La Mort de César
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VoltaireLa Mort de CésarLAMORT DE CÉSARTRAGÉDIE EN TROIS ACTESREPRÉSENTÉE, POUR LA PREMIÈRE FOIS, LE 29 AOÛT 1743.AVERTISSEMENTPOUR LA PRf:SEXTE ÉDITION.� �La M»rt de César est le pendant de Brulus. Dans Bnilus, Yêltaire a montré levieux Romain immolant ses enfants à la liberté; dans la Mort de César, il montrel'autre Rrutus immolant son père h la république.« Trois personnages principaux, dit Laliarpe, César, Brutus et Cassius, sagementdessinés et coloriés avec le pinceau le plus mâle et le plus fier ; une action simpleet grande, une marche claire et attachante dépuis la pre- mière scène jusqu'aumoment où César est tué; une intrigue serrée par un seul nœud, le secret de lanaissance de Brutus, secret dont la découverte produit le combat de la nature et dela patrie ; les mouvements qui naissent de cette lutte intérieure, et qui n'ébranlentune àme à la fois romaine et stoïque qu'autant qu'il le faut pour accorder à la naturece que le devoir ne peut jamais lui ôter, et pour en tirer la pitié tragique sanslaquelle l'admi- ration n'est pas assez théâtrale; une foule de scènes du premierordre, celle de la conspiration, celle où Brutus apprend aux conjurés qu'il est fils deCésar, et s'en remet à eux pour prononcer sur ce qu'il doit faire; les deux scènesentre César et Brutus où la progression est observée, quoique l'objet en soit à peuprès le môme; le récit de Cimber; enfin le style qui, propor- tionné au sujet et auxpersonnages, est presque toujours ...

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Voltaire La Mort de César
LA MORT DE CÉSAR TRAGÉDIE EN TROIS ACTES REPRÉSENTÉE, POUR LA PREMIÈRE FOIS, LE 29 AOÛT 1743. AVERTISSEMENT POUR LA PRf:SEXTE ÉDITION. �� La M»rt de César est le pendant de Brulus. Dans Bnilus, Yêltaire a montré le vieux Romain immolant ses enfants à la liberté; dans la Mort de César, il montre l'autre Rrutus immolant son père h la république. « Trois personnages principaux, dit Laliarpe, César, Brutus et Cassius, sagement dessinés et coloriés avec le pinceau le plus mâle et le plus fier ; une action simple et grande, une marche claire et attachante dépuis la pre- mière scène jusqu'au moment où César est tué; une intrigue serrée par un seul nœud, le secret de la naissance de Brutus, secret dont la découverte produit le combat de la nature et de la patrie ; les mouvements qui naissent de cette lutte intérieure, et qui n'ébranlent une àme à la fois romaine et stoïque qu'autant qu'il le faut pour accorder à la nature ce que le devoir ne peut jamais lui ôter, et pour en tirer la pitié tragique sans laquelle l'admi- ration n'est pas assez théâtrale; une foule de scènes du premier ordre, celle de la conspiration, celle où Brutus apprend aux conjurés qu'il est fils de César, et s'en remet à eux pour prononcer sur ce qu'il doit faire; les deux scènes entre César et Brutus où la progression est observée, quoique l'objet en soit à peu près le môme; le récit de Cimber; enfin le style qui, propor- tionné au sujet et aux personnages, est presque toujours sublime ou par la pensée ou par l'expression : voilà ce qui a placé cet ouvrage parmi ceux qui doivent faire le plus d'honneur à Aoitaire, soit comme auteur dramatique, sort comme versificateur. » Nous donnons ici la note purement admirative de l'ancienne critique. 11 nous faut pourtant faire entendre, non pas la contradiction^ mais une appré- ciation plus libre et plus large, et nous allons reproduire la comparaison que M. Yiilemain, dans le Tableau de la LiUéralure du dix-huitième siècle, établit entre l'œuvre de Shakespeare et l'œuvre de Voltaire. M. Villcmain s'exprime ainsi : « Voltaire voulut réaliser ce drame patriotique et républicain qu'il avait admiré sur le théâtre de Londres, et imparfaitement essayé dans Brulus. Il supprima les intrigues d'amour, les personnages de femme, et composa dans ��  "298 AVEKTISSK.MKNT. lo goût anglais, dit-il, la Mort de Cf^s,ir. Los ponsc'os on sont olovoes_, lo langage ok'gant et fort : c'est une belle étude d'après (loriKMlle et Shakespeare. u. Mais là même ^■oltail■o a-t-il perfeetioiiné ce qu'il emprunte au poêle anglais? A-t-il eu, dans toute la force du terme, plus d'art que Shakespeare? Nous en doutons encore. Le dictateur César aspirant à la royauté, l'aristo- cratie romaine réduite à un assassinat, l'àme de Brutus, son sacrifice de César, rien de si grand que cette tragédie toute faite dans l'histoire. On dirait que Shakespeare en a simplement découpé les pages, en y jetant son expression éloquente et ses contrastes habituels de sublime et de grossièreté. « Toutefois, le drame ainsi conçu, avec une liberté sans limites, fait admi-rablement comprendre les causes et l'inutilité du meurtre de César. Ces plébéiens oisifs de la première scène nous préparent à ce peuple de Rome entraîné par Antoine après avoir applaudi Brutus, et plus touché du testa- mont de César que de
