Illusions perdues. 2. Un grand homme de province à Paris
Balzac
Etudes de moeurs. 2e livre. Scènes de la vie de
province. T. 4. Illusions perdues. 2. Un grand homme
de province à Paris
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Adaptation d'un texte électronique provenant de la Bibliothèque Nationale de France :
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Ni Lucien, ni madame de Bargeton, ni Gentil, ni Albertine, la femme de chambre, ne parlèrent jamais
des événements de ce voyage ; mais il est à croire que la présence continuelle des gens le rendit fort
maussade pour un amoureux qui s'attendait à tous les plaisirs d'un enlèvement. Lucien, qui allait en poste
pour la première fois de sa vie, fut très−ébahi de voir semer sur la route d'Angoulême à Paris presque toute la
somme qu'il destinait à sa vie d'une année. Comme les hommes qui unissent les grâces de l'enfance à la force
du talent, il eut le tort d'exprimer ses naïfs étonnements à l'aspect des choses nouvelles pour lui. Un homme
doit bien étudier une femme avant de lui laisser voir ses émotions et ses pensées comme elles se produisent.
Une maîtresse aussi tendre que grande sourit aux enfantillages et les comprend ; mais pour peu qu'elle ait de
la vanité, elle ne pardonne pas à son amant de s'être montré enfant, vain ou petit. Beaucoup de femmes
portent une si grande exagération dans leur culte, qu'elles veulent toujours trouver un dieu dans leur idole ;
tandis que celles qui aiment un homme pour lui−même avant de l'aimer pour elles, adorent ses petitesses
autant que ses grandeurs. Lucien n'avait pas encore deviné que chez madame de Bargeton l'amour était greffé
sur l'orgueil. Il eut le tort de ne pas s'expliquer certains sourires qui échappèrent à Louise durant ce voyage,
quand, au lieu de les contenir, il se laissait aller à ses gentillesses de jeune rat sorti de son trou.
Les voyageurs débarquèrent à l'hôtel du Gaillard−Bois, rue de l'Echelle, avant le jour. Les deux amants
étaient si fatigués l'un et l'autre, qu'avant tout Louise voulut se coucher et se coucha, non sans avoir ordonné à
Lucien de demander une chambre au−dessus de l'appartement qu'elle prit. Lucien dormit jusqu'à quatre
heures du soir. Madame de Bargeton le fit éveiller pour dîner, il s'habilla précipitamment en apprenant
l'heure, et trouva Louise dans une de ces ignobles chambres qui sont la honte de Paris, où, malgré tant de
prétentions à l'élégance, il n'existe pas encore un seul hôtel où tout voyageur riche puisse retrouver son chez
soi. Quoiqu'il eût sur les yeux ces nuages que laisse un brusque réveil, Lucien ne reconnut pas sa Louise dans
cette chambre froide, sans soleil, à rideaux passés, dont le carreau frotté semblait misérable, où le meuble
était usé, de mauvais goût, vieux ou d'occasion. Il est en effet certaines personnes qui n'ont plus ni le même
aspect ni la même valeur, une fois séparées des figures, des choses, des lieux qui leur servent de cadre. Les
physionomies vivantes ont une sorte d'atmosphère qui leur est propre, comme le clair−obscur des tableaux
flamands est nécessaire à la vie des figures qu'y a placées le génie des peintres. Les gens de province sont
presque tous ainsi. Puis madame de Bargeton parut plus digne, plus pensive qu'elle ne devait l'être en un
moment où commençait un bonheur sans entraves. Lucien ne pouvait se plaindre : Gentil et Albertine les
servaient. Le dîner n'avait plus ce caractère d'abondance et d'essentielle bonté qui distingue la vie en
province. Les plats coupés par la spéculation sortaient d'un restaurant voisin, ils étaient maigrement servis, ils
sentaient la portion congrue. Paris n'est pas beau dans ces petites choses auxquelles sont condamnés les gens
à fortune médiocre. Lucien attendit la fin du repas pour interroger Louise dont le changement lui semblait
inexplicable. Il ne se trompait point. Un événement grave, car les réflexions sont les événements de la vie
morale, était survenu pendant son sommeil.
Sur les deux heures après midi, Sixte du Châtelet s'était présenté à l'hôtel, avait fait éveiller Albertine,
avait manifesté le désir de parler à sa maîtresse, et il était revenu après avoir à peine laissé le temps à madame
de Bargeton de faire sa toilette. Anaïs dont la curiosité fut excitée par cette singulière apparition de monsieur
du Châtelet, elle qui se croyait si bien cachée, l'avait reçu vers trois heures.
− Je vous ai suivie en risquant d'avoir une réprimande à l'Administration, dit−il en la saluant, car je
prévoyais ce qui vous arrive. Mais dussé−je perdre ma place, au moins vous ne serez pas perdue, vous !
