Artecal
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ARTECAL
Roman de Raymond Colle. Santiago du Chili, 2007

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Publié par
Publié le 22 septembre 2011
Nombre de lectures 157
Langue Français

Extrait

Raymond Colle
ARTECAL
Roman
Santiago du Chili 2007
Sitio web: http://sites.google.com/site/colle/pages-en-francais-1
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Ce roman est publié sous licence Creative Commons
(Droits de copie limités) Santiago du Chili, 2007
Tous les personnages sont fictifs. Quelques faits ont une base réelle. Les données sur le trafic d'art sont aussi réels.
24-4-1970 "Paris. AFP. Un camion qui transportait près de 400 oeuvres d'art a été volé la nuit dernière alors qu'il roulait sur l'autoroute A50 en direction du port de Marseille. Il transportait des oeuvres choisies dans les réserves du musée du Louvre qui seraient exposées à Dubai. L'escorte policière a été abattue à la mitraillete. Les voleurs et le camion ont disparu après avoir bloqué la circulation sur l'autoroute en direction du sud. Les barrages établis à l'entrée de Marseille quelques minutes après n'ont donné aucun résultat. La Brigade de Répression du Banditisme, à la chasse des bandits qui avaient attaqué le convoi d'oeuvres d'art appela l'aide des automobilistes qui pouvaient avoir croisé le camion et disposa la surveillande de nombreux locaux d'antiquaires. Elle parvint ainsi à retrouver le camion, vide, dans un entrepôt abandonné du port de Marseille " .
Mai
5-5 Il était déjà plus de huit heures du matin et son patron ne l'avait pas encore appelé. Cela était très bizarre: il sonnait toujours aux environs de sept heures trente pour être aidé à s'habiller. La cuisinière devenait nerveuse car le petit déjeûner allait refroidir et le patron n'aimait pas cela. Ainsi donc Nestor, le majordome et valet de chambre de monsieur Philippe Ducquet de Joinville se décida à aller voir ce qui se passait. Il monta au deuxième étage et pénétra dans la chambre à coucher de son maître. Mais il n'y avait personne dans la chambre et, chose encore plus étrange, le lit n'était pas défait, ce qui suggérait que monsieur Ducquet n'avait pas dormi là cette nuit. Nestor descendit alors au premier: il n'y avait personne dans la salle à manger et au salon. Il suivit vers le rez-de-chaussée, frappa à la porte du bureau et, n'obtenant pas de réponse, ouvrit prudamment la porte. Monsieur Ducquet était assis devant son bureau et semblait dormir. Le domestique s'approcha et appella son maître, d'abord à mi-voix, puis plus fort. Mais il ne répondait pas. Il remarqua alors sa pâleur et sa totale immobilité. Après une hésitation, il porta sa main sur le côté du cou de son patron pour lui prendre le poul: rien! Et le cou était glacé. La chose était évidente: l'homme était mort, et depuis de longues heures. Nestor prit alors le téléphone sur le bureau et appela la seule personne liée à son patron dont il connaissait le numéro: son médecin, le docteur Luc Marchant, qui exerçait à l'hôpital Saint-Luc de Woluwé. Une demi heure plus tard, le docteur Marchant était dans le bureau de son patient et confirmait sa mort dont il ne trouva aucun motif apparent. Ducquet ne souffrait d'aucune maladie chronique et ne le consultait qu'occasionnellement, soit pour une pharyngite -il était sensible au froid- soit pour un simple contrôle de routine. Une mort aussi brusque lui semblait donc très bizarre et il voulait en savoir plus. Il décida donc d'avertir son ami le commissaire Jean Servais, de la Police Judiciaire de Bruxelles et recommenda à
