Un soir d'orage, un mystérieux homme vient à Suès, en Provence, chez le Père Jean-Baptiste Bonnefoy pour lui demander de l'aide. Le cavalier a chevauché plusieurs jours pour lui remettre un pli de l'évêque de Limoges et pour lui exposer sa requête : celle de retrouver son cousin et notaire Charles Bosset. La disparition du cousin de Jean Fressac va être le mobile de l'enquête que va mener le Père Bonnefoy dans la région de Guéret. En effet, le notaire de Toussaint-Mallabry semble bel et bien avoir disparu depuis plus d'un an. Notre prêtre va se rendre dans ce mystérieux village où la vie s'étale et s'exalte sous ses yeux... Seul son cimetière semble à l'abandon et colonisé par les ronces... On ne mourait donc plus à Toussaint-Mallabry ?
L'homme Marigot
1L'homme Marigot
2L'homme Marigot
Luc Comptone
L’homme Marigot
2010
3L'homme Marigot
4L'homme Marigot
Chapitre I
L’âtre de la cheminée était illum iné
d’une lumière vive et rougeoyante. Plus
tôt dans la soirée, Magdeleine, ma
servante, l’approvisionna en bois de
chêne. Attablé dans la grand-pièce, je
regardai le bois se consumer. Huit heures
du soir venaient de sonner au cari l;l on
j’attendai, comme tous les soirs à la
même heure, que cette très chè re
Magdeleine me présenta son dîner du
jour. Quoiqu’en rentrant de la paroisse
après les vêpres, je me doutai par ava nce
de la pitance qui m’attendait – mijot ant
dans le chaudron suspendu au cœur de la
cheminée de la cuisine.
5L'homme Marigot
Passant à proximité du potager et de la
basse-cour, je remarquai le ramassis
d’ossements décharné qui attendait
César, mon vieux jardinier, afin d’être
mélangé à la terre pour l’engraisser. Ce
soir là, en l’occurrence, une forte ode ur
de poireaux me laissa entrevoir la
perspective d’un délicieux potage
parfumé de quelques herbes que
Magdeleine eut recueillies à la fin de
l’été sur les proches hauteurs boisées ou
en quelques endroits des garrigues de
1Suès .
La lumière émise par les bougi es
du chandelier, posé sur la table, tranc ha
1 Hameau de Lambesc, dans les Bouches-du-Rhône actuelles.
6L'homme Marigot
avec celle produite de façon beauc oup
plus intense par le foyer de la cheminée.
L’orage gronda au loin, le temps
allait probablement se couvrir. Dans le
couloir, j’entendis les pas de Magdeleine
se rapprocher de plus en plus. Elle
poussa doucement, de son sabot gauc he,
la porte qui était restée entrebâillée. Le
grincement des gonds de l’huis e t
l’ouverture complète de celle-ci me
laissa voir la silhouette de ma je une
servante. Elle tenait dans ses mains la
vieille soupière qui avait déjà servi à
mon prédécesseur et à sa vieille bonne .
À voir ce service désuet, je compris que
l’Homme n’était pas éternel sur ce tte
7L'homme Marigot
terre, et qu’il avait probablement plus de
chance de nous survivre.
De façon la plus respectueuse qu 'il
ait été ; Magdeleine déposa la soupi ère
fumante sur la table. Elle sa isit
délicatement mon assiette puis, avec la
louche, me servit copieusement. Penda nt
ce court instant et, comme à
l’accoutumée depuis deux ans, elle n’o sa
m’adresser la parol e; elle se recula de
deux pas, le visage et le regard rivé s au
sol. Enfin une voix douce et timide , à
peine audible s’échappa de sa bouche.
— « Désirez-vous que je vous apport e
autre chose, Père Jean-Baptiste ? ». Je la
regardai là, immobile, debout, se te nant
8L'homme Marigot
sur ma droite. Cette jeune paysanne
brune aux cheveux longs portait en gui se
de coiffe une charlotte en lin. S es
épaules étaient recouvertes d’un vieux
chandail de laine rouge. Sur sa robe de
toile blanche, couverte à partir de la
taille et jusqu’aux chevilles, tombait une
longue étole réalisée en boutis, dans le
plus pur style du Pays.
Je me rappelai ma rencontre avec celle-
ci ; lorsque César m’eut emmené jusqu’à
Lambesc à dos de mulet pour pre ndre
une diligence pour Mallemort – pays de
mes aïeuls – afin de rendre visite à mon
confrère, le curé de cette paroisse.
9L'homme Marigot
Après une heure de route à travers les
collines séparant les terroirs de Lambe sc
et de Cazan, je vis cette jeune femme en
larmes demandant la charité et tena nt
dans ses bras le corps inanimé de son
enfant. Elle courut tant bien que m al à
hauteur de notre voiture et nous impl ora
le secours. Je frappai alors deux forts
coups de poings sur le plafond de la
diligence pour demander au voiturier de
s’arrêter. Malgré ses protestations et
celles de deux des trois voyageurs qui
furent en ma compagni ;e je descendi s
du carrosse. Magdeleine vint vers m oi
précipitamment en me tendant le corps
de son enfant. Elle allait tomber lors que
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