L’ArbreGeorges Rodenbach1898Sommaire1 I. Le rendez-vous2 II. Les étrangers3 III. La kermesse4 IV. Le mort5 V. La Saint-NicolasI. Le rendez-vousJoos attendait Neele depuis un long moment au grand chêne des Trois-Chemins.Elle était en retard, contre son habitude. Qu’était-il arrivé ? Joos s’inquiéta un peu,attristé déjà par le crépuscule qui tombait maintenant, en tulles noirs et rapides, surla petite île de Zélande. Toute sa fraîche couleur de jardin sur les flots, de bouquetparmi les écumes inconsolables de la mer du Nord, se fanait. Joos sentit du soirdescendre en lui aussi. Et, plus distincte, retentit l’éternelle plainte de la mer, sur lesdunes, autour de l’île. Détresse du cœur humain qui regarde venir le soir et qui n’apas d’amour ! Mais Joos aimait Neele, sa belle promise. Les accordailles étaientfaites. Sa mère, Barbara Lam, était d’accord avec Pieter De Roo, le père deNeele. Et s’ils se donnaient rendez-vous ainsi, loin de chez eux, dans la campagne,le soir, c’était pour exciter leur amour en se créant l’illusion d’amants contrariés,pour jouir du mystère, des cachotteries, de l’aventure, et aussi parce qu’il y a deschoses que les amants ne sentent et ne se disent qu’en face de la nature et de lanuit.D’ailleurs c’était la tradition immémoriale dans l’île d’aller s’aimer au grand chênedes Trois-Chemins. Aucun couple n’y manqua jamais.L’arbre apparaissait extraordinaire, vieux de plusieurs siècles, maquillé parcombien de saisons accumulées ...
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