YvetteGuy de MaupassantL’AbandonnéLe Figaro, 15 août 1884– Vraiment, je te crois folle, ma chère amie, d’aller te promener dans la campagnepar un pareil temps. Tu as, depuis deux mois, de singulières idées. Tu m’amènes,bon gré, mal gré, au bord de la mer, alors que jamais, depuis quarante-cinq ansque nous sommes mariés, tu n’avais eu pareille fantaisie. Tu choisis d’autoritéFécamp, une triste ville, et te voilà prise d’une telle rage de locomotion, toi qui neremuais jamais, que tu veux te promener à travers champs par le jour le plus chaudde l’année. Dis à d’Apreval de t’accompagner, puisqu’il se prête à tous tescaprices. Quant à moi, je rentre faire la sieste.Mme de Cadour se tourna vers son ancien ami :– Venez-vous avec moi, d’Apreval ?Il s’inclina, en souriant, avec une galanterie du temps passé :– Où vous irez, j’irai, dit-il.– Eh bien, allez attraper une insolation, déclara M. de Cadour. Et il rentra dansl’hôtel des Bains pour s’étendre une heure ou deux sur son lit.Dès qu’ils furent seuls, la vieille femme et son vieux compagnon se mirent en route.Elle dit, très bas, en lui serrant la main : « Enfin ! enfin ! »Il murmura :– Vous êtes folle. Je vous assure que vous êtes folle. Songez à ce que vousrisquez. Si cet homme…Elle eut un sursaut :– Oh ! Henri, ne dites pas Cet homme, en parlant de lui.Il reprit d’un ton brusque :– Eh bien ! si notre fils se doute de quelque chose, s’il nous soupçonne, il vous tient,il nous tient. Vous vous êtes ...
Voir