Caractères et Anecdotes
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Caractères et AnecdotesSébastien-Roch Nicolas de ChamfortŒuvres complètes de Chamfort, Tome 2ŒUVRESCOMPLETESDE CHAMFORTCARACTERES ET ANECDOTES.IMoTRE siècle a produit huit grandes comé- diennes : quatre du théâtre et quatrede ]a société. Les quatre premières sont mademoiselle d’Ange- ville,mademoiselle Duménil, mademoiselle Clai- ron et madame Saint-Huberti ; lesquatre autres sont madame de Montesson, madame de Genlis, madame Necker etmadame d’Angivilliers.— M me disait : « Je me suis réduit à trouvertous’mes plaisirs eu moi-même, c’est-à-dire, dans le seul exercice de monintelligence. La nature a mis, dans le cerveau de l’homme, une petite glandeappelée cervelet, laquelle fait office d’un miroir ; on se représente, tant bien quemal, en petit et en grand, en gros et en détail, tous les objets de l’univers, et mêmeles produits de sa propre pen- sée. C’est une lanterne magique dont l’homme est II i1 OEUVRESpropriétaire, et devant laquelle se passent des scènes où il est acteur et spectateur.C’est là pro- prement l’homme ; là se borne son empire : tout le reste lui estétran<

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Caractères et AnecdotesSébastien-Roch Nicolas de ChamfortŒuvres complètes de Chamfort, Tome 2ŒUVRESCOMPLETESDE CHAMFORTCARACTERES ET ANECDOTES.IMoTRE siècle a produit huit grandes comé- diennes : quatre du théâtre et quatrede ]a société. Les quatre premières sont mademoiselle d’Ange- ville,mademoiselle Duménil, mademoiselle Clai- ron et madame Saint-Huberti ; lesquatre autres sont madame de Montesson, madame de Genlis, madame Necker etmadame d’Angivilliers.— M me disait : « Je me suis réduit à trouvertous’mes plaisirs eu moi-même, c’est-à-dire, dans le seul exercice de monintelligence. La nature a mis, dans le cerveau de l’homme, une petite glandeappelée cervelet, laquelle fait office d’un miroir ; on se représente, tant bien quemal, en petit et en grand, en gros et en détail, tous les objets de l’univers, et mêmeles produits de sa propre pen- sée. C’est une lanterne magique dont l’homme est II i1 OEUVRESpropriétaire, et devant laquelle se passent des scènes où il est acteur et spectateur.C’est là pro- prement l’homme ; là se borne son empire : tout le reste lui estétran<<er.»— «Aujourd’hui, i5 mars 1789,, j’ai fait, disait M. de..., une bonne œuvre d’uneespèce assez rare. J’ai consolé un honnue honnête, plein de vertus, riche de centmille livres de rente, d’un très - grand nom, de beaucoup d’esprit, d’une très-bonnesanté, etc; et moi, je suis pauvre, obscur et malade.»— On sait le discours fanatique que l’évéque de Dol a tenu au roi, au sujet durappel des pro- testans. Il parla au nom du clergé. L’évéque de Saint-Pol lui ayantdemandé pourquoi il avait parlé au nom de ses confrères, sans les consulter : «J’aiconsulté, dit-il, mon crucifix. — En ce cas, ré- pliqua l’évéque de saint-Pol, il fallaitrépéter exac- tement ce que votre crucifix vous avait répondu.»— C’est un fait avéré c[ue Madame, fille du roi, jouant avec une de ses bonnes,regarda à sa main, et, après avoir compté ses doigts : « Comment ! dit l’enfantavec surprise, vous avez cinq doigts aussi, comme moi ? » Et elle recompta pours’en assurer.— Le maréchal de Richelieu, ayant proposé pour maîtresse à Louis xv une grandedame, j’ai oublié laquelle ; le roi n’en voulut pas, disant qu’elle coûterait trop cher àrenvoyer.— M. de Tressan avait fait, en 1738, des cou- DE CHAMFORT. 3plets contre M. le duc de Nivernois. 11 sollicita l’académie en 1780, et alla chez M.de Nivernois 7 qui le reçut à merveille, lui parla du succès de ses derniersouvrages, et le renvoyait comblé d’espérances, lorsque, voyant M. de Tressan prêtà remonter en voiture, il lui dit : « Adieu, mon- sieur le comte, je vous félicite den’avoir pas plus de mémoire. »— Le maréchal de Biron eut une maladie très- dangereuse : il voulut se confesser;et dit devant plusieurs de ses amis : «Ce que je dois à Dieu, ce que je dois au roi,ce que je dois à l’état ».... Un de ses amis l’interrompit : «Tais-toi, dit-il, tu mourrasinsolvable. »— Duclos avait l’habitude de prononcer sans cesse en pleine académie, des f...,des b... ; l’abbé duRenel, qui, à cause de sa longue figure, était appelé un grandserpent sans venin, lui dit: «Mon- sieur, sachez qu’on ne doit prononcer dans l’aca-démie que des mots qui se trouvent dans le dic- tionnaire. »
— M. de L.... parlait à son ami M. de B,homme très-respectable, et cependant très-peu ménagé par le public; il lui avouaitles bruits et les faux jugemens qui coinçaient sur son compte. Celui-ci réponditfroidement : « C’est bien à une béte et à un coquin comme le public actuel, à jugerun caractère de ma trempe ! »— M.... me disait : « J’ai vu des femmes de tous les pays ; l’Italienne ne croit êtreaimée de son 4 ŒUVRESamant que quand il est capable de commettre un crime pour elle ; l’Anglaise, unefolie; et la Fran- çaise, une sottise. »— Ducios disait de je ne sais quel bas coquin qui avait fait fortune: «On lui cracheau visage, on le lui essuie avec le pied, et il remercie. »— D’Alembert, jouissant déjà de la plus grande réputation, se trouvait chezmadame du Deffant, où étaient M. le président Hénault et M. de Pont- de-Veyle.Arrive un médecin, nommé Fournier, qui, en entrant, dit à madame du Défiant :«Ma- dame, j’ai l’honneur de vous présenter mon très’ humble respect »; à IM. leprésident Hénault : « Mon- sieur, j’ai bien l’honneur de vous saluer»; à M. de Pont-de-Veyle : «Monsieur, je suis votre très- humble serviteur»; et à d’Alembert: «Bonjour, monsieur. »— Un homme allait, depuis trente ans, passertoutes les soirées chez madame de Il erdit safemme ; on crut qu’il épouserait l’autre, et on l’y encourageait. Il refusa : «Je nesaurais plus, dit-il, où aller passer mes soirées. »— Madame de ïencin, avec des manières douces, était une femme sans principes,et ca- pable de tout, exactement. Un jour, on louait sa douceur : « Oui, dit l’abbéTrubiet, si elle eût eu intérêt de vous empoisonner, elle eût choisi le poison le plusdoux. »— M. de Broglie, qui n’admire que le mérite militaire, disait un jour : « Ce Voltairequ’on vante DE CHA.MFORT. 