Nestor de contacter la famille de Ducquet, ce à quoi le majordome répondit qu'il ne lui connaissait pas de famille, aucun membre de celle-çi ne s'étant jamais présenté au cours des quinze ans qu'il était en service dans cette maison. A onze heures du matin, une voiture de police était stationnée devant le 113 de la rue Belliard, domicile de monsieur Ducquet. A l'intérieur, dans le bureau, pendant que le commissaire Servais interrogeait le valet, l'un prenait des photos et un autre cherchait et relevait des empreintes digitales. - "N'avez vous rien remarqué de spécial en entrant ce matin?" demanda Servais. - "Une légère odeur de fumée de cigarette, mais elle disparut très rapidement. Et il n'y avait pas de cigarette ni de cendres dans le cendrier. Monsieur Ducquet ne fumait pas." - "Et ce verre sur le bureau?" - "Monsieur Ducquet buvait régulièrement un peu de cognac et en offrait souvent à ses visiteurs. Il n'y a qu'un verre et je n'ai ouvert à personne hier soir après avoir servi le souper. Monsieur Ducquet peut être revenu dans son bureau plus tard le soir pour travailler et avoir bu un peu de cognac." - "Il est cependant étrange, alors, qu'il n'y ait aucun document sur le bureau et que tous les tiroirs soient fermés à clé. Et le verre est vide bien que l'intérieur est un peu collant, ce qui signifie qu'il a été utilisé." nota le policier, glissant le verre dans un sachet à preuves stérilisé. L'interrogatoire de la cuisinière se termina en quelques minutes. Elle était partie après le souper et après avoir lavé la vaisselle et elle était revenue à sept heures du matin, comme tous les jours, pour préparer et servir le petit-déjeûner. Elle ne savait donc rien de ce qui pouvait s'être passé durant la nuit. Seul Nestor vivait avec son patron, ayant sa chambre dans une mansarde du troisième étage. Il se levait un peu avant sept heures pour ouvrir la porte à la cuisinière puis faisait sa toilette, déjeunait et attendait à la cuisine l'appel de son patron pour l'aider à terminer de se vêtir. Il expliqua au policier que, dans la journée, il recevait les clients de monsieur Ducquet et les introduisait dans la salle d'attente, la pièce annexe au bureau. Il ne savait rien de ce qui se passait après. Son patron leur ouvrait sa porte et les reconduisait lui-même dehors à la fin de l'entrevue. Le commisaire lui demanda s'il connaissait les visiteurs. Il répondit que plusieurs revenaient régulièrement mais il ne connaissait aucun nom, car il présentaient soit une carte de convocation imprimée signée par monsieur Ducquet, où apparaissaient seulement la date et l'heure écrites à la main, soit une carte de visite mise dans une enveloppe blanche, ce qui ne lui permettait donc pas de voir le nom. Ayant introduit le visiteur dans la salle d'attente, il entrait au bureau, donnait la carte ou l'enveloppe à son patron, et ensuite se retirait au sous-sol. Quelques moments après arrivèrent les employés de la morgue, qui retirèrent le cadavre. Le médecin était parti à peine le commissaire avait été averti du fait et de ses soupçons. Servais congédia le majordome et se mit à fureter dans le bureau. Comme il avait déjà observé, tous les tiroirs étaient fermés à clé, et il y avait plusieurs kardex identifiés seulement par des initiales. Aux murs, il y avait quelques cadres, qui étaient de bonnes reproductions de peintres flamands. Derrière un de ces cadres, il trouva aussi un coffre assez grand et également bien fermé. La demeure n'avait pas de chauffage central et le bureau avait un poële-continu qui était éteint. En cette journée encore fraîche de mai il aurait cependant dû être allumé. L'inspecteur regarda à l'intérieur par
