La Main gaucheGuy de MaupassantDuchouxLe Gaulois, 14 novembre 1887> En descendant le grand escalier du cercle chauffé comme une serre par lecalorifère, le baron de Mordiane avait laissé ouverte sa fourrure ; aussi, lorsque lagrande porte de la rue se fut refermée sur lui, éprouva-t-il un frisson de froidprofond, un de ces frissons brusques et pénibles qui rendent triste comme unchagrin. Il avait perdu quelque argent, d’ailleurs, et son estomac, depuis quelquetemps, le faisait souffrir, ne lui permettait plus de manger à son gré.Il allait rentrer chez lui, et soudain la pensée de son grand appartement vide, duvalet de pied dormant dans l’antichambre, du cabinet où l’eau tiédie pour la toilettedu soir chantait doucement sur le réchaud à gaz, du lit large, antique et solennelcomme une couche mortuaire, lui fit entrer, jusqu’au fond du cœur, jusqu’au fond dela chair, un autre froid plus douloureux encore que celui de l’air glacé.Depuis quelques années il sentait s’appesantir sur lui ce poids de la solitude quiécrase quelquefois les vieux garçons. Jadis, il était fort, alerte et gai, donnant tousses jours au sport et toutes ses nuits aux fêtes. Maintenant, il s’alourdissait et neprenait plus plaisir à grand-chose. Les exercices le fatiguaient, les soupers etmême les dîners lui faisaient mal, les femmes l’ennuyaient autant qu’elles l’avaientautrefois amusé.La monotonie des soirs pareils, des mêmes amis retrouvés au même lieu, aucercle, de la même partie ...
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