5tant, et dont je fais peu de cas, il a pourtant fait un beau vers :» Le premier qui fut roi fut un soldat heureux. »— On réfutait je ne sais quelle opinion de Msur un ouvrage, en lui parlant du public qui en jugeait autrement : « Le public ! lepublic ! dit-il, combien faut-il de sots pour faire un public ?«— M. d’Argenson disait à M. le comte de Sé- bourg, qui était l’amant de sa femme :« Il y a deux places qui vous conviendraient également : le gou- vernement de laBastille et celui des Invalides ; si je vous donne la Bastille, tout le monde dira que jevous y ai envoyé; si je vous donne les In- valides, on croira que c’est ma femme. »— Il existe une médaille que M. le prince de Condé m’a dit avoir possédée et que jelui ai vu regretter. Cette médaille représente d’un côté Louis XIII, avec les motsordinaires : Rex Franc, et Nav.., et de l’autre, le cardinal de Richelieu, avec cesmots autour : Nil sine consilio.— M, ayant lu la lettre de Saint- Jérôme oùil peint avec la plus grande énergie la violence de ses passions, disait : « La forcede ses tentations me fait plus d’envie que sa pénitence ne me fait peur, »— M disait: « Les femmes n’ont de bon quece qu’elles ont de meilleur. »— Madame la princesse de Marsan, maintenant si dévote, vivait autrefois avec M.de Bissy. Elle -avait loué une petite maison, rue Plumet, où eîk- 6 OEUVRESalla, tandis que M. de Bissy y était avec des filles: il lui fit refuser la porte. Lesfruitières de la rue de Sèvres s’assemblèrent autour de son carrosse, disant :« C’est bien vilain de refuser la maison à la princesse qui paie, pour y donner àsouper à des filles de joie ! »
— Un homme, épris des charmes de l’état de prêtrise, disait: « Quand je devrais’être damné, il faut que je me fasse prêtre. »— Un homme était en deuil de la tête aux pieds: grandes pleureuses, perruquenoire, figure allongée. Un de ses amis l’aborde tristement : «Eh ! bon Dieu ! qui est-ce donc que vous avez perdu ? — Moi, dit-il, je n’ai rien perdu ; c’est’que je suis veuf. »— Madame de Bassompierre, vivant à la cour du roi Stanislas, était la maîtresseconnue de M. de la Galaisière, chancelier du roi de Pologne. Le roi alla un jour chezelle, et prit avec elle quelques libertés qui ne réussirent pas : « Je me tais, ditStanislas ; mon chancelier vous dira le reste. ;>— Autrefois on tirait le «âteau des rois avant le repas. M. de Fontenelle fut roi ; etcomme il négligeait de servir d’un excellent plat qu’il avait devant lui, on lui dit : « Leroi oublie ses sujets.» A quoi il répondit : « Voilà comme nous sommes, nousautres. »— Quinze jours avant l’attentat de Damiens, un négociant provençal, passant dansune petite ville à six lieues de Lyon, et étant à l’auberge. DE cha:mfort. 7entendit dire, dans une cîiambre qui n’était sépa- rée de la sienne que par unecloison, qu’un nommé Damiens devait assassiner le roi. Ce négo- ciant venait àParis ; il alla se présenter chez M. Berrier, ne le trouva point, lui écrivit ce qu’il avaitentendu, retourna voir M. Berrier, et lui dit qui il était. Il repartit pour sa province :comme il était en route, arriva l’attentat de Damiens. INI. Beirier, qui comprit que cenégociant conte- rait son histoire, et que cette négligence le per- drait (lui Berrier),envoie un exempt de police et des gardes sur la route de Lyon ; on saisit l’homme,on le bâillonne, on le mène à Paris; on le met à la Bastille, où il est resté pendantdix-huit ans. M. de Malesherbes, qui en délivra plusieurs prisonniers en 1773, contacette histoire dans le premier moment de son indignation.— Un jeune homme sensible, et portant riionnéteté dans l’amour, était bafoué pardes libertins qui se moquaient de sa tournure senti- mentale. Il leur répondit avecnaïveté : « Est-ce ma faute à moi, si j’aime mieux les femmes que j’aime, que lesfemmes que je n’aime pas ? »— Le cardinal de Rohan, qui a été airété pour dettes dans son ambassade deVienne, alla, en qualité de grand aumônier, délivrer des pri- sonniers du Châtelet, àl’occasion de la naissance du dauphin. Un homme, voyant un grand tumulte autourde la prison, en demanda la cause ; on lui répondit que c’était pour M. le cardinal deRohan, 8 caîDVRiiisqui, ce jour là, venait au Châtelet : « Comment !dit-il naïvement, est-ce qu’il est arrêté ? »— M. de Roquemont, dont la femme était très-galante, couchait une fois par moisdans la chambre de madame, pour prévenir les mauvais propos, si elle devenaitgrosse, et s’en allait en disant ; « Me voilà net ; arrive qui plante. »— M. de...., que des chagrins amers empê- chaient de reprendre sa santé, medisait : « Qu’on me montre le fleuve d’Oubli, et je trouverai la fontaine deJouvence. »— On faisait une quête à l’académie française ; il manquait un écu de six francs ouun louis d’or. Un des membres, connu par son avarice, fut soupçonné de n’avoir pascontribué ; il soutint qu’il avait mis; celui qui faisait la collecte dit : «Je ne l’ai pas vu ;mais je le crois. « M. de Fontenelle termina la discussion en disant : « Je l’ai vu,moi ; mais je ne le crois pas. «— L’abbé Maury, allant chez le cardinal de la Roche-Aymon, le rencontra revenantde l’assem- blée du clergé. Il lui trouva de l’humeur et lui en demanda la raison.« J’en ai de bien bonnes, dit le vieux cardinal : on m’a engagé à présider cetteassemblée du clergé, où tout s’est passé on ne saurait plus mal ; il n’y a pas jusqu’àces jeunes agens du clergé, cet abbé de la Luzerne, qui ne veulent pas se payer demauvaises raisons. »— L’abbé Raynal, jeune et pauvre, accepta une messe à dire tous les jours pourvingt sous : DE CIIAMFOllT. 9quand il fut plus riche, il la céda à Tabbé de la Porte, en retenant huit sous dessus :