au-dessus: pas de charbon. Il ouvrit ensuite le petit tiroir à cendre, au-dessous: il contenait non seulement des cendres -froides bien sûr- mais aussi un tout petit mégot de cigarettes. Voilà qui était étrange: l'habitant ne fumait pas et le cendrier était propre. Que faisait là ce mégot? Depuis quand? Le commissaire rappela donc le valet, lui montra le bac à cendres avec le mégot et lui demanda depuis quand le poële était éteint. - "Il doit s'être éteint hier soir" répondit Nestor. "Je l'allume généralement après le petit-déjeûner si le patron reste ici ou bien quand il revient de ses activités, s'il a froid. Il n'aimait pas qu'il reste allumé lorsqu'il n'était pas là car il ne fonctionne pas très bien. Un continu fonctionne en permanence en hiver au premier étage, pour chauffer le salon et la salle à manger." - "Et où allait-il lorsqu'il sortait?" profita de demander le policier. - "Je n'en ai pas la moindre idée. Il sortait trois jours par semaine, revenait toujours avant midi et recevait ses visites l'après-midi. Une ou deux fois par an, il partait en voyage pour deux ou trois jours. Je lui préparais alors une petite valise avec un costume, une paire de souliers, deux ou trois chemises et son nécessaire de toilette. Il préparait lui-même une serviette qui contenait sûrement des documents." -"Où allait-il?" - "Je ne sais trop. Je l'ai accompagné quelques fois à la Gare du Luxembourg qui est ici tout près, pour porter sa valise. Je le laissais à la file devant un guichet où il achèterait son billet. Mais d'autres fois il me faisait héler un taxi qui passait. Je n'ai jamais entendu l'adresse qu'il donnait au chauffeur." - "Et quelle était sa profession? Quel genre d'affaire avait-il?" - "Je n'en sais rien non plus.Ses cartes et les lettres reçues ne mentionnaient que son nom, sans aucun titre, sans aucune raison sociale." - Et au téléphone?" "    Rien de plus: seulement son nom." " -- "Et l'identité de ceux qui appelaient?" - "Aucune. Quand Monsieur était là, je ne devais pas prendre le téléphone: il répondait lui même. Quand il n'était pas là, on ne laissait pas de message. Sauf dans le cas de son avocat, dont le nom est maître Jacob Winters." - "Parfait. Voilà au moins quelq'un à qui nous pourront demander quelques renseignements. Jamais d'appel de la famille?" - "Jamais, monsieur le commissaire." - "Très bien Nestor. ce sera tout pour aujourd'hui. Je reviendrai sûrement plus tard pour  ouvrir les tiroirs. Mais si vous vous rappelez quelque chose avant, appelez-moi. Voici ma carte." Il congédia de nouveau Nestor, prit le mégot avec une petite pince et le mit dans un autre sachet. Il reprit alors l'inspection du bureau, s'attachant maintenant aux étagères. Elles contenaient quelques livres d'économie, de plus nombreux textes sur des armes anciennes et modernes et, surtout, sur des musées, de l'archéologie et de l'histoire de l'art. Il y avait aussi une collection reliée de l'Echo de la Bourse, le principal journal financier de la capitale., et aussi de la revue "Connaissance de l'Art". L'homme semblait donc s'occuper de finances ou de commerce, peut-être de commerce d'art ... et d'armes? Il faudrait évidemment ouvrir les kardex et le coffre-fort pour en savoir plus. Dans une des poches du défunt on trouva un trousseau de clés. Il y avait trois Yale, deux de lesquelles correspondaient aux serrures de la porte de rue et la troisième à la
serrure de la porte du jardin, ce qui était assez peu ordinaire. Mais le jardin donnait, par l'arrière, sur le parc Léopold et il aurait été facile de sauter le mur pour entrer par là. C'était sans doute la raison de cette mesure de sécurité. Les autres étaient de plus petites clés, qui ouvraient les tiroirs du bureau et des kardex. Les dossiers des kardex étaient presque tous consacrés à des oeuvres d'art, avec descriptions détallées, noms des propriétaires dans certains cas, lieu et date de découverte et soins pour le transport, ce qui attira spécialement l'attention et renforça l'idée d'un commerce d'oeuvres d'art. Mais on ne trouva nulle part des factures. Peut-être s'agissait-il alors de traffic illégal? Le coffre-fort permettrait peut-être d'en savoir plus. Il n'y avait rien à découvrir dans la salle d'attente: elle aurait tout aussi bien pu être celle d'un notaire ou d'un médecin, mais sans la moindre revue, et était également ornée de reproductions de peintres flamands. Servais reconnut une oeuvre de Breughel. A l'étage au-dessus, le commissaire trouva le