Arthur Rimbaud — P o é s i e sOphélieÉditions de ce poème :Ophélie/Édition Genonceaux 1891 Ophélie/Édition Vanier 1895 Ophélie : Édition Genonceaux 1891ISur l’onde calme et noire où dorment les étoilesLa blanche Ophélia flotte comme un grand lys,Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...− On entend dans les bois lointains des hallalis.Voici ...
I Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles La blanche Ophélia flotte comme un grand lys, Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles... − On entend dans les bois lointains des hallalis. Voici plus de mille ans que la triste Ophélie Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir, Voici plus de mille ans que sa douce folie Murmure sa romance à la brise du soir. Le vent baise ses seins et déploie en corolle Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ; Les saules frissonnants pleurent sur son épaule, Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux. Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ; Elle éveille parfois, dans un aune qui dort, Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile : − Un chant mystérieux tombe des astres d’or. II Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige ! Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté ! − C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ; C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure, À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ; Que ton cœur écoutait le chant de la Nature Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ; C’est que la voix des mers folles, immense râle, Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ; C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle, Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux ! Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle ! Tu te fondais à lui comme une neige au feu : Tes grandes visions étranglaient ta parole − Et l’Infini terrible effara ton œil bleu ! III − Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis, Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles, La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
Ophélie :dition Vanier 1895
OPHÉLIE
I
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles, La blanche Ophélia flotte comme un grand lys, Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles… − On entend dans les bois lointains des hallalis…
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir ; Voici plus de mille ans que sa douce folie Murmure sa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle Ses longs voiles bercés mollement par les eaux ; Les saules frissonnants pleurent sur son épaule, Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ; Elle éveille parfois, dans un aune qui dort, Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile. − Un chant mystérieux tombe des astres d’or.
II
O pâle Ophélia ! belle comme la neige ! Oui, tu mourus, enfant, par un fleuve emporté ! − C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté !
C’est qu’un souffle inconnu, fouettant ta chevelure, À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ; Que ton cœur écoutait la voix de la Nature Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits !
C’est que la voix des mers, comme un immense râle, Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ; C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle, Un pauvre fou s’assit, muet, à tes genoux !
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle ! Tu te fondais à lui comme une neige au feu. Tes grandes visions étranglaient ta parole : − Un Infini terrible effara ton œil bleu !
III
− Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ; Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles, La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.