celui-ci, devenu moins gueux, la sous-loua à l’abbé Dinouart, en retenant quatresous dessus, outre la portion de l’abbé Raynal ; si bien que cette pauvre messe,grevée de deux pensions, ne valait que huit sous à l’abbé Dinouart.— Un évéque de Saint-Brieux, dans une orai- son funèbre de Marie-Thérèse, se tirad’affaire fort simplement sur le partage de la Pologne : a La France, dit il, n’ayantrien dit sur ce par- tage, je prendrai le parti de faire comme la France, et de n’enrien dire non plus. »— Milord Marîborough étant à la tranchée avec un de ses amis et un de ses neveux,un coup de canon fit sauter la cervelle à cet ami, et en cou- vrit le visage du jeunehomme, qui recula avec effroi. Marîborough lui dit intrépidement : « Eh quoi !monsieur, vous paraissez étonné ? — Oui, dit le jeune homme, en s’essuyant lafigure, je le suis qu’un homme, qui a autant de cervelle, restât exposé gratuitement àun danger si inutile.»— Madame la duchesse du ]Maine, dont la santé allait mal, grondait son médecin,et lui disait : « Était-ce la peine de m’imposer tant dé priva- tions, et de me fairevivre en mon particulier ? — IMais votre altesse a maintenant quarante per- sonnesau château. ? — £h bien ! ne savez-vou pas que quarante ou cinquante personnessont le particulier d’une princesse? » ÏO OEUVRES— Le duc de Chartres ( i ), apprenant l’insulte faite à madame la duchesse deBourbon, sa sœur, par M. le comte d’Artois, dit : « On est bien heureux de n’être nipère ni mari. »— Un jour, que l’on ne s’entendait pas dans une dispute à l’académie, M. de Mairandit : « Messieurs, si nous ne parlions que quatre à la fois ! »— Le comte de Mirabeau, très-laid de figure, mais plein d’esprit, ayant été mis encause pour un prétendu rapt de séduction, fut lui-même son avocat. « Messieurs,dit-il, ie suis accusé de sé- duction ; pour toute réponse et pour toute dé- fense, jedemande que mon portrait soit mis au greffe. » Le commissaire n’entendait pas :« Béte, dit le juge, regarde donc la figure de monsieur ! »— M.... me disait : « C’est faute de pouvoir pla- cer un sentiment vrai, que j’ai pris leparti de traiter l’amour comme tout le monde. Cette res- source a été mon pis aller :comme un homme qui, voulant aller au spectacle, et et n’ayant pas trouvé de placeà Iphigénie, s’en va aux Variétés amusantes. »— Madame de Brionne rompit avec le cardinal de Rohan, à l’occasion du duc deChoiseul, que le cardinal voulait faire renvoyer. Il y eut entre eux une scène violente,que madame de Brionne termina en menaçant de le faire jeter par la fe-(r) Le duc d’Orléans, guiliotim’" le 6 novembre ijgS. DT. CHAMFORT. 1 fnêtre : « Je puis bien descendre, dit-il, par où je suis monté si souvent. »— M. le duc de Choiseul était du jeu de Louis XV, quand il fut exilé. M. deChauvelin, qui en était aussi ; dit au roi qu’il ne pouvait le continuer, parce que leduc en était de moitié. Le roi dit à M. de Chauvelin : « Demandez-lui s il veutcontinuer...» M. de Chauvelin écrivit à Chan- teloup : j\I. de Choiseul accepta. Aubout du mois, le roi demanda si le partage des gains était fait. « Oui, dit 31. deChauvelin ; M. de Choiseul gagne trois mille louis. — Ah ! j’en suis bien aise, dit leroi ; mandez-le lui bien vite. »— «L’amour, disait M, devrait n’être leplaisir que des âmes délicates. Quand je vois des hommes grossiers se mêlerd’amour, je suis tenté de dire : « De quoi vous mélez-vous? » Du jeu, de la table, del’ambition à cette canaille ! »— Ne me vantez point le caractère de N.... : c’est un homme dur, inébranlable,appuyé sur une philosophie froide, comme» une statue de bronze sur du marbre.— « Savez-vous pourquoi, me disait jNI. de...., on est plus honnête, en France, dansla jeunesse et jusqu’à trente ans, que passé cet âge? c’est que ce n’est qu’aprèscet âge, qu’on s’est détrompé ; que chez nous, il faut être enclume ou marteau ; quel’on voit clairement que les maux dont gémit la nation sont irrémédiables.Jusqu’alors, on avait ressemblé au chien qui défend le dîner de sou 1 -XOEUVRESmaître contre les autres chiens ; après cette époque, on fait comme le même chien,qui en ])rend sa part avec les autres. »
— Madame de B ne pouvant, malgré songrand crédit, rien faire pour M. de D...., son amant, homme par trop médiocre, l’aépousé. En fait d’amans, il n’est pas de ceux que l’on montre ; en fait de maris, onmontre tout.— ]M. le comte d’Orsai, fils d’un fermier-géné- ral, et si connu par sa manie d’êtrehomme de qualité, se trouva avec M. de Choiseul-Gouffier, chez le prévôt desmarchands. Celui-ci venait chez ce magistrat pour faire diminuer sa capitationconsidérablement augmentée : l’autre y venait porter ses plaintes de ce qu’on avaitdiminué la sienne, et croyait que cette diminution sup- posait quelque atteinteportée à ses titres de noblesse.— On disait de M. l’abbé Arnaud, qui ne conte jamais : «Il parle beaucoup, non qu’ilsoit bavard, mais c’est qu’en parlant on ne conte pas.»