journal Le Soir de la veille à côté d'un fauteuil du salon. Il avait clairement été lu, mais rien n'était marqué. Au deuxième étage, dans la chambre et la salle de bains il n'y avait rien non plus qui puisse donner une piste des activités du propriétaire à moins de prendre en compte l'extraordinaire unité qu'il y avait dans le mobilier: depuis le bureau jusqu'à la chambre à coucher, tout était parfaitement en harmonie et un spécialiste aurait reconnu un sceau néoclassique marqué. Le lendemain, Servais était mécontent. Dans le bureau de Ducquet on n'avait trouvé que ses propres empreintes digitales et celles de son valet. Rien d'anormal dans le verre à cognac ni dans les bouteilles de liqueur. L'autopsie non plus n'avait rien apporté en relation à la cause de la mort, sauf des doutes. L'homme était sain et rien ne permettait d'expliquer l'arrêt du coeur. Mais il existait plusieurs produits chimiques qui pouvaient le causer et disparaître dans le corps au bout de quelques heures. C'est l'hypothèse que la police retint. Car il y avait bien quelque chose de troublant: le défunt avait une dent creuse qui contenait une petite capsule de cyanure. Cela, ç'était plutôt propre d'un espion. L'était-il ou l'avait-il été? Pour le compte de qui? Le commissaire s'en fut rendre visite à l'avocat du défunt, Jacob Winters. Celui-çi avait accès à un compte courant à partir duquel il payait le majordome et la cuisinière ainsi que les contributions foncières. Ce compte était alimenté régulièrement en liquide, ce qui empêchait d'enquêter plus loin. Il possédait aussi une lettre à ouvrir "en cas de malheur". Elle fut ouverte par la police et contenait la clé et la combinaison du coffre-fort ainsi que l'ordre de détruire tout son contenu, sauf l'argent et le testament. Servais retourna à la rue Belliard et ouvrit le coffre. Il y trouva un revolver Colt 45 chargé, environ deux millions de francs belges en grandes coupures, le testament, un livre d'inventaire et ce qui ressemblait à un carnet d'adresses mais où tout le contenu était codifié: apparemment des iniciales de noms suivies de deux séries de numéros. Il fit vérifier s'il s'agissait de numéros de téléphone mais on ne put rien en tirer. Au bas des pages, sous la deuxième série de chiffres il y avait la somme de ceux-çi, ce qui indiquait sans doute des paiements. Reçus ou remis? L'inventaire, par contre, était très suggestif: il s'agissait d'oeuvres d'art, de pièces archéologiques et d'armes que l'on put retrouver dans les dossiers des kardex, l'identification suivie dans l'inventaire de deux dates: l'une probablement d'achat et l'autre de vente. Il y avait aussi un code de plusieurs lettres semblable à celui du carnet et un nom de lieu, qu'on pensa être celui d'un entrepôt car il ne s'en répétaient pas plus de quatre. Mais il serait impossible de trouver ceux-çi: il y avait bien trop d'endroits
possibles dans les communes signalées, car il pouvait s'agir même de maisons particulières. Tout cela semblait ainsi indiquer que Ducquet était un trafiquant et rendait encore plus plausible l'hypothèse d'un assassinat. Servais fit copier la liste des objets qui apparaissaient dans l'inventaire, sans les autres informations, et la fit envoyer au directeur du Musée des Beaux-Arts. Il avertit celui-çi au téléphone de ce qu'il désirait sa collaboration pour débusquer un trafiquant d'art. Il lui envoyait pour ce faire une liste d'objets pour qu'il vérifie s'il les connaissait et si s'y trouvaient des oeuvres volées et demanda un rendez-vous pour commenter le résultat. Le testament présenta un autre mystère. A part une petite somme destinée au majordome et une autre à la cuisinière, il était indiqué que les oeuvres d'art devaient être remises au Musée des Beaux Arts et au Musée d'Archéologie de Bruxelles. Mais il n'y avait aucune véritable oeuvre d'art dans la maison: seulement de bonnes reproductions. Les autres biens devaient