la liberté. Depuis le jeune esclave, réveillé de son pai- sible sommeil par les insomnies de Brutus, jusqu'au poëte Cinna, massacré dans la rue pour une ressemblance de nom, chaque incident, chaque per- sonnage est un trait de la vie humaine dans les révolutions. Le costume, le langage antique est souvent altéré par ignorance ; mais la nature toujours devinée. « Voltaire fait autrement: il choisit dans l'histoire, il la transforme, il in- vente au delà. Ce vague soupçon que Brutus était fils de César devient le nœud même et l'intérêt dominant de son drame; la grande lutte du sénat contre l'empire se cache dans un parricide. Voltaire affirme ce que ne croyait pas Brutus, lorsque, dans son admirable lettre contre le jeune Octave, il s'écriait : Puissent les dieux me ravir toutes choses, plutôt que la ferme résolution de ne point accorder à l'héritier de l'homme que j'ai tué ce que je n'ai pas supporté dans cet homme, ce que je ne permettrais pas à mon père lui-même, s'il revenait au monde : le droit d'avoir, par ma padence, plus de pouvoir que les lois et que le sénat ! « Sans doute Fontenelle et M""^ Barbier avaient eu grand tort de faire en- semble une tragédie de la Mort de César, et d'y représenter Brutus et César amoureux et jaloux. Mais fallait-il tout réduire, dans un tel sujet, à des en- tretiens de conspirateurs? L'histoire ne pouvait-elle donner quelque physio- nomie de femme pure et passionnée, qui se mêlât avec tendresse à ces ver- tus féroces, et montrât la vie intime du cœur et la paix domestique engagées dans les luttes sociales? « Shakespeare n'y a pas manqué. Près de la conspiration de Brutus, il a placé l'amour conjugal de Porcia. Cette scène, inspirée de Plutarque, me paraît d'une beauté sublime. Brutus s'est levé dans la nuit, tout agité de son projet. Porcia l'a suivi, le presse, l'interroge sur sa santé, sur son silence : Non, cher Brutus, vous avez quelque chose dans l'âme; je dois le savoir, au Dom de mes droits sur vous ; et je vous le demande à genoux, par ma beauté que ��  AVIÎIITISSEMEXT. '299 vous vantiez autrefois, par tous vos serments d'amour, et par ce grand vœu qui nous a inséparablement unis l'un à l'autre; dites-moi, vous-même, à moi votre moitié, quel trouble vous accable, et pourquoi des hommes, ce soir, sont venus près de vous? Ils étaient six ou sept, cachant leur visage, même à la nuit. BRU XL s. Levez-vous, noble Porcia. pon c 1 A. Je n'aurais pas besoin de vous supplier à genoux, si vous étiez généreux. Dans le contrat de notrj union, dites-moi, Brutus, a-t-il été fait cette réserve que je ne connaîtrais pas les secrets qui vous appartiennent? Mon lot est-il seulement de m'asseoir à votre table, de partager votre lit, de vous parler quelquefois? Si cela est, et rien davantage, Porcia est la concubine de Brutus, et non sa femme. BRUTUS. Vous êtes ma vraie, mon honorable femme, aussi chère pour moi que les gouttes de sang qui remontent à mon triste cœur. PORCIA. S'il est vrai, je dois alors connaître ce secret. Je l'avoue, je suis une femme, mais une femme que Brutus a prise pour épouse ; je l'avoue, je suis une femme, mais une femme de bonne renommée : la fille de Caton. Croyez-vous que je ne sois pas plus forte que mon sexe, ayant un tel père et un tel époux? Dites-moi vos projets; je ne les trahirai pas. J'ai fait une forte épreuve de ma constance, en me blessant moi-même volontairement ici, à la cuisse. Ayant pu souffrir cela patiemment, ne pourrai-je porter les secrets de mon mari? B II u T u s. vous, dieux ! rendez-moi digne de cette noble femme. Kcouto, on frappe: Porcia, viens un moment ; et ton sein va recevoir les secrets de mon cœur. « Ce n'est pas là, je crois, un amour qui rapetisse la grandeur historique du sujet. « La pièce de Shakespeare et celle de Voltaire sont trop connues pour per- mettre
une analyse suivie. Marquons seulement quelques diflérences. « Voltaire, qui n'a pas craint de porter jusqu'au parricide le dévouement civique de Brutus, respecte d'ailleurs le précepte de ne pas ensanglanter la scène; et, dérobant aux yeux tout ce qui se passe dans le sénat, il ne fait connaître le meurtre de César que par le cri lointain des conjurés, et le re- / tour de Cassius, un poignard à la main : car il n'a pas osé sans doute rame-/ ner devant le spectateur Brutus couvert du sang de son père. Mais cette précaution même accuse le faux calcul du poëte d'avoir rendu évident et formel ce qui, dans l'histoire, est enveloppé d'un doute sinistre. Pour avoir exagéré l'horreur du drame, il est obligé d'en cacher le héros. Il n'y a plus ce beau contraste de Brutus et d'Antoine, enlevant tour à tour le cœur des Romains. Tout manque de motifs et de vraisemblance. On conçoit mal pourquoi Cassius, qui n'était pas l'ami de César, cède la parole à Antoine, dont il se défie et qu'il accuse devant le peuple romain. II vient justifier son maître et son empire ; Il vous méprise assez pour penser vous séduire. Sans doute il peut ici faire entendre sa voix: Telle est la loi de Rome, et j'obéis aux lois. �� ; �� Redoutez tout d'Antoine, et surtout Partifice. ��  300 AVERTISSEMENT. La niagnanimo confiance do Hnilus, sa tendresse de cœur, comme dit Plutarque, « sa faiblesse pour la mémoire de César, pouvaient seules expliquer la faute qu'il fit alors en laissant parler Antoine, qu'il avait