— M. d’Autrep disait de M.deXimenez : «C’est un homme qui aime mieux la pluieque le beau temps, et qui, entendant chanter le rossignol > dit : « Ah ! la vilainebéte ! »— Le tzar Pierre i""., étant à Spithead, voulut savoir ce que c’était que le châtimentde la cale qu’on inflige aux matelots. Il ne se trouva pour lors aucun coupable ;Pierre dit : « Qu’on prenne un de mes gens. — Prince, lui répondit-on, vos gens DECRAMFORT. l3sont en Angleterre, et par conséquent sous la pro- tection des lois. »— M. de Vaucanson s’était trouvé l’objet prin- cipal des attentions d’un princeétranger, quoi- que M. de Voltaire lût présent. Embarrassé et honteux que ce princen’eût rien dit à Voltaire, il s’approche de ce dernier et lui dit : « Le prince vient denie dire telle chose. ( Un compliment très-flatteur pour Voltaire.)» Celui-ci vit bienque c’était une politesse de Vaucanson, et lui dit :«Je reconnais tout votre talentdans la manière dont vous faites parler le prince. »— A l’époque de l’assassinat de Louis xv par Damiens, M. d’Argenson était enrupture ouverte avec madame de Pompadour. Le lendemain de cette catastrophe,le roi le fit venir pour lui don- ner l’ordre de renvoyer madame de Pompadour, Il seconduisit en homme consommé dans l’art des cours. Sachant bien que la blessuredu roi n’était pas considérable, il crut que le roi, après s’être rassuré, rappeleraitmadame de Pompa- dour ; en conséquence, il fit observer au roi qu’ayant eu lemalheur de déplaire à la reine, il serait barbare de lui faire porter cet ordre par unebouche ennemie ; et il engagea le roi à donner cette commission à M. de Machaut,qui était des amis de madame de Pompadour, et qui adouci- rait cet ordre partoutes les consolations de l’ami- tié ; ce fut cette commission qui perdit M. de Ma-chaut. Mais ce même homme, que cette conduite l4 ŒUVRESsavante avait réconcilié avec madame de Pompa- dour, fit une faute d’écolier, enabusant de sa victoire, et la chargeant d’invectives, lorsque, re- venue à lui, elleallait mettre la France à ses pieds.— Lorsque madame Dubarry et le duc d’Ai- guillon firent renvoyer M. de Choiseul,les places que sa retraite laissait vacantes n’étaient point en- core données. Le roine voulait point de M. d’iVi- guillon pour ministre des affaires étrangères : M. leprince de Condé portait M. de Vergennes qu’il avait connu en Bourgogne ;madame Du- barry portait le cardinal de Rohan, qui s’était attaché à elle : M.d’Aiguillon, alors son amant, voulut les écarter l’un et l’autre ; et c’est ce qui fitdonner l’ambassade de Suède à M. de Ver- gennes, alors oublié et retiré dans sesterres, et l’ambassade de Vienne au cardinal de Rohan, alors le prince Louis.— « Mes idées, mes principes, disait M...., ne conviennent pas à tout le monde :c’est comme les poudres d’Ailhaut et certauies drogues qui ont fait grand tort à destempéramens faibles, et ont été très-profitables à des gens robustes. « Il don- naitcette raison pour se dispenser de se lier avecM. de J, jeune homme de la cour, avec qui onvoulait le mettre en liaison.— J’ai vu M. de Foncemagne jouir, dans sa vieil- lesse, d’une grandeconsidération. Cependant, ayant eu occasion de soupçonner un moment sadroiture, je demandai à M. Saurin s’il l’avait DE CHAMFODT. l5connu particLiliôioment. 11 me répondit qu’oui. J’insistai pour savoir s’il n’avait
jamais rien eu contre lui. M. Saurin, après un moment de ré- flexion, me répondit :«11 y a long-temps qu’il est honnête homme. » Je ne pus en tirer rien de po- sitif,sinon qu’autrefois M. de Foncemagne avait tenu une conduite oblique et rusée dansplusieurs affaires d’intérêt.— P»I. d’Argenson, apprenant qu’à la bataille de Raucoux, un a alet d’armée avaitété blessé d’un coup de canon, derrière l’endroit où il était lui- même avec le roi,disait : « Ce droIe-là ne nous fera pas l’honneur d’en mourir. »— Dans les malheurs de la fin du règne de Louis XIV, après la perte des bataillesde Tu- rin, d’Oudenarde, de Malplaquet, de Ramillies, d’iîochstet, les plus honnêtesgens de la cour di- saient : « Au moins le roi se porte bien, c’est le principal. »— Quand M. le comte d’Estaing, après sa cam- pagne dé la Grenade, vint faire sacour à la reine pour la première fois, il arriva porté sur ses bé- quilles, etaccompagné de plusieurs officiers blessés comme lui. La reine ne sut lui dire autrechose, sinon : « M. le comte, avez-vous été con- tent du petit Laborde? »— « Je n’ai vu dans le monde, disait M..., que des diners sans digestion, dessoupers sans plai- sirs, des conversations sans confiance, des liaisons sansamitié, et des coucheries sans amour. » l6 ŒUVRES— Le curé de Saint-Sulpice étant allé voir ma- dame de Mazarin pendant sadernière maladie, pour lui faire quelques petites exhortations, elle lui dit enl’apercevant :« Ah î M. le curé, je suis enchantée de vous voir; j’ai à vous dire que lebeurre de l’Enfant -Jésus n’est plus à beaucoup près si bon : c’est à vous d’y mettreordre, puis- que VEnfant Jésus est une dépendance de votre église. f>— Je disais à M. R...., misantrope plaisant, qui m’avait présenté un jeune hommede sa connais- sance : «Votre ami n’a aucun usage du monde, ne sait rien de rien.— Oui, dit-il; et il est déjà triste, comme s’il savait tout. »— M.... disait qu’un esprit sage, pénétrant et qui verrait la société telle qu’elle est,ne trouve- rait partout que de l’amertume. Il faut absolument diriger sa vue vers lecôté plaisant, et s’accoutu- mer à ne regarder l’homme que comme un pantin, et lasociété comme la planche sur laquelle il saute. Dès-lors, tout change : l’esprit desdifférens états? la vanité particulière à chacun d’eux, ses diffé- rentes nuances dansles individus, les friponne- ries, etc., tout devient divertissant, et on conserve sasanté.— « Ce n’est qu’avec beaucoup de peine, disait M...., qu’un homme de mérite sesoutient dans le monde sans l’appui d’un nom, d’un rang . d’une fortune : l’hommequi a ces avantages y est, au contraire, soutenu comme malgré lui-même. Il y i)ECHAMFORT. l’Jî*, entre ces deux hommes, la différence qu’il y a du scaphandre au nageur.