être liquidés et la somme obtenue remise en parties égales à la National Geographic et à trois fondations dont une seule avait été visée au Ministère de la Justice, les deux autres n'ayant donc jamais eu existence légale. Et la seule qui fut créée -la même année que fut rédigé le testament-, avait pour directeurs les mêmes Ducquet et son avocat. Elle ne fonctionna sûrement jamais car il n'y en avait pas trace au Service des Contributions. Les directeurs des principaux musées et du Département de Recherche Scientifique gouvernemental n'en avaient jamais entendu parlé, bien qu'elle se définissait comme dédiée à la promotion de l'art. Le coffre-fort contenait aussi, adjoint au testament, l'écriture notariale de constitution d'une société commerciale appelée "Service de transactions d'art". Ducquet en était le directeur général. Les autres membres n'étaient pas individualisés par un nom mais par une fonction: représentant officiel de telle ou telle autre société ou fondation. On retrouvait ici les noms des trois fondations mentionnées dans le testament et de trois autres sociétés, avec des noms en espagnol et anglais. Il allait falloir communiquer ces noms à Interpol pour faire une recherche mondiale à leur sujet.  On interrogea maître Winters au sujet de la fondation et de la société que gérait Ducquet. Il reconnut avoir été requis pour participer à la création de la fondation et en avait rédigé les statuts en accord avec son client. Il avait aussi fait les démarches nécessaires pour l'autorisation du Ministère de la Justice, puis n'en avais plus jamais entendu parler. De la société et des activités profesionnelles de son client, il jura ne rien savoir. Lorsque Servais rencontra le directeur du Musée des Beaux Arts deux jours plus tard, celui-çi lui confirma qu'au moins vingt pour cent des oeuvres mentionnées dans l'inventaire de Ducquet étaient sur la liste internationale d'oeuvres perdues ou volées: des reliques mérovingiennes, des pièces de vaisselle étrusque, des petites statues de bronze romaines, des papyrus, etc. Une quantité similaire apparaissait enregistrée dans des musées et des collections privées connues. "Cela ne veut pas dire que ces dernières ne soient pas des pièces volées" ajouta-t'il,  -"car même le Metropolitan Museum de New York en possède. Ainsi, par exemple, l'Italie réclame une statue d'un jeune athlète qui daterait du IIIº siècle a.c., attribuée à Lisippe, qui fut trouvée par des pêcheurs près de la côte italienne et vendue par un antiquaire au musée Getty de Californie." Le reste des pièces étaient inconnues.
- "Mais une énorme quantité d'objets sont encore extraites de fouilles illégales partout dans le monde et constitue le flux le plus important. Interpol estime que le trafic illicite d'oeuvres d'art est, avec celui des armes et des drogues, un des plus lucratifs du . monde: il mobiliserait plus de cinq mille millions de dollars annuels " - "Quels sont les principaux marchés?" demanda Servais. - "L'Allemagne est en quelque sorte un paradis pour les trafiquants et le noeud des opérations en Europe: 90% des oeuvres qu'on y vend ont une origine douteuse. Londres et Genève sont les autres villes où le trafic est le plus abondant. Il est aussi fréquent que des pièces volées directement dans des fouilles illégales apparaissent en vente aux enchères chez Sotheby's et Christie's." - "Les trafiquants ou leurs clients sont-ils connus?" - "Ceux qui sont connus sont en prison, surtout les trafiquants. Quant aux clients, ils sont rarement pris. On connaît de grands colectionneurs privés et plusieurs sont suspects. Mais il y a une quantité importante d'inconnus qui ne montrent à personne leur collection. Ce sont surtout eux qui font marcher le trafic." Il était donc clair que Ducquet était un trafiquant d'art et assez important. Mais il avait pris de grosses précautions pour cacher sa filière. Sans plus de pistes, l'enquête piétina.