laissé vivre contre l'avis des autres conjurés. «C'est en cela que Sliakesi^eare a merveilleusement conservé, par la vérité de l'histoire, celle du drame. Brutus a reçu les soumissions et le message d'Antoine. Brutus, après avoir frappé le grand homme qu'il aimait, veut que ses restes soient honorés. Il s'adresse d'abord aux Romains pour expliquer son douloureux devoir; mais il introduit lui-même Antoine, et le recom- mande, pour ainsi dire, de ses dernières paroles. Voilà ce qui rend sublime la péripétie do ce drame oratoire. Et puis quelle vérité dans le langage, quelle intime communication avec le peuple ! et comme le peuple parle na- turellement à son tour! BRUTUS. S'il est dans cette assemblée quelque ami cher de César, je lai dirai que l'a- mour de Brutus pour César n'était pas moindre que le sien. Si cet ami demande pourquoi Brutus s'est armé contre César, voici ma réponse : Ce n'était pas que j'ai- masse peu César; mais j'aimais Rome davantage. Souhaiteriez-vous do voir César vivant, et nous tous esclaves, plutôt que César mort, et de vivre en hommes libres? César m'aimait, je le pleure; il était vaillant, je l'honore; il était heureux, j'ap- plaudis à sa fortune; mais il était ambitieux, je l'ai tué... Quelqu'un est-il assez bas pour souhaiter d'être esclave? i^'il est ici, qu'il parle, car je l'ai olTonsé. Quel- qu'un est-il assez stupide pour ne pas vouloir être Romain ? Quelqu'un est-il assez vil pour ne pas aimer son pays? S'il est ici, qu'il parle; car je l'ai otTensé. Je m'ar- rête pour attendre la réponse. TOUS. Personne, Brutus, personne. BRUTUS. Ainsi je n'ai offensé personne. Je n'ai pas fait plus à César que vous ne feriez à Brutus. Voici le corps de César dont le deuil est mené par Antoine, qui, bien qu'il n'ait pas mis la main dans cette mort, en recueillera l'inestimable prix de vivre dans une ré[.ublique. Qui d'entre vous n'en profitera pas de même? Je ter- mine par ces mots : J'ai tué mon meilleur ami pour le bien de Rome; je garde le même poignard pour moi-môme, quand il plaira à ma patrie de demander ma mort. « Voltaire a traduit presque entièrement ce discours, mais en le plaçant avec; moins de vérité dans la bouche de Cassius. Et que fait-il répondre par le peuple ? Aux vengeurs de l'État nos^coeurs sont assurés. Cela vaut à peu près, pour le naturel, l'antithèse admirative que Lamotte faisait répéter en chœur par l'armée grecque, après la réconciliation d'Achille et d'Agamemnon :
Tout le camp s'écriait dans une joie extrême: Que ne vaincrait-il pas, il s'est vaincu lui-même. ��  AVERTISSEMENT. 301 « Oh! ce n'est pas ainsi que le poëto anglais s'y prend pour donner une ànie à la foule et compléter le drame avec des personnages sans nom. Voici son peuple romain, après le discours de Hrulus : TOtS. Vive, vive Brutiis ! PnF. MIEH PLÉltÉlEX. Conduisez-le en triompiie à sa maison. DEUXIÈME PLÉBÉIEN. Donnez-liii une statue parmi ses ancùtres ! TROISIÈAIE PLÉBÉIEN. Faisons-le César! �� « Faire Brutus César ! voilà désormais comment la répu])li([ue est comprise, comment la liberté est reçue par le peuple romain. Sa reconnaissance n'a plus d'autre hommage que sa servitude. « Cependant, autorisé et appelé par Brutus, en mémoire deCésar, Antoine monte à la tribune. On s'écrie autour de lui : Ce César était un tyran! nous sommes heureux d'en ôtre délivrés.... Écoutons Antoine. ANTOINE Amis, Romains, compatriotes, écoutez-moi. Je viens pour inhumer César et non pour le louer. Le mal que font les hommes leur survit ; le bien reste enseveli sou-vent avec leurs cendres. Qu'il en soit ainsi pour César. Le noble Brutus vous a dit que César était ambitieux : si cela était, c'était une grande faute, et César en a grandement porté la peine. « Je l'avoue, le sublime de l'art me paraît, cette fois encore, du côté de Shakespeare. Voici le début d'Antoine dans Voltaire : Oui, je l'aimais, Romains ; Oui, j'aurais de mes jours prolongé ses destins. Hélas! vous avez tous pensé comme moi-même; Et lorsque, de son front étant le diadème, Ce héros à vos lois s'immolait aujourd'liui. Qui de vous, en effet, n'eut expiré pour lui ? « Antoine, dans Shakespeare, me paraît d'abord plus touchant et plus simple. Puis il s'anime. Il rappelle les exploits de César, la couronne trois fois offerte, trois fois refusée. Était-ce de l'ambition? En parlant ainsi, Antoine se trouble, verse des larmes; et, pendant qu'il s'arrête, le peuple raisonne à sa manière. UN PLÉBÉIEN. Remarquez-vous ces paroles? César ne voulut pas prendre la couronne : donc il est certain qu'il n'était pas ambitieux. « Admirable logique ! ��  302 AVERTISSEMENT. « Antoino oontinuo. Il no va pas, ooninio l'Antoiiio de Voltaire, accuser Brutiis de parricide : lîrutiis !,.. où suis-je? ô ciel ! ù crime ! ô barbarie ! Cliers amis, je succombe, et mes sens interdits... Brut us, son assassin ! ce monstre était son fils ! lloino, qui pouvait abandonner Brutus, mais qui reslimait, n'eût pas souffert ce langage. Antoine, dans Shakespeare, est artificieux, et non pas déclama- teur. Il répète sans cesse que Brutus et Cassius sont des hommes honorables, (ju'il ne veut pas leur faire dommage.