— M.... me disait : ce J’ai renoncé à l’amitié de * deux hommes : l’un, parce qu’il nem’a jamais parlé de lui; l’autre, parce qu’il ne m’a jamais parlé de moi. »— On demandait au même, pourquoi les gou- verneurs de province avaient plus defaste que le roi :« C’est, dit -il, que les comédiens de cam pagne chargent plus queceux de Paris.»— Un prédicateur de la ligue avait pris, pour texte de son sermon : Eripe nos.Domine, à luto fœcis qu’il traduisait ainsi : «Seigneur, débour- bonez-nous.»— M...., intendant de province, homme fort ri- dicule, avait plusieurs personnes dansson salon, tandis qu’il était dans son cabinet dont la porte était ouverte. Il prend unair affairé ; et, tenant des papiers à la main, il dicte gravement à son secrétaire :«Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous ceux qui ces pré-sentes lettres verront (verront, un à la fin), salut. » Le reste est de forme, dit-il, enremettant les papiers ; et il passe dans la salle d’audience, pour livrer au public legrand homme occupé de tant de grandes affaires.— M. de Montesquiou priait M. de Maurepas de s’intéresser à la prompte décisionde son affaire, et de ses prétentions sur le nom de Fézenzac. M. de Maurepas luidit : « Rien ne presse;II 2 ï8 OEUVRESM. le comte d’Artois a des enfaiis. » C’était avani: la naissance du dauphin.— Le régent envoya demander au président Daron la démission de sa place de
premier pré- sident du parlement de Bordeaux. Celui-ci répon- dit qu’on ne pouvaitlui ôter sa place, sans lui faire son procès. Le régent, ayant reçu la lettre, mit aubas : « Quà cela ne tienne, » et la ren- voya pour réponse. Le président,connaissant le prince auquel il avait à faire, envoya sa démis- sion.— Un homme de lettres menait de front un poème et une affaire d’où dépendait safortune. On lui demandait comment allait son poème. « Demandez-moi plutôt, dit-il,comment va mon affaire. Je ne ressemble pas mal à ce gentilhomme qui, ayant uneaffaire criminelle, laissait croître sr barbe, ne voulant pas, disait-il, la faire faire avantde savoir si sa tête lui appartiendrait. Avant d’être immortel, je veux savoir si jevivrai. »— M. de la Reynière, obligé de choisir entre la place d’administrateur des postes etcelle de fermier-général, après avoir possédé ces deux places, dans lesquelles ilavait été maintenu par le crédit des grands seigneurs qui soupaient chez lui, seplaignit à eux de l’alternative qu’on lui proposait, et qui diminuait de beaucoup sonre- venu. Un d’eux lui dit naïvement : « Eh, mon Dieu ! cela ne fait pas une grandedifférence dans rotre fortune. C’est un million à mettre à fond DE CHAMFORT. I9perdu ; et nous n’en viendrons pas moins souper chez vous. »— M...., provençal, qui a des idées assez plai- santes, me disait, à propos des roiset même des ministres, que, la machine étant bien montée, le choix des uns et desautres était indifférent : « Ce sont, disait-il, des chiens dans un tourne- broche ; ilsuffit qu’ils remuent les pattes pour que tout aille bien. Que le chien soit beau, qu’ilait de l’intelligence, ou du nez, ou rien de tout cela, la broche tourne, et le soupesera toujours à peu près bon. »— On faisait une procession avec la châsse de Sainte -Geneviève, pour obtenir dela sécheresse. A peine la procession fut-elle en route, qu’il commença à pleuvoir ;sur quoi l’évéque de Cas- tres dit plaisamment : « La sainte se trompe ; elle croitqu’on lui demande de la pluie. )>— c( Au ton qui règne depuis dix ans dans la littérature, disait M...., la célébritélittéraire me paraît une espèce de diffamation qui n’a pas en- core tout à fait autantde mauvais effets que le carcan ; mais cela viendra, j— On venait de citer quelques traits de la gour- mandise de plusieurs souverains.«Que voulez- vous, dit le bonhomme M. de Brequigny ; que voulez-vous que fassentces pauvres rois? Il faut bien qu’ils mangent. »— On demandait à une duchesse de Rohan, à quelle époque elle comptaitaccoucher, a Je me 20 OEUVRESflatte, dit-elle, d’avoir cet honneur dans deux mois. » L’honneur était d’accoucherd’un Rohan,— Un plaisant, ayant vu exécuter en ballet, à l’Opéra, le fameux Qu’il mourût deCorneille •> pria Noverre de faire danser X’à- Maximes de La Rochefoucault.— M. de Malesherbes disait à M. de JVÎaurepas qu’il fallait engager le roi à allervoir la Bastille. « Il faut bien s’en garder, lui répondit M. de Mau- repas; il ne voudraitplus y faire mettre personne. »— Pendant un siège, un porteur d’eau criait dans la ville : «A six sous la voied’eau! » Une bombe vient et emporte un de ses sceaux : «A douze sous le sceaud’eau ! s’écrie le porteur sans s’étonner. »— L’abbé de Molière était un homme simple et pauvre, étranger à tout, hors à sestravaux sur le système de Descartes ; il n’avait point de valet, et travaillait dans sonlit, faute de bois, sa culotte sur sa tête par-dessus son bonnet, les deux côtéspendant à droite et à gauche. Un matin, il entend frapper à sa porte : « Qui va là? —Ouvrez... . » 11 tire un cordon et la porte s’ouvre. L’abbé de Mo- lière, ne regardantpoint : « Qui ètes-vous ? — Donnez-moi de l’argent. — De l’argent ? — Oui, del’argent. — Ah ! j ’entends : vous êtes un vo- leur? — Voleur ou non, il me faut del’argent. — Vraiment oui, il vous en faut : eh bien! cher- chez là dedans » Il tend lecou, et présente undes côtés de la culotte; le voleur fouille : — « Eh bien ! il n’y a point d’argent ? —Vraiment non ; DF. CHA-MFORT. 2 1mais il y a ma clé. — Eh bien ! cette clé... — Cette clé, prenez - la. — Je la tiens. —Allez-vous en à ce secrétaire ; ouvrez.... » Le voleur met la clé à un autre tiroir. —« Laissez donc, ne dérangez pas ! ce sont mes papiers. Ventrebleu ! finirez- vous ?