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− Que voulez−vous dire ? s'écria madame de Bargeton.
− Je vois bien que vous aimez Lucien, reprit−il d'un air tendrement résigné, car il faut bien aimer un
homme pour ne réfléchir à rien, pour oublier toutes les convenances, vous qui les connaissez si bien !
Croyez−vous donc, chère Naïs adorée, que vous serez reçue chez madame d'Espard ou dans quelque salon de
Paris que ce soit, du moment où l'on saura que vous vous êtes comme enfuie d'Angoulême avec un jeune
[" de Chandour " dans les éditionshomme, et surtout après le duel de monsieur de Bargeton et de monsieur Chandour
antérieures. Omission ou correction ? il est difficile de trancher.] ? Le séjour de votre mari à l'Escarbas a l'air d'une séparation.
En un cas semblable, les gens comme il faut commencent par se battre pour leurs femmes, et les laissent
libres après. Aimez monsieur de Rubempré, protégez−le, faites−en tout ce que vous voudrez, mais ne
demeurez pas ensemble ! Si quelqu'un ici savait que vous avez fait le voyage dans la même voiture, vous
seriez mise à l'index par le monde que vous voulez voir. D'ailleurs, Naïs, ne faites pas encore de ces sacrifices
à un jeune homme que vous n'avez encore comparé à personne, qui n'a été soumis à aucune épreuve, et qui
peut vous oublier ici pour une Parisienne en la croyant plus nécessaire que vous à ses ambitions. Je ne veux
pas nuire à celui que vous aimez, mais vous me permettrez de faire passer vos intérêts avant les siens, et de
vous dire : " Etudiez−le ! Connaissez bien toute l'importance de votre démarche. " Si vous trouvez les
portes fermées, si les femmes refusent de vous recevoir, au moins n'ayez aucun regret de tant de sacrifices, en
songeant que celui auquel vous les faites en sera toujours digne, et les comprendra. Madame d'Espard est
d'autant plus prude et sévère qu'elle−même est séparée de son mari, sans que le monde ait pu pénétrer la
cause de leur désunion ; mais les Navarreins, les Blamont−Chauvry, les Lenoncourt, tous ses parents l'ont
entourée, les femmes les plus collet−monté vont chez elle et l'accueillent avec respect, en sorte que le
marquis d'Espard a tort. Dès la première visite que vous lui ferez, vous reconnaîtrez la justesse de mes avis.
Certes, je puis vous le prédire, moi qui connais Paris : en entrant chez la marquise vous seriez au désespoir
qu'elle sût que vous êtes à l'hôtel du Gaillard−Bois avec le fils d'un apothicaire, tout monsieur de Rubempré
qu'il veut être. Vous aurez ici des rivales bien autrement astucieuses et rusés qu'Amélie, elles ne manqueront
pas de savoir qui vous êtes, où vous êtes, d'où vous venez, et ce que vous faites. Vous avez compté sur
l'incognito, je le vois ; mais vous êtes de ces personnes pour lesquelles l'incognito n'existe point. Ne
rencontrerez−vous pas Angoulême partout ? c'est les Députés de la Charente qui viennent pour l'ouverture
des Chambres ; c'est le Général qui est à Paris en congé ; mais il suffira d'un seul habitant d'Angoulême qui
vous aperçoive pour que votre vie soit arrêtée d'une étrange manière : vous ne seriez plus que la maîtresse de
Lucien. Si vous avez besoin de moi pour quoi que ce soit, je suis chez le Receveur−Général, rue du Faubourg
Saint−Honoré, à deux pas de chez madame d'Espard. Je connais assez la maréchale de Carigliano, madame
de Sérizy et le Président du Conseil pour vous y présenter ; mais vous verrez tant de monde chez madame
d'Espard, que vous n'aurez pas besoin de moi. Loin d'avoir à désirer d'aller dans tel ou tel salon, vous serez
désirée dans tous les salons.
Du Châtelet put parler sans que madame de Bargeton l'interrompît : elle était saisie par la justesse de
ces observations. La reine d'Angoulême avait en effet compté sur l'incognito.
− Vous avez raison, cher ami, dit−elle ; mais comment faire ?
− Laissez−moi, répondit Châtelet, vous chercher un appartement tout meublé, convenable ; vous
mènerez ainsi une vie moins chère que la vie des hôtels, et vous serez chez vous ; et, si vous m'en croyez,
vous y coucherez ce soir.
− Mais comment avez−vous connu mon adresse ? dit−elle.
− Votre voiture était facile à reconnaître, et d'ailleurs je vous suivais. A Sèvres, le postillon qui vous a
menée a dit votre adresse au mien. Me permettrez−vous d'être votre maréchal−des−logis ? je vous écrirai
bientôt pour vous dire où je vous aurai cas