David Vann AQUARIUM Roman Traduit de l’américain par Laura Derajinski À ma mère, bonne et généreuse, Lorraine Ida Vann C’ un poisson si laid qu’il ne ressemblait en rien à un poisson. Une pierre de chair froide envahie de mousse, tachetée de vert et de blanc. D’abord, je ne l’avais pas vu, puis je pressai mon visage contre la vitre et tentai de m’approcher. Enfoui dans cette végétation impossible, la courbe de ses lèvres épaisses étirée vers le bas, une grimace en guise de bouche. Une petite perle noire pour l’œil. Une queue épaisse striée de pointillés sombres. Mais aucun autre élément identifiable à un poisson. Il est sacrément moche. Un vieil homme à mes côtés, soudain, sa voix, une surprise importune. Personne ne m’adressait jamais la parole, ici. Des pièces sombres, humides et chaudes, havres de paix à l’abri de la neige dehors. Peut-être, oui, dis-je. Ses œufs. Il les protège tous. C’est alors que je vis les œufs. Je croyais que le poisson était à demi caché derrière une anémone blanche, une touffe de tiges molles, blanches et arrondies, mais je voyais à présent qu’il n’y avait pas de pied, chaque tige était individuelle, les œufs fixés sur le flanc du poisson sans que l’on sache comment. 7 DAVID VANN Un poisson-grenouille à trois taches, dit l’homme. On ignore pourquoi c’est le mâle qui s’occupe des œufs. Peutêtre pour les protéger. Peut-être pour appâter d’autres poissons. Où sont les trois taches? Le vieil homme émit un petit rire.
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