ce sont mes papiers : à l’autre tiroir, vous trouverez de l’argent. — Le voilà. — Ehbien ! prenez. Fermez donc le tiroir... » Le voleur s’en- fuit. — «M. le voleur, fermezdonc la porte. Mor- bleu ! il laisse la porte ouverte ! — Quel chien de voleur ! il fautque je me lève par le froid qu’il fait! maudit voleur !» L’abbé saute en pied, vafermer la porte, et revient se remettre à son ti-avail.— M...., à propos des six mille ans de Moïse, di- sait, en considérant la lenteur desprogrès des arts et l’état actuel de la civilisation : « Que veut-il qu’on fasse de sessix mille ans? Il en a fallu plus que cela pour savoir battre le briquet, et pour inventerles allumettes. »— La comtesse de Bouflers disait au prince de Conti, qu’il était le meilleur destyrans.— Madame de Montmorin disait à son fds : « Vous entrez dans le monde; je n’aiqu’un conseil à vous donner, c’est d’être amoureux de toutes les femmes. »— Une femme disait à M.... qu’elle le soup- çonnait de n’avoir jamais perdu terreavec les femmes : « Jamais, lui dit-il, si ce n’est dans le ciel.» En effet, son amours’accroissait toujours 22 OEUVRESpar la jouissance, après avoir commencé assez tranquillement.— Du temps de INI. de Machaut, on présenta au roi le projet d’une cour plénière,telle qu’on a voulu l’exécuter depuis. Tout fut réglé entre le roi, madame dePompadour et les ministres. On dicta au roi les réponses qu’il ferait au premierprésident; tout fut expliqué dans un mémoire dans lequel on disait : « Ici le roiprendra un air sévère; ici le front du roi s’adoucira; ici le roi fera tel geste, etc.» Lemémoire existe.— «Il faut, disait M..., flatter l’intérêt ou effrayer l’amour-propre des hommes : cesont des singes qui ne sautent que pour des noix, ou bien dans la crainte du coupde fouet..»— Madame de Créqui, parlant à la duchesse de Chaulnes de son mariage avec M.de Giac, après les suites désagréables qu’il a eues, lui dit qu’elle aurait dû lesprévoir, et insista sur la distance des âges. « Madame, lui dit madame de Giac,appre- nez qu’une femme de la cour n’est jamais vieille, et qu’un homme de robeest toujours vieux».— M. de Saint- Julien, le père, ayant ordonné a son fils de lui donner la liste de sesdettes, ce- lui-ci mit à la tête de son bilan soixante mille livres pour une charge deconseiller au parlement de Bordeaux. Le père indigné crut que c’était une raillerie,et lui en fit des reproches amers. Le fils soutint qu’il avait payé cette charge.« C’était, dit-il, lorsque je fis connaissance avec iïiadame dp: cnx\:xiFORT. ’23Tilaiirier. Elle souhaitait d’avoir une charge de conseiller au parlement de Bordeauxpour son mari; et jamais, sans cela, elle n’aurait eu d’ami- tié pour moi ; j ’ai payé laplace ; et vous voyez, mon père, qu’il n’y a pas de quoi être en colère contre moi, etque je ne suis pas un mauvais plai- sant. »" — Le comte d’Argenson, homme d’esprit, mais dépravé, et se jouant de sapropre honte, disait : <f Mes ennemis ont beau faire, ils ne me culbuteront pas ; il n’ya ici personne plus valet que moi. »— M. de Boulainvilliers, homme sans esprit, très-vain, et fier d’un cordon bleu parcharge, disait à un homme, en mettant ce cordon, pour lequel il avait acheté uneplace de cinquante mille écus : « Ne seriez vous pas bien aise d’avoir un pareilornement ? — Non, dit l’autre ; mais je voudrais avoir ce qu’il vous coûte. »— Le marquis de Chatelux, Eftnoureux comme à vingt ans, ayant vu sa femmeoccupée, pendant tout un dhier, d’un étranger jeune et beau, l’a- borda au sortir detable, et lui adressait d’humbles reproches; le marquis de Genlis lui dit : « Passez,passez, bonhomme, on vous a donné. (Formule usitée envers les pauvres quiredemandent l’au- mône. ) »— M...., connu par son usage du monde, me disait que ce qui l’avait le plus formé,c’était d’avoir su coucher, dans l’occasion, avec des a 4 ŒUVRESfemmes de quarante ans, et écouter des vieillards de quatre-vingts.— M.... disait que de courir après la fortune avec de l’ennui, des soins, desassiduités auprès des grands, en négligeant la culture de son esprit et de son âme,c’est pécher au goujon avec un hameçon d’or.
— On sait quelle familiarité le roi de Prusse permettait à quelques-uns de ceux quivivaient avec lui. Le général Quintus-Icilius était celui qui en profitait le pluslibrement. Le roi de Prusse, avant la bataille de Rosbac, lui dit que, s’il la perdait, ilse rendrait à Vepise, où il vivrait en exerçant la médecine. Quintus lui répondit:« Tou- jours assassin ! »> — M. de Buffon s’environne de flatteurs et de sots qui le louent sans pudeur. Unhomme avait dîné chez lui avec l’abbé Leblanc, M. de Juvigny et deux autreshommes de cette force. Le soir, il dit à soupe qu’il avait vu, dans le cœur de Paris,quatre huîtres attachées à un rocher. On chercha long-temps le sens de cetteénigme, dont il donna enfin le mot.— Pendant la dernière maladie de Louis xv, qui, dès les premiers jours, seprésenta comme mortelle, Lorry, qui fut mandé avec Bordeu, employa, dans ledétail des conseils qu’il donnait, le mot : Il faut. Le Roi, choqué de ce mot, répé- taittout bas, et d’une voix mourante : Il faut] ilfaut! 1)K CH\l\tFORT. 2— Voici une anecdote que j’ai ouï conter a INI. de Clermont-Tonnerre sur le baronde Breteuil. Le baron, qui s’intéressait à M. de Clermont- Tonnerre, le grondait dece qu’il ne se montrait pas assez dans le monde, (f J’ai trop peu de fortune,répondit M. de Clermont. — Il faut emprunter : vous payerez avec votre nom. —Mais, si je meurs. — Vous ne mourrez pas. — Je l’espère ; mais enfin, si celaarrivait? — Eh bien ! vous mourriez avec des dettes, comme tant d’autres.