« 3Iais\oici un papier scellé du sceau de César. C'est sa volonté dernière, son testament. Antoine l'annonce, et ne veut pas le lire. Le peuple do toutes parts demande la lecture. Nous voulons entendre la volonté de César. ANTOI\E. Prenez patience, chers amis. Je ne veux pas vous faire cotte lecture ; il n'est pas bon que vous sachiez à quel point César vous aimait. Vous n'êtes pas de pierre ou do bois. Vous êtes hommes : et si vous entendez lire le testament de César, cela vous irritera, vous rendra furieux. Il vaut mieux que vous ne sachiez pas qu'il vous a faits ses héritiers. Car si vous devez... Oh! qu'en adviendrait-il? UN PI.ÉBÉIEM. Lisez-nous le testament; nous devons l'entendre. Antoine, vous devez nous lire le testament, le testament de César. ANTOINE. Serez-vous patients? resterez-vous immobiles quelques moments? Je crains de faire tort aux hommes honorables dont les poignards ont assassiné César. U \ PLÉBÉIEN. C'étaient des traîtres... Eux, des hommes honorables!... Le testament ! le tes-tament ! la volonté dernière de César ! Lisez-nous le testament. ANTOINE. Vous me forcez à lire le testament. Alors, faites un cercle autour du corps de César; et laissez-moi vous montrer celui qui a fait le testament. « Alors il étale la robe sanglante de César, compte et décrit les blessures, nomme chacun des assassins : et les cris du peuple éclatent. Vengeance! courons.... Brûlons.... Cherchons.... Massacrons.... Ne laissons pas un traître en vie. « Et c'est Antoine qui paraît les arrêter. Mes boas amis, mes chers amis, que ma voix ne vous emporte pas à ce mou-vement soudain. Ceux qui ont fait cette action étaient honorables. Quelles injures particulières ils avaient à venger! hélas! je ne le sais pas. Ils auront sans doute des raisons à vous donner. Je ne viens pas, mes amis, pour surprendre vos cœurs : je ne suis pas un orateur comme Brutus; mais, comme vous le savez bien, je suis un homme simple et franc qui aime mon ami ; et ils le savent bien, eux qui me donnent permiss>ion publique de parler de lui. Je n'ai ni l'esprit, ni les paroles, ni ��  I �� AVERTISSEMENT. 30.i l'art du (lôbit, ou le pouvoir de l'cloqucnco pour exciter les passions des hommes. Seulement je dis vrai ; je vous dis ce que vous-mûmes vous savez. Je vous montre les blessures de votre bien-aimc César ; et je les charge de parler pour moi. Mais si j'étais Hrutus, Brutus avec le cœur d'Antoine, j'enlèverais vos ànies, et, de chaque blessure de César, je ferais sortir une voix qui exciterait jusque dans les pierres de Rome le soulèvement et la révolte. T u s. La révolte!... Brûlons la maison de Brutus! en avant! Courez! Cherchez les conspirateurs! « Cependant l'artificieux Antoine les arrôte encore pour leur réciter le tes- tament do César, las legs qu'il fait au peuple, les dons en argent qu'il assure à cha(iuo citoyen. Il a gardé l'intériH pour dernier aiguillon de la fureur; et il laisse partir enfin, ou plutôt il lance le peuple déchaîné. « Ce n'est donc pas un diamant brut que Voltaire a taillé, un essai barbare dont il a fait sortir un chef-d'œuvre. Il a, sans doute, ajouté quelques traits éclatants à son modèle ; mais il n'égale point, dans cette scène, la gradation habile et véhémente de Shakespeare, ni surtout ce dialogue de l'orateur et do la foule, ce concert admirable des ruses de l'art et du tu- multe des passions populaires.
« Qu'après ce beau nioiivemeiit, Dieux ! son sang coule encore ! Antoine s'écrie : Il demande vengeance. Il l'attend de vos mains et de votre vaillance. Entendez-vous sa voix ! éveillez-vous, Romains ! Marchez, suivez-moi tous contre ses assassins : Ce sont là les honneurs qu'à César on doit rendre. Des brandons du bûcher qui va le mettre en cendre, Embrasons les palais de ces fiers conjurés : Enfonçons dans leur sein nos bras désespérés. « Ce sont là d'assez beaux vers, mais un discours comme tant d'autres. (Combien plus originale, dans Shakespeare, cette hypocrite modération d'An- toine, qui fait éclater des cris de mort sans en proférer aucun, et qui préci- pite ce peuple qu'elle a l'air de retenir ! « Voltaire n'a donc pas corrigé Shakespeare, comme on le disait. Peut-ôtre même, dans l'impatience de son goût délicat et moqueur, n'en a-t-il pas senti toutes les beautés : du moins ne les a-t-il pas reproduites. Toutefois cette étude fortifia son génie. Il y puisa quelque chose de ces grands effets de théâtre, do cette manière éloquente et passionnée qui animent ses drames, et en font un grand poëte après Racine. » Ainsi s'exprimait M. Villemain dans sa neuvième leçon. La Mort de César, de Voltaire, et le Julius César, de Shakespeare, sont, à les bien considérer, des monuments de deux arts diiférents, dont l'un ne doit pas ��  304 A Vi: RUSSE ME NT. être Siici'ifié à l'autre, et ciui mériteut d'être ctiidiés tous deux par la postérité impartiale. La Morl de César n'eut que sept représentations dans l'origine. Vingt ans après, en 1763, une comédie-vaudeville assez jolie, V Anglais à Bor- deaux, attirait la foule aux fêtes de la paix. Lekain eut le crédit de faire •éprendre la Mort de César, et la fit aller pendant six représentations à la faveur do la petite pièce ; mais quoique le grand tragédien jouât le rôle de Brutus, la tragédie ne put suivre plus loin l'Anglais à Bordeaux dans le cours de son succès. Comme pour Bndus, riieure de la revanche sonna plus tard, pendant la période révolutionnaire. Cette tragédie fut reprise quinze jours après Brutus, le 29 novembre 1791 . Tous les passages qui pouvaient faire allusion aux circonstances don- nèrent lieu à de bruyantes manifestations ; mais le discours d'Antoine fut couvert de huées par le