et Morvan ils n'aimeraient pas que je parle de village, pourtant c'était un peu l'impression que ça donnait, d'être un village bien plus qu'une ville, près de deux mille habitants, en même temps je ne saurais dire à artir de quel seuil on passe d'un terme à l'autre. Toujours est-il que j'étais invité en tant qu'auteur en résidence, et ce à l'initiative d'un libraire plutôt bien avisé à mon goût, avec l'aval soi-disan enthousiaste de la responsable de la médiathèque, mais sur les budgets d'un maire qui lui, je le comprendrais vite, aurait largement préféré un handballeur ou un judoka, voire un navigateur, alors que la première façade maritime est située à plus de cinq cents kilomètres de là. Le bénéfice pour moi n'était pas mince. En acceptant de rester un mois ici, de donner un peu de ma ersonne, je comptais compenser ce sentiment d'inutilité qui rôde toujours en soi dès lors qu'on ne fait qu'écrire, une culpabilité qu'il convient de fermement déjouer quand on se prétend écrivain. Avec un métier aussi peu concret que celui-là vient souvent l'intuition de ne servir à rien, d'être inutile, mais un auteur dans le fond doit-il servir à quelque chose, de même que chacun d'ailleurs, est-ce qu'on doit tous servir à quelque chose et est-ce qu'il y a des degrés dans cette implacable hiérarchie des utilités ? Ne serait-ce pas plutôt à chacun de déterminer l'importance plus ou moins manifeste de sa présence au monde ? Je n'en sais rien. Le fait est que d'avoir un vrai boulot ne me laisserait pas le temps de penser à tout ça. Derrière ma permanente envie de bouger il y avait aussi que je vivais seul depuis deux ans et que e ne le supportais pas. Avec Helena on avait mis cinq ans à se quitter, cinq ans à se défaire. On n'y arrivait pas. Puis un jour en plein hiver on l'avait fait. Après dix ans de vie commune, dix ans d'une vie dont il ne restait rien, ni famille ni enfant, on s'était séparé, mon deux-pièces résonnait depuis d'u vide atroce, je vivais chez moi comme chez deux absentés, elle me manquait alors qu'on n'en pouvai lus, elle me manquait alors que je n'y tenais plus, elle me manquait comme un paren irrémédiablement effacé. Depuis deux ans sa trace hantait douloureusement l'espace, mais déménager e ne le voulais pas. Alors je bougeais le plus possible, je partais de chez moi comme s'il y avait quelqu'un à fuir, tout en sachant d'avance qu'au retour son ombre et la mienne seraient là à m'attendre… Durant le séjour, il était prévu que mon activité s'organise autour de séances de dédicaces faméliques et d'une poignée de rencontres avec toutes sortes de cercles. Il était dit aussi que 'animerais des ateliers d'écriture et que, surtout, je devrais rédiger un feuilleton dans le quotidie régional, un grand feuilleton en cinq épisodes et en pleine page où il serait bienvenu de mettre e avant les aspects avantageux de la région, « pour peu toutefois d'en trouver », avais-je glissé a téléphone à la correspondante du journal qui avait moyennement apprécié ma blague. La seule chose qui m'inquiétait a priori, c'étaient ces ateliers d'écriture, notamment ceux au profit d'une associatio our « personnes en difficulté » comme on dit pudiquement. Les autres auraient lieu avec des « littéraires », exercice non moins délicat, dans ce cas rôde toujours le risque que les participants soient bien plus mobilisés par le fait d'en remontrer à un auteur publié qu'ils ne sont réellement flattés de travailler sous l'égide d'un « écrivain national ». « L'écrivain national », l'appellation ironique ne m'aura pas quitté. La première fois qu'on m'a affublé du sobriquet, c'était dans la bouche même du maire, le jour de mon arrivée, lors de so discours à une réception égayée de vins blancs, avec une petite foule au bas de l'estrade, une affluence de comice où tous attendaient la fin de la causerie pour plonger les mains vers les assiettes de chips, de saucisson et de bouchées charcutières. Dès ce soir-là, l'édile, dans sa faconde superbe e son ironie splendide, avait lâché au moins dix fois tout au long de son speech « Souhaitons la
ienvenue à Notre écrivain national », et il l'avait répété à loisir sur le ton de la boutade, « Je vous rierai donc de réserver le meilleur accueil à Notre écrivain national », « Ne craignez pas de l'approcher, un écrivain national, ça reste un être humain ! » Faute d'être amusant c'en devenait lessant. À chaque fois que le maire dardait sa pique, le couple de libraires me lançait un sourire dont la bienveillance désamorçait l'offensante plaisanterie, la responsable de la médiathèque vissai son air sérieux pour ne pas prendre parti, et cette foule nourrie remplissant la grande salle ignorai allègrement ces subtilités, alimentant par vagues un papotage généralisé que le maire colmatait grâce à des haut-parleurs de kermesse, deux enceintes où percutaient les syllabes de l'élu qui parlait trop rès du micro. « L'écrivain national », le mal était fait, le label estampillé. Dès le lendemain les adultes comme les enfants m'appelaient « l'écrivain national », voire « l'écrivain » en guise de diminutif. Prodige de la métonymie, ma fonction était devenue mon nom, signe que mon patronyme à lui seul n'était pas suffisamment illustre ni célèbre pour m'identifier et qu'on ne me faisait pas non plus la faveur d'utiliser mon prénom. Jusqu'au jour où on ne me parla plus.
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