— Je neveux pas mourir banqueroutier. — Monsieur, il faut aller dans le monde : avec votrenom, vous devez arri- ver à tout. Ah! si j’avais eu votre nom! — Voyez à quoi il mesert. — C’est votre faute. Moi, j’ai emprunté ; vous voyez le chemin que j’ai fait, moiqui ne suis qu’un pied-plat.y> Ce mot fut ré- pété deux ou trois fois, à la grandesurprise de l’auditeur, qui ne pouvait comprendre qu’on parlât ainsi de soi-même.— Cailhava qui, pendant toute la révolution, ne songeait qu’aux sujets de plaintesdes auteurs contre les comédiens, se plaignait à un homme de lettres lié avecplusieurs membres de l’assem- blée nationale, que le décret n’arrivait pas. Celui- cilui dit : « Mais pensez-vous qu’il ne s’agisse ici que de représentations d’ouvragesdramatiques? — Non, répondit Cailhava ; je sais bien qu’il s’agit aussid’impression. »— Quelque temps avant que Louis xv fût ar- rangé avec madame de Pompadour,elle courait a6 OEUVRESaprès lui aux chasses. Le roi eut la complaisance d’envoyer à M. d’Étiolés uneramure de cerf. Ce- lui-ci la fit mettre dans sa saJle à manger, avec ces mots :« Présent fait par le roi à M. d’Étiolés.»— Madame de Genlis vivait avec M. de Senevoi. Un jour qu’elle avait son mari à satoilette, un soldat arrive, et lui demande sa protection auprès de M. de Senevoi, soncolonel, auquel il deman- dait un congé. Madame de Genlis se fâche contre cetimpertinent, dit qu’elle ne connaît M. de Sene- voi que comme tout le monde, en unmot, refuse. M. de Genlis retient le soldat, et lui dit : «Va de- mander ton congé enmon nom; et, si Senevoi te le refuse, dis-lui que je lui ferai donner le sien.»— M.... débitait souvent des maximes de roué, en fait d’amour; mais, dans le fond, ilétait sen- sible, et fait pour les passions. Aussi quelqu’un disait-il de liii : « Il a faitsemblant d’être malhon- nête, afin c[ue les femmes ne le rebutent pas. »— M. de Richelieu disait, au sujet du siège de Mahon par M. le duc de Grillon :« J’ai pris Mahon par une étourderie ; et dans ce efenre, M. de Grillon |)araît ensavoir plus que moi. »— A la bataille de Rocoux ou de la Lawfeld, le jeune M. de Thyange eut son chevaltué sous lui, et lui-même fut jeté fort loin ; cependant il n’en fut point blessé. Lemaréchal de Saxe lui dit: « Petit Thyange, tu as eu une belle peur ? — Oui, M. lemaréchal, dit celui-ci; j’ai craint que vous ne fussiez blessé.» 1)1-. CHAMTORT. l’J— Voltaire disait, à propos de VAnti- Machia- vel du roi de Prusse : « Il craclie auplat pouç en dégoûter les autres. »On faisait compliment à madame Denis de la façon dont elle venait de jouer Zaïre :« Il faudrait, dit-elle, être belle et jeune. — Ali! madame, reprit le complimenteurnaïvement, vous êtes bien la preuve du contraire. »— M. Poissonnier, le médecin, après son re- tour de Russie, alla à Ferney, et parla
à M. de Voltaire de tout ce qu’il avait dit de faux et d’exa- géré sur ce pays-là :« ]Mon ami, répondit naïve- ment Voltaire, au lieu de s’amuser à contredire, ilsm’ont doimé de bonnes pelisses, et je suis très- frileux. »— Madame de Tencin disait que les gens d’es- prit faisaient beaucoup de fautesen conduite, parce qu’ils ne croyaient jamais le monde assez bète, aussi bète qu’ill’est.— Une femme avait un procès au parlemeiil de Dijon. Elle vint à Paris, sollicita M. legarde des sceaux (1-784) de vouloir bien écrire, en sa faveui", un mot qui lui feraitgagner un procès très-juste ; le garde des sceaux la refusa. La comtesse Talley-rand prenait intérêt à cette femme ; elle en parla au garde des sceaux : nouveaurefus. i*Iadame de Talleyrand en fit parler par la reine; autre relus. Madame deTalleyrand se souvint que le garde des sceaux caressait beaucoup l’abbé dePérigord, son fils; elle fit écrire par lui : refus très-bien 28 OEUVREStourné. Cette femme, désespérée, résolut de faire une tentative, et d’aller àVersailles. Le lendemain, elle part; l’incommodité de la voiture publique l’engage àdecendre à Sèvres, et à faire le reste de la route à pied. Un homme lui offre de lamener par un chemin plus agréable et qui abrège ; elle accepte, et lui conte sonhistoire. Cet homme lui dit : « Vous aurez demain ce que vous deman- dez. » Elle leregarde, et reste confondue. Elle va chez le garde des sceaux, est refusée encore,veut partir. L’homme l’engage à coucher à Versailles ; et, le lendemain matin, luiapporte le papier qu’elle demandait. C’était un commis d’un com- mis, nommé M.Etienne.— Le duc de la Vallière, voyant à l’Opéra la petite Lacour sans diamans,s’approche d’elle, et lui demande comment cela se fait. « C’est, lui dit- elle, que lesdiamans sont la croix de Saint-Louis de notre état». Sur ce mot, il devint amoureuxfou d’elle. Il a vécu avec elle long-temps. Elle le subjuguait par les mêmes moyensqui réussirent à madame Dubarry près de Louis xv. Elle lui ôtait son cordon bleu, lemettait à terre, et lui disait : « Mets-toi à genoux là - dessus, vieille ducaille. »— Un joueur fameux, nommé Sablière, venait d’être arrêté. Il était au désespoir, etdisait à Beau- marchais, qui voulait l’empêcher de se tuer : « Moi, arrêté pour deuxcents louis ! abandonné par tous mes amis ! C’est moi qui les ai formés, qui leur DI-; en AM FORT. 29ai appris à friponner. Sans moi, que seraient B...., D...., N....? (Ils vivent tous ). Enfin,mon- sieur, jugez de l’excès de mon avilissement : pour vivre, je suis espion depolice.»— Un banquier anglais, nommé Ser ou Sair, fut accusé d’avoir fait une conspirationpour en- lever le roi (George m ), et le transporter à Phi- ladelpliie. Amené devantses juges, il leur dit : « Je sais très-bien ce qu’un roi peut faire d’un banquier, maisj’ignore ce qu’un banquier peut faire d’un roi.»