Miss HarrietGuy de MaupassantEn voyageLe Gaulois, 10 mai 1883À Gustave Toudouze.ILe wagon était au complet depuis Cannes ; on causait, tout le monde seconnaissant. Lorsqu’on passa Tarascon, quelqu’un dit : « C’est ici qu’onassassine. » Et on se mit à parler du mystérieux et insaisissable meurtrier qui,depuis deux ans, s’offre, de temps en temps, la vie d’un voyageur. Chacun faisaitdes suppositions, chacun donnait son avis ; les femmes regardaient en frissonnantla nuit sombre derrière les vitres, avec la peur de voir apparaître soudain une têted’homme à la portière. Et on se mit à raconter des histoires effrayantes demauvaises rencontres, des tête-à-tête avec des fous dans un rapide, des heurespassées en face d’un personnage suspect.Chaque homme avait une anecdote à son honneur, chacun avait intimidé, terrasséet garrotté quelque malfaiteur en des circonstances surprenantes, avec uneprésence d’esprit et une audace admirables. Un médecin, qui passait chaque hiverdans le Midi, voulut à son tour conter une aventure :Moi, dit-il, je n’ai jamais eu la chance d’expérimenter mon courage dans une affairede cette sorte ; mais j’ai connu une femme, une de mes clientes, morte aujourd’hui,à qui arriva la plus singulière chose du monde, et aussi la plus mystérieuse et laplus attendrissante.C’était une Russe, la comtesse Marie Baranow, une très grande dame, d’uneexquise beauté. Vous savez comme les Russes sont belles, du moins comme ellesnous semblent belles, ...
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