Correspondance 3e série. 1852−1854
Flaubert, GustaveCorrespondance 3e série. 1852−1854
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1Correspondance 3e série. 1852−1854
1852 T 3
à Louise Colet.
en partie inédite. Croisset lundi soir, 1 heure de nuit 27
juillet 1852.
J'en aurais encore pour quinze grandes journées de travail
à revoir toute ma première partie. J'y découvre de
monstrueuses négligences. Mais je t'ai promis pour la
semaine prochaine de venir ; je ne manquerai pas à ma
promesse. Ce ne sera pas lundi, mais mercredi ; je resterai
une huitaine.
Nous devons aller à Trouville (où ma mère a besoin) vers
le 15. Si je ne reviens pas exprès pour ton prix, chose que je
ne puis te promettre, je viendrai te faire une petite visite
dans les premiers jours de septembre, quand je ne serai pas
encore bien en train et que le scénario de ma seconde partie
sera bien retravaillé. Voilà sept à huit jours que je suis à ces
corrections, j'en ai les nerfs fort agacés. Je me dépêche et il
faudrait faire cela lentement. Découvrir à toutes les phrases
des mots à changer, des consonances à enlever, etc. ! Est un
travail aride, long et très humiliant au fond. C'est là que les
bonnes petites mortifications intérieures vous arrivent. J'ai lu
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mes vingt dernières pages hier à Bouilhet qui en a été
content ; pourtant, dimanche prochain je lui relis tout. Je ne
t'apporterai rien ; avec toi j'ai de la coquetterie, et je ne te
montrerai pas une ligne avant que je n'aie complètement
fini, quelque envie que j'aie de faire le contraire. Mais c'est
plus raisonnable ; tu n'en jugeras que mieux et n'en auras
que plus de plaisir si c'est bon. Encore une longue année !
J'ai reçu l'eau Taburel, l'article et la poudre.
Pourquoi la poudre ? Je me sers depuis des années
d'odontine de Lepelletier, qui est une très bonne chose.
Enfin je vais user de cette poudre en ton honneur.
Les vers du pays sont parus. (merci pour nous deux, ma
pauvre chérie.) un journal de Rouen les a reproduits le
lendemain. Hier j'ai été voir à Rouen une ascension
aérostatique de Poittevin ; c'est fort beau. J'ai été dans une
vraie admiration.
−de tes deux pièces de vers, il n'y a de vraiment bon que le
milieu de la place−royale ; la fin est bien molle. Pourquoi
donc ne donnes−tu pas plus cours à ton talent pittoresque ?
Tu es plus pittoresque et dramatique que sentimentale,
retiens cela ; ne crois pas que la plume ait les mêmes
instincts que le coeur. Ce n'est pas dans le vers de sentiment
que tu réussis, mais dans le vers violent ou imagé, comme
toutes les natures méridionales. Va donc dans cette voie
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franchement ; il y a, dans cette pièce de la place−royale , de
charmantes choses, comme rareté et compréhension
plastique, et qui sont à toi, au moins qui sont neuves. Dans
quatorze à seize mois, quand j'aurai un logement à Paris, je
te rendrai la vie dure, va, et je te traiterai virilement comme
tu le mérites.
Oui, c'est une étrange chose que la plume d'un côté et
l'individu de l'autre. Y a−t−il quelqu'un qui aime mieux
l'antiquité que moi, qui l'ait plus rêvée, et fait tout ce qu'il a
pu pour la connaître ?
Et je suis pourtant un des hommes (en mes livres) les
moins antiques qu'il y ait. à me voir d'aspect, on croirait que
je dois faire de l'épique, du drame, de la brutalité de faits, et
je ne me plais au contraire que dans les sujets d'analyse,
d'anatomie, si je peux dire. Au fond, je suis l'homme des
brouillards, et c'est à force de patience et d'étude que je me
suis débarrassé de toute la graisse blanchâtre qui noyait mes
muscles. Les livres que j'ambitionne le plus de faire sont
justement ceux pour lesquels j'ai le moins de moyens.
Bovary, en ce sens, aura été un tour de force inouï et dont
moi seul jamais aurai conscience : sujet, personnage, effet,
etc., tout est hors de moi.
Cela devra me faire faire un grand pas par la suite.
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Je suis, en écrivant ce livre, comme un homme qui jouerait
du piano avec des balles de plomb sur chaque phalange.
Mais quand je saurai bien mon doigté, s'il me tombe sous la
main un air de mon goût et que je puisse jouer les bras
retroussés, ce sera peut−être bon. Je crois, du reste, qu'en
cela je suis dans la ligne. Ce que vous faites n'est pas pour
vous, mais pour les autres. L'art n'a rien à démêler avec
l'artiste. Tant pis s'il n'aime pas le rouge, le vert ou le jaune ;
toutes les couleurs sont belles, il s'agit de les peindre. Lis−tu
l' âne d'or ? Tâche donc de l'avoir lu avant que je n'arrive,
que nous en causions un peu. Je t'apporterai Cyrano. Voilà
un fantaisiste, ce gaillard−là, et un vrai encore ! Ce qui n'est
pas commun. J'ai lu le volume de Gautier : piteux !
Par−ci par−là une belle strophe, mais pas une pièce.
C'est éreinté, recherché ; toutes les ficelles sont en jeu. On
sent un cerveau qui a pris des cantharides. érection de
mauvaise nature, comme celle des gens qui ont les reins
cassés.