parterre. Larive, chargé du rôle de Brutus, déploya un très-beau talent. Ce ne fut que deux ans plus tard que Gohier se chargea de « mettre Vol- taire au pas » en refaisant le discours conlre-révoluiionnaire de ce modéré d'Antoine. Après le 9 thermidor, le revirement de l'opinion fut immédiat. Quand on reprit la Mort de César au théâtre Feydeau, !e dénoùment de Gohier fut abandonné. Brutus et les conspirateurs romains furent siffles, et le dis- cours d'Antoine excita au contraire le plus vif enthousiasme. Ce fut un des motifs qui firent dénoncer le théâtre Feydeau au Directoire, et qui en firent ordonner la clôture qui fut maintenue plus d'un mois, du 8 ventôse au 13 germinal an IV. ��  AVERTISSEMENT DE BEUCHOT. �� La .I/o/'< f/e Cr;5rtr fut esquissée à Wandsworth ou à Londres en 1726; mais il p;irail qu'elle ne fui composée qu'en 1731*. Deux ans apièson la joua à riiùtel (le Sassena.se-. Elle fut jouée par les écoliers du collé!i;e d'IIarcourt, le II août 173-3 3. 11 s'en fit bientôt, à Paris môme, sous l'adresse d'Amster- dam, une édition furtive et fautive; ce qui détermina l'auteur à la faire im- primer. Il en chargea le jeune abbé de Lamare qui composa un Averlisaement sur lequel Voltaire lui fit quelques observations*, et ajouta la traduction de la lettre d'Algarotti. Ouoiciue Voltaire ne trouve pas cette traduction exacte^, il la laissa cependant dans l'édition intitulée la Mort de César, tragédie de M. de Vollaire, seconde édition, revue, corrigée, et augmentée par l'au- teur, Amsterdam, chez Jacques Desbordes, 1736, in-S". Cette édition con- tient une Préface des éditeurs ue les éditeurs de Kehl ont rise et
donnée pour Y Avertissement de Lamare, et qu'ils avaient datée de 1738. Les deux morceaux sont différents, comme on peut le voir. La Préface est de Voltaire. Elle contenait, en 1736, un passage contre J.-B. Rousseau, qui fut supprimé en 1738, et que je rétablis. Ce passage est d'autant plus important qu'il donna naissance à la lettre de J.-B. Rousseau, du 22 mai 1736, imprimée dans la Bibliothèque française, t. XXIII, p. 138-154, en réponse de laquelle Vo'taire fit sa lettre du 20 septembre 1736. Dans sa lettre à d'Argental, du mois de mars 1737, Voltaire dit avoir fait lui-même le retranchement de ce qui était contre Rousseau. Ce fut le 29 août 1743 que la Mort de César fut jouée sur le Théâtre- Français. Elle n'eut que sept représentations, et fut reprise de loin en loin. Elle fut jouée, en 1748, au couvent des Visitandines de Beaune, par les jeunes demoiselles qui y étaient en pension. A cette occasion. Voltaire com- posa un prologue que l'on trouvera parmi les Poésies mêlées. �� 1. Lettre à Thiériot, du 30 juin 1731. 2. Lettres : à Thiériot, du l" septembre 1735; à Dosfontaincs, du 7 septembre 1735. 3. Observations sur les écrits modernes, tome II, page 270. A. Lettre à Lamare, du 15 mars 173G. 5. Lettre du 15 mars. Théatue. n, 20 ��  306 AVERTISSEMENT T)E BEUCHOT. Les sentiments républicains iiui sont l'àme de cette tragédie en firent une pièce de circonstance en 1792 et 1793. Le dénoùnient blessait quelques têtes ardentes. Gohier, alors ministre de la justice, et qui depuis a été membre du Directoire exécutif, fit un nouveau dénoûment qui fut joué sur le théâtre de la République (rue de Richelieu) , mais ne le fit point impri- mer. A l'insu de l'auteur, la Mort de César fut imprimée avec le nouveau dénoûment, à Lyon (alors appelé Commune-Affranchie). En 1828, Gohier cro\ait son travail inédit. Je lui montrai l'édition que je possédais; il trouva son ouvrage défiguré, et me remit copie des changements qu'il avait faits dans le troisième acte. C'est sur cette copie signée de lui que je donne, dans les Variantes, page 36'l, le dénoûment nouveau, qui est un morceau historique. C'était le discours d'Antoine qui choquait les républicains français en 1794. Sept ans auparavant, vingt-sept vers de ce discours avaient été mis en musique par Devienne, pour un concert donné le 24 mai 1787 parla So- ciété des Enfants d'Apollon. Peu après l'impression de la Mort de César, en 173(5, parut une Lettre de M. L... sur la Mort de César. Je ne connais cette lettre que pai' la mention que j'en trouve dans les Observations sur les écrits modernes, tome IV, page 238. Malgré l'estime dont jouit la tragédie de Voltaire, le même sujet a été traité il y a quelques années : la Mort de César, tragédie en cinq actes, par M.J.~C. Royou, représentée sur le théâtre de l'Odéon le 9 mai 1825, fut imprimée la même année. ��  AVERTISSEMENT �� DE L'EDITION DE 173Gi �� Il y a près do huit années que plusieurs personnes prièrent l'auteur de /a IJenriade de leur faire connaître le génie et le goût du théâtre anglais. H traduisit en vers une scène du Jules César de Shakespeare, dans laquelle Antoine expose aux yeux du peuple romain le corps sanglant de César. Cette scène anglaise passe pour un des morceaux les plus frapi)ants et les plus pathétiques qu'on ait jamais mis sur aucun tiiéàtre. Le peuple romain, conduit de la haine à la pitié et à la vengeance par la harangue d'Antoine, est un spectacle digne de tous ceux qui aiment véritablement la tragédie. Les amis de M. de V... le prièrent de donner une traduction du reste de la pièce; mais c'était une entreprise impossible. Shakespeare, père de la tra- gédie anglaise, est aussi le père de la barbarie qui y règne. Son génie su- blime, sans culture et sans goût, a fait un chaos du théâtre cju'il a créé. Ses pièces sont des monstres dans lesquelles il y a des parties qui sont des chefs-d'œuvre de la nature. Sa tragédie intitulée la Morl de César commence par son triomphe au Capitule, et finit par la mort de Brutus et de Cassius à la bataille de Philippes. On assassine César sur le théâtre. On voit des sénateurs bouffonner