— On disait au satirique anglais Donne : «Tonnez sur les vices ; mais ménagez lesvicieux. — ■ Com- ment, dit-il, condanmer les cartes, et pardonner aux escrocs ? »— On demandait à M. de Lauzun ce qu’il répon- drait à sa femme (qu’il n’avait pasvue depuis dix ans), si elle lui écrivait : « Je viens de découvrir que je suis grosse.»Il réfléchit, et répondit : « Je lui écri- rais : je suis charmé d’apprendre que le ciel aitenfin béni notre union; soignez votre santé; j’irai vous faire ma cour ce soir. »— Madame de IL... me racontait la mort de M. le duc d’Aumont, « Cela a tournébien court, disait-elle ; deux jours auparavant, M. Bouvard lui avait permis demanger, et le jour même de sa mort, deux heures avant la récidive de sa para- lysie,il était comme à trente ans, comme il avait été toute sa vie ; il avait demandé sonperroquet, avait dit : Brossez ce fauteuil, voyons mes deux JO OEUVRESbroderies nouvelles, enfin, toute sa tète, ses idées comme à l’ordinaire. »— M...., qui, après avoir connu le monde, prit le parti de la solitude, disait, pour sesraisons, qu’après avoir examiné les conventions de la so- ciété dans le rapport qu’ily a de l’homme de qua- lité à l’homme vulgaire, il avait trouvé que c’était un marchéd’imbécile et de dupe. «J’ai ressemblé, ajoutait-il, à un grand joueur d’échecs, quise lasse déjouer avec des gens auxquels il faut don- ner la dame. On jouedivinement, on se casse la tête, et on finit par gagner un petit écu. »— • Un courtisan disait, à la mort de Louis xiv : « Après la mort du roi, on peut toutcroire. »— J.-J. Rousseau passe pour avoir eu madame la comtesse de Bouflers, et même
(qu’on me passe ce terme ) pour l’avoir manquée : ce qui leur donna beaucoupd’humeur l’un contre l’au- tre. Un jour, on disait devant eux que l’amour du genrehumain éteignait l’amour de la patrie. «Pour moi, dit-elle, je sais, par mon exemple,et je sens que cela n’est pas vrai; je suis très-bonne Française, et je ne m’intéressepas moins au bon- heur de tous les peuples. — Oui, je vous entends, dit Rousseau,vous êtes Française par votre buste, et cosmopolite du reste de votre per- sonne, »— La maréchale de Noailles, actuellement vi- vante ( I ’780), est une mystique,comme madame Guyon, à l’esprit près. Sa tète s’était montée au DE CIIAMFORT.l3point d’écrire à la vierge. Sa lettre fut mise dans le tronc de l’église Saint-Roch ; etla réponse à cette lettre fut faite par un prêtre de cette paroisse. Ce manège duralong-temps : le prêtre fut décou- vert et inquiété; mais on assoupit celte affaire.— Un jeune homme avait offensé le complai- sant d’un ministre. Un ami, témoin dela scène, lui dit, après le départ de l’offensé: «Apprenez qu’il vaudrait mieux avoiroffensé le ministre même, que l’iiomme qui le suit dans sa garde- robe. »— Une des maîtresses de M. le régent lui ayant parlé d’affaires dans un rendez-vous, il parut l’écouter avec attention : « Croyez-vous, lui ré- pondit-il, que lechancelier soit une bonne jouis- sance ? »— M. de, qui avait vécu avec des prin- cesses, me disait : « Croyez-vous que M. deL.... ait madame de S...?» Je lui répondis : «Il n’en a pas même la prétention; il sedonne pour ce qu’il est, pour un libertin, un homme qui aime les filles par-dessustout. — Jeune homme, me ré- pondit-il, n’en soyez pas la dupe ; c’est avec celaqu’on a des reines. »— M. de Stainville, lieutenant-général, venait de faire enfermer sa femme. M. deVaubecourt, maréchal de camp, sollicitait un ordre pour faire enfermer la sienne. Ilvenait d’obtenir l’ordre, et sortait de chez le ministre avec un air triom- phant. M. deStainville, qui crut qu’il venait 02 OEUVRESd’être nommé lieutenant-général, lui dit devant beaucoup de monde : « Je vousfélicite, vous êtes sûrement des nôtres. »— L’Ecluse, celui qui a été à la tête des Variétés amusantes racontait que, toutjeune et sans for- tune, il arriva à Lnnéville, où il obtint la place de dentiste du roiStanislas, précisément le jour où le roi perdit sa dernière dent.— On assure que Madame de Montpensier, ayant été quelquefois obligée, pendantl’absence de ses dames, de se faire remettre im soulier par quelqu’un de sespages, lui demandait s’il n’avait pas eu quelque tentation. Le page répondait qu’oui.La princesse, trop honnête pour profiter de cet aveu, lui donnait quelques louis pourle mettre en état d’aller chez quelque fille perdre la tentation dont elle était la cause.— M. de JMarville disait qu’il ne pouvait y avoir d’honnête homme à la police, que lelieu- tenant de police tout au plus.— Quand le duc de Choiseul était content d’un maître de poste par lequel il avaitété bien mené, ou dont les enfants étaient jolis, il lui di- sait: « Combien paie-t-on ?Est-ce poste ou poste et demie, de votre demeure à tel endroit? — Poste,monseigneur. — Eh bien ! il y aura désormais poste et demie. » La fortune dumaître de poste était faite.— Madame de Prie, maîtresse du régent, di- rigée par son père, un traitant,nommé, je crois, DE CIIAMFORT. 33Pleiicuf, avait fait un accaparement de blé, qui avait mis le peuple au désespoir, etenfin causé un soulèvement. Une compagnie de mousque- taires reçut ordre d’allerappaiser le tumulte; et leur chef", M. d’Avejan, a\ait dans ses instruc- lions de tirersur la canaille : c’est ainsi qu’on désignait le p. uple en France. Cet honnête hom-me se fit ime peine de faire feu sur ses conci- toyens; et voici comme il s’y prit pourremplir sa commission. Il fit faire tous les apprêts d’une salve.demousqueterie;etavant de dire : tirez, i\ s’avança vers la foule, tenant d’une main son cha- peau, et del’autre l’ordre de la cour. « Messieurs, dit-il, mes ordres portent de tirer sur lacanaille. Je prie tous les honnêtes gens de se retirer, avant que j’ordonne de fairefeu. » Tout s’enfuit et dis- parut.— C’est un fait connu que la lettre du roi, en- voyée à M. de Maurepas, avait étéécrite pour M. de Machault. On sait quel intérêt particulier fit changer cettedisposition; mais ce qu’on ne sait point, c’est que M. de IMaurepas escamota, pour
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