Miss HarrietGuy de MaupassantGarçon, un Bock !...erGil Blas, 1 janvier 1884A José Maria deHeredia.Pourquoi suis-je entré, ce soir-là, dans cette brasserie ? Je n’en sais rien. Il faisaitfroid. Une fine pluie, une poussière d’eau voltigeait, voilait les becs de gaz d’unebrume transparente, faisait luire les trottoirs que traversaient les lueurs desdevantures, éclairant la boue humide et les pieds sales des passants.Je n’allais nulle part. Je marchais un peu après dîner. Je passai le Crédit Lyonnais,la rue Vivienne, d’autres rues encore. J’aperçus soudain une grande brasserie àmoitié pleine. J’entrai, sans aucune raison. Je n’avais pas soif.D’un coup d’œil, je cherchai une place où je ne serais point trop serré, et j’allaim’asseoir à côté d’un homme qui me parut vieux et qui fumait une pipe de deuxsous, en terre, noire comme du charbon. Six ou huit soucoupes de verre, empiléessur la table devant lui, indiquaient le nombre de bocks qu’il avait absorbés déjà. Jen’examinai pas mon voisin. D’un coup d’œil j’avais reconnu un bockeur, un de ceshabitués de brasserie qui arrivent le matin, quand on ouvre, et s’en vont le soir,quand on ferme. Il était sale, chauve du milieu du crâne, tandis que de longscheveux gras, poivre et sel, tombaient sur le col de sa redingote. Ses habits troplarges semblaient avoir été faits au temps où il avait du ventre. On devinait que lepantalon ne tenait guère et que cet homme ne pouvait faire dix pas sans rajuster etretenir ce ...
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