avec la lie du peuple. C'est un mélange de ce que le tragique a de plus terrible, et de ce que la farce a de plus bas. Je ne fais que répéter ici ce que j'ai souvent ouï dire à celui dont je donne l'ouvrage au public. Il se détermina, pour satisfaire ses amis, à faire un Jules César qui, sans ressembler à celui de Shakespeare, fût pourtant tout entier dans le goût anglais. On dit que c'est la première, parmi celles qui méritent d'être connues, où l'on n^ait point introduit de femmes. A peu près dans ce temps-là, le noble vénitien M. l'abbé Conti, qui joint le talent de la poésie à la philosophie la plus sublime, avait fait imprimer sa tragédie ita- lienne de la Mort de Jules César. Le feu duc de Buckingham, père de ce- lui qui vient de mourir à Rome, en fit aussi une sur le même sujet. Ces quatre tragédies, entièrement différentes les unes des autres, se ressemblent en un seul point, c'est qu'elles sont toutes sans amour. �� 1. Cet Avertissement est de l'abbé de Lamare. Je le donne parce qu'il est né-cessaire pour l'intelligence de la lettre de Voltaire du 15 mars 173G. (B.) ��  308 AVERTISSEMENT DE L'ÉDITION DE 1736. On joua, il y a environ trente ans, une tragédie de la Mort de César sur le théâtre des Comédiens fran(;ais, et on ne manqua i)as de rendre César et Brutus amoureux '. C'est aux gens de lettres, étrangers et français, à qui nous présentons ce petit ouvrage de M. de V..., à juger s'il a mieux fait de peindre ces deux grands hommes tels ([u'ils étaient, que de donner sous leurs noms des Français galants. Cette tragédie, qui n'a jamais été destinée au théâtre de Paris, fut re- présentée, il y a quatre ans, à l'iiotel de Sassenage, et très-bien exécutée. Mais la scène de Shakespeare dans laquelle Antoine monte à la tribune aux harangues pour faire voir au peuple la robe sanglante de César ne put être représentée à cause du petit espace du théâtre, qui suffisait à peine au petit nombre d'acteurs qui jouent dans celte pièce. Elle fut donnée depuis au collège d'Harcourt par les pensionnaires de ce collège, avec une intelligence et une dignité peu ordinaires à l'âge des acteurs. L'auteur aurait sans doute été très-satisfait s'il avait pu voir cette représentation. La tragédie, transcrite à la hâte au collège d'Harcourt, a été imprimée furtivement. On croirait presque que l'éditeur et l'imprimeur ont disputé à qui ferait plus de fautes; c'est ce qui a déterminé l'auteur à faire une édi- tion de cet ouvrage, qu'il était résolu de ne point faire paraître, parce qu'il lui manque, pour le soutenir, l'illusion du théâtre : secours si nécessaire à ce genre de poésie. C'est au public à l'apprécier ce qu'il vaut : les louanges des amis et les critiques des ennemis sont également inutiles devant ce tii- bunal. Je sais que bien des gens se récrient sur l'atrocité de Brutus qui tue César, quoiqu'il le connaisse pour son père. Mais on les prie de se souvenir que chez les Romains l'amour de la liberté était poussé jusqu'à la fureur, et qu'un parricide, dans certaines circonstances, était regardé comme une ac- tion de courage et même de vertu. Nous avons, parmi les Lettres de Cicé- ron, une lettre de ce même Brutus dans laquelle il dit qu'il tuerait son père pour le salut de la république ; et d'ailleurs la tragédie, et surtout la tragé- die anglaise, n'est pas faite pour les choses à demi terribles. Nous ajoutons à cet Avertissement une lettre de M. le marquis Algarotti, qui, à l'âge de vingt-quatre ans, est déjà regardé comme un bon poète, un bon philosophe, et un savant; son estime et son amitié pour M. de Y... leur fait honneur à tous deux. 1. Allusion à la Mort de César, tragédie en trois actes, par M"<^ Barbier, 1709. ��  PREFACE DE- L'ÉDITION DE I736i �� Nous donnons cette édition de la tragédie de la Mort de César, de M. de Voltaire, et nous pouvons dire qu'il est le i)reinier qui ait fait connaître les muses anglaises en France. Il traduisit en vers, il y a quelques années, plusieurs morceaux des meilleurs poëtes d'Angleterre, pour l'instruction de ses amis, et par là il engagea beaucoup de personnes à apprendre l'anglais ; en sorte que cette langue est devenue familière aux gens de lettres. C'est rendre service à l'esprit humain, do l'oi-ner ainsi des richesses des pays étrangers. Parmi les morceaux les plus singuliers des poëtes anglais que notre ami nous traduisit, il nous donna la scène d'Antoine et du peuple romain, prise de la tragédie de Jules César, écrite il y a cent cinquante ans par le fameux Shakespeare, et
jouée encore aujourd'hui avec un très-grand concours sur le théâtre de Lon- dres. Nous le priâmes de nous donner le reste de la pièce; mais il était impossible de la traduire. Shakespeare était un grand génie, mais il vivait dans un siècle grossier ; et l'on retrouve dans ses pièces la grossièreté de ce temps l)eaucoup plus que le génie de l'auteur. M. de Voltaire, au lieu de traduire l'ouvrage monstrueux de Shakespeare, composa, dans le goût anglais, ce Jules César que nous donnons au public. Ce n'est pas ici une jùèce telle que \e Sir Politick de M. de Saint- Évremond, qui, n'ayant aucune connaissance du théâtre anglais, et n'en sachant pas même la langue, donna son Sir Politick pour faire connaître la comédie de Londres aux Français. On peut dire �� 1. Cette Préface est de Voltaire. Les éditeurs de Kclil et beaucoup d'autres la donnaient comme étant de l'abbé de Lamare; c'était la confondre avec l'Avertis-sement qui précède. (B.) ��  310 PREFACE DE L'ÉDITION DE 1736. que cette comédio du Sir Poliiirh- nï'tait ni dans lo ^oût des Anglais, ni dans celui