Juillet L'avocat de mr. Ducquet avait payé le dernier mois de travail de Nestor Alambique, qui s'était ainsi retrouvé au chômage et sans logis. Sa mère, veuve, vivait heureusement encore et louait un petit "quartier" à la rue de la Tourelle, à quelques minutes du domicile de son défunt patron. Invétéré célibataire, il put ainsi aller s'installer chez elle. Après deux mois et grâce à l'aide de maître Winters, il put enfin occuper une modeste place à la Banque de Bruxelles: il fut chargé de timbrer des chèques, ç'est-à-dire d'imprimer les noms des clients avant d'agrafer les livrets. Ç'est ainsi qu'un jour il remarqua le nom de "Séraphine Demazedier", ce qui lui rappela una étrange visite reçue chez son ancien patron environ six mois plutôt. Une dame s'était présentée et lui avait donné sa carte de visite sans enveloppe, chose tout à fait extraordinaire. Elle dit qu'elle n'était pas attendue mais serait très certainement reçue. Lorsque Nestor remit la carte à son patron, celui-çi blêmit brusquement et lui dit de la faire entrer, ce qui était aussi inattendu. Il l'entendit sortir au bout de cinq minutes, ce qui était également peu habituel. Il décida donc d'appeler le commissaire Servais et de le mettre au courant de cette visite. Lors de la rencontre de Nestor avec le policier, il se rappela et lui raconta aussi que la femme avait fumé une cigarette Gauloise durant sa visite. Son patron l'avait appelé après le départ pour lui demander de vider le cendrier et pulvériser un peu de parfum pour cacher l'odeur de tabac. La cigarette n'était qu'à moitié consumée et il put voir qu'il s'agissait d'une Gauloise Bleue, ce qui attira son attention car un tabac aussi fort était rarement fumé en Belgique et encore moins par une femme. "Voilà qui est intéressant" se dit le commissaire. Le mégot trouvé dans le poële du bureau le jour du décès était aussi le reste d'une Gauloise Bleue, selon ce qu'avait pu déterminer le laboratoire. Et il avait des traces de rouge à lèvres. Ducquet aurait donc peut-être reçu la visite de cette même dame la nuit de sa mort. Comme, selon le valet, personne n'avait sonné à la porte après le souper, il guettait sans doute son arrivée par
la fenêtre et lui avait ouvert la porte. D'une façon ou d'une autre elle avait pu verser dans le verre de cognac le poison qui l'avait tué. Et peut-être était-elle partie avec un dossier crucial puisque rien n'était resté sur le bureau. Le compte bancaire de Demazedier constituait enfin une piste. Par ordre judiciaire, la banque remit à la police l'information dont elle disposait sur le teneur du compte et tous les mouvements vérifiés. Les sommes étaient considérables mais y restaient très peu de temps. Dans quelques cas, elles provenaient d'un compte numéroté de Zurich, en Suisse, mais elles étaient généralement déposées en liquide et transférées peu après sur un autre compte numéroté à Genève. Il serait impossible d'obtenir plus d'informations, le secret banquaire étant absolu en Suisse. Les dépôts étaient irréguliers. Un seul pour l'année en cours, quatre pour l'année précédente et six, un peu moindres, pour l'année antérieure. Le compte avait été ouvert quatre ans auparavent par un tiers avec un dépôt d'un demi-million de francs. La signature du contrat original était illisible; celle qu'avait enregistré ensuite Séraphine Demazedier était aussi plus un dessein qu'un ensemble de lettres. Elle avait retiré à ce moment son premier carnet de chèques, mais ne les avait pas utilisés. Elle était venue occasionnellement à la banque faire de petits retraits en liquide et ordonner les transferts en Suisse. Si Alambique avait timbré un nouveau carnet de chèques à son nom, c'était uniquement parce que la banque avait changé la présentation graphique de ceux-çi et introduit un nouveau code de sécurité. On le lui aurait offert lors de sa prochaine visite. Mais elle n'était pas apparue depuis la mort de Ducquet. Le plus intéressant était donc l'adresse qu'elle avait donné et qui était une boîte postale à Etterbeek, au bureau de la rue Général Leman. A quelques minutes du domicile de Ducquet. Etait-ce une autre coïncidence? La police mit sous surveillance le bureau de poste. Un appareil photo fut installé près de la boîte postale et relié à elle de telle façon qu'en l'ouvrant on déclenchait l'obturateur et on obtenait une photo du client. On mit aussi dans la boîte un petit paquet à un autre nom, espérant que le récepteur se rendrait au guichet pour le rendre en indiquant que le destinataire était erroné. Un policier était dans le bureau, attendant ce moment pour prendre en filature la personne qui viendrait. Après trois jours de vaine attente, un vieillard ouvrit la boîte, retira le petit colis et le rapporta au guichet comme on l'espérait. Il sortit ensuite et enfila vers le bas de la rue. Le policier le suivit à distance et le vit entrer par la porte particulière à côté du pâtissier "Au Vatel", au bas de la rue Général Leman. Il resta quelque temps à observer, mais le vieillard ne ressortit pas. On décida donc d'installer un poste d'observation presqu'en face, obtenant l'accord du propriétaire d'un magasin de jouets. De derrière sa vitrine, il était facile d'observer le Vatel sans être vu. Le vieillard sortait chaque matin faire quelques achats à la place Jourdan toute proche ou faire une petite promenade dans les alentours. Mais on ne le vit jamais recevoir personne ni parler à personne en dehors des magasins. La semaine suivante, il retourna à la poste et retira une enveloppe provenant de la banque de mademoiselle Demazedier. Il serait intéressant de savoir ce qui se passerait à continuation. Rien ne se passa. Le commissaire Servais décida alors d'interroger discrètement le pâtissier, propriétaire de l'immeuble, qui lui donna le nom de son locataire, monsieur Leroi, qu'il appréciait pour sa tranquilité et qui payait toujours religieusement son loyer le jour convenu. Il confirma qu'il avait le téléphone et aussi qu'il recevait son rare courrier chez lui. Servais fit alors mettre son téléphone sur table d'écoute.