Ah ! Ils sont vieux tous ces grands hommes, ils sont vieux,
ils bavachent sur leur linge. Ils ont fait tout ce qu'il faut pour
cela, du reste.
Sois tranquille, le jeune homme aura son paquet, non pas
par moi (ça pourrait être jugé partial), mais par Bouilhet qui
s'en charge.
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J'irai après−demain à Rouen pour toi et huit jours après
nous nous verrons donc ! Comme je te serrerai dans mes
bras avec plaisir, comme je t'embrasserai ! Adieu, chère
Louise bien−aimée, mille baisers sur les yeux et sous le col.
Je te rapporterai tous tes livres et journaux. Je t'écrirai
samedi ou dimanche pour te dire le jour précis de mon
arrivée.
à la même.
entièrement inédite. dimanche soir, 11 heures 1 er août.
Après−demain, à cette heure−ci je serai avec toi.
Attends−moi, mardi, vers 9 ou 10 heures.
J'ai retrouvé la pièce des yeux et te l'apporte.
à toi, à bientôt.
Ton G.
Ce sont de bonnes lettres, cela, n'est−ce pas ?
Quoiqu'elles ne soient pas longues. J'écrirai la prochaine
avec moins de plaisir.
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Mille baisers encore.
à la même.
entièrement inédite. 9 heures du soir 4 août 1852.
Je tombe sur les bottes (expression que je t'expliquerai).
Dieu ! Que c'est mauvais, que c'est mauvais !
J'en suis gêné. Et les orgues de barbarie qui n'arrêtent pas !
J'y suis depuis 3 heures. Je sors pour aller dîner. Duplan
vient à 10 heures.
Je travaillerai tard cette nuit.
Adieu, mille baisers. à demain, le plus tôt possible, mais je
veux te porter tout achevé.
à la même.
entièrement inédite. mercredi, minuit. 1 er septembre.
Chère et bonne Louise, j'ai été tantôt à Rouen (j'avais à y
chercher un Casaubon à la bibliothèque) et j'ai rencontré par
hasard le jeune Bouilhet chez lequel je devais aller ensuite.
Il m'a montré ta lettre. Permets−moi de te donner, ou plutôt
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de vous donner un conseil d'ami et, si tu as quelque
confiance en mon flair, comme tu dis, suis−le ; je te
demande ce service pour toi. Ne publie pas la pièce qu'il t'a
adressée. Voici mes raisons : elle vous couvrirait de ridicule
tous les deux. Les petits journaux qui n'ont rien à faire ne
manqueraient pas de blaguer sur les regards de flamme , les
bras blancs , le génie , etc...
et la reine ! surtout. Ne touchez pas à la reine deviendrait
un proverbe. Cela te ferait du tort, sois−en sûre. S'ils étaient
bons, ces vers, au moins ; mais c'est que la pièce est assez
médiocre en elle−même (je la connaissais et ne t'en avais
point parlé pour cela). Tu t'es d'ailleurs révoltée toi−même
contre cette association du physique et du moral que je
trouve ici outrée et même maladroite.
Qui ne vante nos vers qu'en vantant nos beaux yeux. On
vous associerait dans un tas de charges.
La pièce, étant la plus faible jusqu'à ce jour que Bouilhet
ait faite, lui nuirait (songes−y un peu) et, quant à toi, à part
la petite gloriole d'un instant de la voir imprimée, te ferait
peut−être un mal plus sérieux. Il n'avait point réfléchi à tout
cela et riait seulement de ta résolution. Nous sommes
convenus qu'il t'en referait une plus sérieuse et plus
publiable. Tu es une très belle femme mais meilleur poète
encore, crois−moi. Je saurais où en aller trouver qui aient la
taille plus mince, mais je n'en connais pas d'un esprit plus
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haut quand toutefois le..., que j'aime entre parenthèses, ne le
fait pas décheoir. Tu vas te révolter, je le sais bien ; mais je
te conjure de réfléchir et, plus, je te supplie de suivre mon
avis.
Si tu avais toujours eu un homme aussi sage que moi pour
te conseiller, bien des choses fâcheuses ne te seraient pas
arrivées. Comme artiste et comme femme, je ne trouve pas
cette publication digne .
Le public ne doit rien savoir de nous. Qu'il ne s'amuse pas
de nos yeux, de nos cheveux, de nos amours. (combien
d'imbéciles accueilleront ces vers d'un gros rire ! ) c'est
assez de notre coeur que nous lui délayons dans l'encre sans
qu'il s'en doute. Les prostitutions personnelles en art me
révoltent, et Apollon est juste : il rend presque toujours ce
genre d'inspiration languissante ; c'est du commun. (dans la
pièce de Bouilhet il n'y a pas un trait neuf ; on y sent, en
dessous, une patte habile ; voilà tout.) console−toi donc et
attends une autre pièce où tu seras chantée mieux de toute
façon et d'une manière plus durable. C'est une affaire
convenue, n'est−ce pas ?
Si quelqu'un t'outrage là−dessus, comment répondre ?
Il faut pour ces genres d'apothéoses une oeuvre hors ligne
. Alors ça dure, fût−ce adressé à des crétins ou à des bossus.
Sais−tu ce qui te manque le plus, à toi ? Le discernement .
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