d'aucune autre nation. Il est aisé d'apercevoir, dans la tragcklie de la Mort de César, le génie et le caractère des écrivains anglais, aussi ])ien ([ue celui du peuple romain. On y voit cet amour dominant de la liberté, et ces hardiesses que les auteurs français ont rarement. Il y a encore en Angleterre une autre tragédie de la Mort de César, composée par le duc de Buckingham. Il y en a une en ita- lien, de l'abbé Conti, noble vénitien. Ces pièces ne se ressemblent qu'en un seul point, c'est qu'on n'y trouve point d'amour. Aucun de ces auteurs n'a avili ce grand sujet par une intrigue de galan- terie. Mais il y a environ trente-cinq ans qu'un des plus beaux génies de France ' s'étant associé avec M"*" Barbier pour compo- ser un Jules César, il ne manqua pas de représenter César et Bru- tus amoureux et jaloux. Cette petitesse ridicule est un des plus grands exemples de la force de Tliabitude ; personne n'ose guérir le théâtre français de cette contagion. Il a fallu que, dans Racine, Mithridate, Alexandre, Porus, aient été galants. Corneille n'a jamais évité cette faiblesse : il n'a fait aucune pièce sans amour, et il faut avouer que, dans ses tragédies, si vous exceptez le Cid et Polyeucte, cette passion est aussi mal peinte qu'elle y est étrangère. Notre auteur a donné peut-être ici dans un autre excès. Bien des gens trouvent dans sa pièce trop de férocité : ils voient avec horreur que Brutus sacrifie à l'amour de sa patrie, non-seulement son bienfaiteur, mais encore son père. On n'a autre chose à répondre sinon que tel était le caractère de Brutus, et qu'il faut peindre les hommes tels qu'ils étaient. On a encore une lettre de ce fier Romain^, dans laquelle il dit qu'il tuerait son père pour le salut de la républif[ue. On sait que César était son père ; il n'en faut pas davantage pour justifier cette hardiesse. On imprime au devant de cette tragédie une lettre du comte Algarotti, jeune homme déjà connu pour un bon poète et pour un bon philosophe, ami de M. de Voltaire. ' On met, à la suite de la tragédie de César, VÉpItre de notre �� i. Fontcnellc : mais s'il a fait la tragédie de Brutus, comprise dans ses OEuvres, quoique imprimée sous le nom de M *^^ Bernard, c'est à l'abbé Pellegrin qu'on attribue la Mort de Jules César, donnée en 1709 sous le nom de M"" Barbier, qui n'est morte qu'en 1745. (B.) 2. C'est celle qui est parmi les Lettres de Cicéron, et dont il est parlé dans l'Avertissement qui précède. (B.) 3. Je rétablis toute la fin de cette Préface, que l'auteur avait supprimée en 1738. (B.) ��  PRÉFACE DE L'ÉDITION DE 1736. 311 autour .sur In calomnie, ouvrage déjà connu : il \ a un trait do satiro violent. Il ne s est jamais i)onnis la satire personnelle que contre Rousseau, comme Boileau ne se l'est permise que contre Rollet; voici les vers qui regardent cet homme : L'afTreux Rousseau, loin de cacher en paix
Des jours tissus d'opprobre et do forfaits, Vient rallumer aux marais de Bruxelles D'un feu mourant les pâles étincelles, Et contre moi croit rejeter l'afTiont De l'infamie écrite sur son front. Eli ! que pourront tous les traits satiriipies Que d'un bras faible il décoche aujourd'hui, Et ce ramas de larcins maroti(pies, Moitié français et moitié s^ermaniqucs, etc.? La condnito de Rousseau et les mauvais vers qu'il fait depuis quinze ans jiisliliont assez ce trait. Notre auteur n'est pas le seul (|ue Rousseau ait déchiré dans les vers durs qu'il compose tous les jours. Il en a fait aussi contre l'illustre M. de Fontenello, contre ^I. l'abhé du Bos, homme très-sage, très-savant et très-estime; contre M. l'ahbé Bignon, le protecteur des sciences; contre M. le maréchal de Koailles, à ([ui on ne peut rien reprocher, que d'a- voir autrefois protégé Rousseau. Enfin il vomit les injures les plus méprisables contre ce qu'il y a déplus respectable dans le monde, et contre tous ses bienfaiteurs. 11 faut avouer qu'il est bien permis cl M. de Voltaire de témoigner en passant, dans un de ses ouvrages, ce dédain et cotte exécration avec lesquels tous les honnêtes gens regardent et Rousseau et tout ce que Rousseau imprime depuis quelques années. C'est trop longtemps nous arrêter sur un sujet si désagréable; nous finissons en informant le public que nous allons donner une très-helle et trés-corrocte édition de la Ikn- riadc et des auti'os ou\ragos de notre autour, tous revus, corri- gés, et l)eaucoup augmentés. ��  LETTRE^ DE M. ALGAROTTI A M. L'ABBÉ FRANCHINI, �� ENVOYE DE FLORENCE A PARIS , �� SUR LA TRAGÉDIE DE JULES CÉSAR, �� PAR M. DE VOLTAIRE. �� J'ai différé jusqu'à présent, monsieur, de vous envoyer le Jules César que vous me demandez, pour vous faire part de celui de M. de Voltaire. L'édition qu'on en a faite à Paris est très-informe; on y reconnaît assez la main de quelqu'un du genre de ceux que Pétrone appelle doctores uînhra- lici^; elle est défectueuse au point qu'on y trouve des vers qui n'ont pas le nombre de syllabes nécessaires : cependant la critique a jugé cette pièce avec la même sévérité que si M. de Voltaire l'eût donnée lui-même au pu- blic. Ne serait-il pas injuste d'imputer au Titien le mauvais coloris d'un de ses tableaux, barbouillé par un peintre moderne? J'ai été assez heureux pour qu'il m'en soit tombé entre les mains un manuscrit digne de vous être en-voyé : et voilà enfin le tableau tel qu'il est sorti des mains du maître; j'ose même l'accompagner des réflexions que vous m'avez demandées. Il faudrait ignorer qu'il y a une langue française it un théâtre, pour ne pas savoir à quel degré de perfection Corneille et Racine ont porté l'art dra- matique; il semblait qu'après ces grands hommes il ne restait plus rien à souhaiter, et