L'écoute du téléphone du veillard fut à nouveau frustrante. Une fois par semaine, il recevait un appel d'une dame qui l'appelait "Pépé", s'enquérait de sa santé et racontait  quelques potins sans intérêts. On put vérifier que c'était sa fille et il n'y avait aucun indice indiquant qu'elle puisse avoir une relation avec le cas policier. Avant la tournée du facteur, on vérifia le courrier qui arrivait à la poste pour monsieur Leroi. Il n'y avait pas grand chose: le compte du téléphone, du gaz et de l'électricité. Mais à la fin du mois, il y eut du nouveau: un virement envoyé par "Mademoiselle Demazedier", que le destinataire alla toucher au bureau de poste. Le lien était donc confirmé, et il était payé pour ses services. Mais la source des fonds restait inconnue: ils avaient été envoyés par dépôt en liquide dans un autre bureau de poste de Bruxelles, à la chaussée de Waterloo. Une autre semaine passa et une lettre arriva enfin à la poste au nom de Demazedier, provenant de la banque: le relevé mensuel. A peine rentré chez lui, le vieillard marqua un numéro de téléphone. Une voix répondit seulement "Oui?" Il ne prononça aucun nom et avertit seulement "Votre état de compte est arrivé" et lut les chiffres puis coupa la communication. Le numéro qu'il appella fut identifié et fut à son tour mis sous table d'écoute. On en trouva l'adresse: un petit bureau dans un building de l'avenue du Souverain. Selon le portier, personne n'y venait jamais. L'administrateur du bâtiment signala que les charges étaient aussi payées par virement bancaire et que le propriétaire était la société "Artecal". Les rapports et documents relatifs à l'immeuble devaient être envoyés à une boîte postale d'Etterbeeck: la boîte de Demazedier au bureau de la rue Général Leman. Il faudrait donc chercher plus d'informations sur "Artecal", nom qui suggérait bien être une affaire liée à l'art et donc une connexion avec Ducquet et sa société. L'écoute du téléphone, qui était un répondeur automatique, en apprendrait sans doute plus. L'écoute du répondeur automatique fut rapidement récompensée. Deux jours après la mise en oeuvre il y eut un appel dans la matinée. Une voix d'homme dit "Demain midi, face aux lions du zoo d'Anvers." et coupa. A neuf heures du soir, il y eut un autre appel. Cette fois, on marqua un code et le message fut écouté puis effacé. Un rendez-vous avait donc été fixé et sans doute accepté. Servais monta donc une opération de vigilance au zoo d'Anvers. Ses hommes s'installèrent dès onze heures trente aux alentours de la cage aux lions, s'alternant pour se promener à une distance suffisante pour observer les autres visiteurs. Près de midi, il y avait trois personnes seules et quelques petits groupes face à la cage. A midi moins cinq, un jeune homme s'approcha à vite allure et se lança aux bras d'une jeune femme, la baisant avec passion. Ils s'éloignèrent ensuite bras dessus bras de dessous. Un policier les suivit, se convainquant bientôt par leurs fougueux baisers qu'il s'agissait d'une couple d'amoureux. A midi pile, une jeune femme s'approcha d'un homme et lui serra immédiatement la main. Ils se mirent à marcher en parlant, sans rien regarder autour d'eux, et deux détectives s'attachèrent à les suivre, au cas où ils se sépareraient. A midi cinq, un autre homme s'approcha de la dernière personne seule, qui portait un journal plié sous le bras. Le nouveau venu adressa à l'autre quelques mots puis ils se serrèrent la main. Cela semblait bien avoir été un procédé d'identification de deux personnes qui ne se connaissaient pas. Ils se dirigèrent alors vers l'entrée et sortirent du zoo. Ils furent aussi suivis par deux policiers. Toutes ces personne furent photografiées. Il n'y eut aucune nouvelle rencontre pendant le quart d'heure qui suivit et les derniers investigateurs abandonnèrent leur poste.
Les deux hommes se rendirent à un restaurant proche et dînèrent ensemble. Ils sortirent ensuite ensemble et se dirigèrent vers la gare. L'un des deux entra dans un bâtiment de la Breydelstraat qui portait une plaque où il était indiqué "Verbiest & Co. - Diamants". L'autre suivit son chemin, entra à la gare et prit un billet pour Amsterdam. La filature des deux fut suspendue à ce point. Le cas était encore trop douteux pour suivre quelqu'un à l'étranger et l'homme de chez Verbiest pourrait facilement être retrouvé en cas de besoin. Mais il s'agissait sans doute d'une question de commerce de diamants, ce qui semblait pour l'instant sans relation avec la cas Ducquet-Demazedier. L'autre piste était plus prometteuse. La femme pouvait bien être Séraphine Demazedier. Elle marcha avec son compagnon pendant une dizaine de minutes, hochant plusieurs fois la tête, puis se sépara de lui sans lui serrer la main. Chacun s'en fut ensuite de son côté. Sorti du zoo, l'homme se dirigea vers le secteur des magasins et se perdit dans la foule d'un centre commercial. Elle se rendit à la gare, qui était à côté du zoo, et prit un billet pour Bruxelles. Un indice de plus! Un agent prit le même train et la vit descendre à la gare Centrale. De là, elle monta la rue des Colonies et, arrivée à la rue Royale, prit un tram 93 en direction d'Ixelles. Le détective qui la suivait n'eut pas le temps de monter dans le tram. Le commissaire Servais décida alors de mettre un détective à faire régulièrement le trajet en tram 93 de la rue Royale au terminus de la place Brugman. Il ne pouvait surveiller tous les trams mais avec le temps et un peu de chance, il parviendrait bien à retrouver la femme. Le lendemain, Séraphine Demazedier descendait l'avenue Louis Lepoutre pour aller prendre le tram à l'arrêt au coin de la chaussée de Waterloo. Alors qu'elle s'approchait de l'arrêt, une femme qui y était déjà la regarda puis se dirigea à sa rencontre. - "Julienne, quelle suprise! Je te croyais à Marseille!" lui lança-t'elle. - "Et moi je te croyais à Paris, Catherine" lui répliqua Demazedier. "Tu fais du tourisme à Bruxelles?" - "Mon agence à beaucoup de clients belges. C'est fou ce qu'ils demandent à visiter le Val de Loire. Après Paris, bien sûr. Et mon agence à donc décidé d'ouvrir une petite sucursale permanente à Bruxelles. Je suis ici depuis un mois pour m'en charger. Et toi? Tu es de passage?" - "J'ai aussi souvent à faire en Belgique et j'ai un pied à terre ici tout près. Ma compagnie d'assurance a des clients belges assez importants pour que les services d'un détective soient nécessaires de temps en temps. Comme je parle assez bien le flamand, j'étais la personne indiquée." Elles prirent le tram ensemble et alors que Catherine descendit à l'avenue Louise, Séraphine-Julienne continua jusqu'au parc Royal.
Août Le commissaire Servais était à son bureau lorsqu'il reçut un appel téléphonique. -"Jean Servais? Je suis Jacques Arnaudt, un de tes anciens compagnons du Collège Saint-Boniface. Tu te rappelles?" - "Ah, pour ça, oui. Et cela fait déjà longtemps. Qu'est-ce qui t'a poussé à m'appeler?" - "Je savais que tu travaillais à la PJ et ma soeur a un problème. Son mari est parti en Amérique du Sud il y a un mois et aurait dû rentrer il y a une semaine, mais il n'est pas revenu. Elle a téléphoné à son hôtel à Santiago de Chili et on lui a dit qu'il s'était retiré le jour où il devait prendre l'avion pour revenir. Elle ne sait pas quoi faire et voudrait
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