que tâcher de les imiter était tout ce que l'on pouvait faire de mieux. Désirait-on quelque chose dans la peinture, après la Galatée de Ra- phaël? Cependant la célèbre tête de Michel-Ange, dans le petit Farnèse, �� 1. Ce morceau parut, pour la première fois, dans l'édition donnée par Lamaro, ainsi qu'il le dit à la fin de son Avertissomeiit (voyez pap;e 307). Voltaire, qui ne trouvait pas que ce fût une traduction exacte de la lettre qu'Algarotti avait écrite en italien, demandait à Thiériot si c'était Algarotti lui-même qui avait été son traducteur ; voyez ci-après le texte italien. (B.) 2. « Xondum umbraticus doctor ingénia dclevcrat. » Pétrone, cliap. ii. (B.) ��  LKTTRE DE M. AIJJAUOTTI 313 donna l'idre d'un i^iMirc |)lus terrible et plus fier, auquel cet art pouvait être élevé. Il semble que dans les beaux-arts on no s'aperçoit qu'il y avait des vides qu'après
qu'ils sont remplis. La plupart des tragédies de ces maîtres, soit (jue l'action se passe à Rome, à Athènes, ou à Constantinople, ne contiennent qu'un mariage concerté, traversé, ou rompu. On ne peut s'attendre ;i rien de mieux dans ce genre, où l'Amour donne avec un souris ou la paix ou la guerre. Il me parait qu'on pourrait donner au drame un ton supérieur à ce- lui-ci. Lo Jules César en est une preuve ; l'autour de la tendre Zaïre no respire ici que des sentiments d'ambition, de vengeance, et de liberté. La tragédie doit être l'imitation des grands hommes; c'est ce qui la dis- tingue do la comédie : mais si les actions (|u'e]lo représente sont aussi des plus grandes, cette distinction n'en sera que plus marquée, et l'on peut at- teindre par ce moyen à un genre supérieur. N'admire-t-on pas davantage Marc-Antoine à Philippes qu'à Actium? Jo ne doute pourtant pas que ces raisons ne puissent essuyer de fortes contradictions. Il faudrait avoir bien peu de connaissance de l'homme pour ne pas savoir que les pr('jugés r(Mn- portent prescjue toujours sur la raison, et suitout les préjugés autorisés par un se.xo qui impose une loi qu'on suit toujours avec plaisir. L'amour est depuis trop longtemps en possession du théâtre français pour souffrir (|ue d'autres passions y prennent sa place. C'est ce qui me fait croire ({ue le Jules César pourrait bien avoir h; même soit que les ïh('mis- tocle. les Alcibiade, et les autres grands hommes d'Athènes, admirés (W toute la terre pendant ipu' l'ostracisme les bannissait de leur i)atrie. M. de Voltaire a imité, en quelques endroits, Shakespeare, poëte anglais, qui a réuni dans la même pièce les puérilités les plus ridicules et les mor- ceaux les plus sublimes; il en a fait le môme usage que Virgile faisait des ouvrages d'Ennius: il a imité de l'auteur anglais les deux dernières scènes, (jui sont les plus beaux modèles d'éloquence qu'il y ait au théâtre. Quum nuorct lutulcntus, crat ({uod tolloio velles'. N'est-ce point un reste de barbarie en Eui'oj)e de vouloir ([ueles bornes que la politique et la fantaisie des hommes ont prescrites pour la séparation des États servent aussi de limites aux sciences et aux beaux-arts, dont les progrès pourraient s'étendre par un commerce mutuel des lumières de ses voisins? Cette réflexion convient môme mieux à la nation française qu'à toute autre : elle est dans le cas de ces auteurs dont le public exige plus, à mesure qu'il en a plus reçu; elle est si généralement polie et cultivée qu(^ cela met en droit d'exiger d'elle que non-seulement elle approuve, mais qu'elle cherche même à s'enrichir de ce qu'elle trouve de bon chez ses voisins : Tros, Rutulusve fuat, nuilo discrimine habebo. 1. Horace, livre I, satire iv, vers 11. ��  314 LETTRE DE M. ALGAUOTTI Vne ()!)ioclioii. dont je ne \oiis iiai'lcriiis pas si je ne l'eusse ontcmdu faire, est sur ce (|ue cette trai^éilie n'(>sl (|u'cn trois actes. (Test, dit-on. pécher contre le llieàtre, qui veut (|ue le nonil)re di'S actes soit fixé à cinq. 11 est vrai qu'une des règles est quii toute rigueur la représentation ne dure pas plus de temps que n'aurait duré l'action, si véritablement elle fût arrivée. On a borné a\ ec raison le temps à trois heures, parce qu'une plus longue durée lasserait l'attention, et empêcherait qu'on ne pût réunir aisément dans le même point de vue les différentes circonstances de l'action qui les passe. Sur ce principe, on a divisé les pièces en cinq actes, pour la commodité des spectateurs et de l'auteur, qui peut faire arriver dans ces intervalles quel- que événement nécessaire au nœud ou au dénoùment de la pièce : toute l'objection se réduit donc à n'avoir fait durer l'action du César que deux heures au lieu de trois. Si ce n'est pas un défaut, le nombre des actes n'en doit pas être un non plus, puisque la même raison qui veut qu'une action de trois heures soit partagée en cinq actes, demande aussi qu'une action de deux heures ne le soit qu'en trois. Il ne s'ensuit pas de ce que la plus grande étendue qui a été prescrite est de trois lieures qu'on ne puisse pas la rendre moindre, et je ne vois point pourquoi une tragédie assujettie aux trois unités, d'ailleurs pleine d'intérêt, excitant la terreur et la compassion, enfin pro- duisant en deux heures le même effet que les autres en trois, ne serait pas une excellente tragédie. Une statue dans laquelle les belles proportions et les autres règles de l'art sont observées ne laisse pas d'être une belle statue, quoiqu'elle soit plus ])etite qu'une autre faite sur les mêmes règles. Je ne crois pas que per- sonne trouve la A'énus de Médicis moins belle dans son genre que le Gla- diateur, parce qu'elle n'a que quatre pieds de haut et que le Gladiateur en a six.
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