Le différend Pasteur/Bernard Un débat de clôture pour la ... - GREPH
11 pages
Français

Le différend Pasteur/Bernard Un débat de clôture pour la ... - GREPH

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
11 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

  • redaction
  • leçon - matière potentielle : sur les phénomènes de la vie commun
  • leçon - matière potentielle : sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux
  • leçon - matière potentielle : durable
  • leçon - matière potentielle : sur les phénomènes de la vie communs
  • leçon - matière potentielle : proftable
  • exposé - matière potentielle : pasteur
  • exposé
In La biologia : parametro epistemologico del XIX secolo, A cura di Maria Donzelli, Liguori Editore, 2003. Le différend Pasteur/Bernard Un débat de clôture pour la biologie du XIXème siècle ? par Jacques MICHEL Peut-on réellement parler de rivalité entre Louis Pasteur et Claude Bernard ? Ne s'agit-il pas là d'un montage commode pour représenter par des fgures emblématiques qu'on rendra excessives ou unilatérales, voire exclusives l'une de l'autre, un espace scientifque historiquement plus complexe et moins bien délimité — plus hésitant — que ne le laissent supposer des lignes de fractures soulignées, approfondies, voire cultivées et entretenues par des disciples et
  • règles immuables de la vraie méthode expérimentale
  • déterminisme physico-chimique
  • vrais principes de l'expérimentation
  • phénomènes de mort et de destruction
  • principes de médecine expérimentale
  • expériences identiques en pays d'arbois
  • pasteur
  • pasteurs
  • vies
  • vie
  • recherches
  • recherche

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 52
Langue Français

Extrait

InLa biologia : parametro epistemologico del XIX secolo, A cura di Maria Donzelli, Liguori Editore, 2003.
Le différend Pasteur/Bernard Un débat de clôture pour la biologie du XIXèmesiècle ? par Jacques MICHEL
Peut-on réellement parler de rivalité entre Louis Pasteur et Claude Bernard ? Ne s'agit-il pas là d'un montage commode pour représenter par des fgures emblématiques qu'on rendra excessives ou unilatérales, voire exclusives l'une de l'autre, un espace scientifque historiquement plus complexe et moins bien délimité — plus hésitant — que ne le laissent supposer des lignes de Fractures soulignées, approFondies, voire cultivées et entretenues par des disciples et élèves désireux d'écoles identitaires ? Il est toujours tentant de simplifer l'histoire, de vouloir y retrouver des combats et des batailles avec leurs vainqueurs et leurs vaincus, de montrer que telle victoire n'était qu'apparente ou provisoire et que telle déFaite ponctuelle cachait en réalité une leçon durable qui ne pouvait comme telle se parer des attributs trop visibles du succès populaire.
Dans son hommage à Claude Bernard, Etienne WolFF rappelait en 1978 les appréciations portées par les continuateurs de l'œuvre du Fondateur de la physiologie ; ainsi Paul Bert en 1886 : « Depuis huit ans le maître n'est plus. La critique de ses rivaux, celle de ses élèves même, a pu s'exercer en toute liberté. Or aucun de ses travaux n'a été entamé ; son œuvre reste entière, intacte et debout ». Quelques années plus tard, Dastre, tout aussi élogieux que Paul Bert, produit une appréciation qui approFondit et localise le jugement :
http://greph.univ-lyon2.Fr/
1
Depuis la mort de Claude Bernard, seize années se sont écoulées, le temps qu'une génération succède à une autre ; mais surtout deux révolutions se sont accomplies, les plus profondes qui aient jamais changé la face des choses, révolutions que résument les noms illustres de Darwin et de Pasteur. Et cependant ce long espace de temps et ces grands changements n'ont altéré en 1 rien l'œuvre du maître ... L'édiFce est debout, intact.
Ces phrases de Dastre, rappelées par Etienne WolFF, nous semblent inaugurer un rapport à Claude Bernard qui est probablement souvent encore le nôtre et qui signife une Forme de respect Fort diFFérente de celle que nous prodiguons à Pasteur, le bienFaiteur de l'humanité. Comme si la révolution pastorienne se situait dans le registre des Faits strictement historiques, nécessaires mais passagers, décisiFs mais cernables y compris sociologiquement et économiquement, tandis que la révolution bernardienne — elle aussi décisive — devrait être estimée diFFéremment, selon des catégories plus proFondes, moins aléatoires, plus durables. Ne parle-t-on pas d'ailleurs volontiers de la philosophie de Claude Bernard et avec beaucoup plus de diFfcultés de celle de Pasteur ? Comme l'écrit Jean-Claude Beaune, « Pasteur, homme de la prévision et du calcul a pris une dimension quelque peu légendaire de philosophe-missionnaire alors que Bernard, qui se voulait explicitement un enseignant et un philosophe 2 des sciences est considéré comme l'expérimentateur Froid, Fermé sur son laboratoire ». À ces représentations d'ordre intellectuel s'ajoutent aussi des images qui simplifent encore les choses. De Bernard nous est transmis le portrait valorisant d'un homme aFFectivement complexe, torturé, tandis que Pasteur nous paraît avoir vécu dans l'évidence indiscutée de sa vie Familiale et sociale. Sont ainsi obtenus deux styles et deux fgures sur lesquels il est assez tentant de greFFer deux options, deux points de vue quant à l'abord des phénomènes de la vie entendue cette Fois de manière strictement biologique. De cette diFFérence entre les deux savants l'iconographie elle-même témoigne. Aux mises en scène très populaires d'un Pasteur attentiF et avenant, posant volontiers avec des proches qu'ils soient des membres de sa Famille ou des malades, s'opposent les portraits d'un Claude Bernard incarnant avec les insignes de ses Fonctions un savoir imposant et presque mystérieux. Proximité du premier, distance du second ; on peut aimer et admirer Pasteur, on doit respecter Bernard. Plus exactement il y a là deux Formes de distance : une distance technique Faite de savoir positiF, de découvertes tangibles et manipulables, concrètes et eFfcaces, fnalement Facilement transmissibles à des élèves certes excellents mais nombreux caractérise l'autorité de Pasteur, tandis que l'aura bernardienne plus subtile ne semble devoir
1  E. WolFF, « L'œuvre de Claude Bernard replacée dans son temps», in AA.VV.,Hommage à Claude Bernard,Institut de rance, Paris 1978, p. 31-32.
2  J-C. Beaune, « La notion de pathologique chez Claude Bernard », in AA.VV.,La Nécessité de CIaude Bernard, sous la direction de J. Michel, Méridiens-Klincksieck, Paris 1991, p. 290. De même, cF. R. Mornex, « Le rayonnement de l'œuvre de Pasteur et de Bernard…», inidem155-159., pp.
http://greph.univ-lyon2.Fr/
2
être perçue que par de rares disciples disposant d'un esprit de fnesse plus exigeant. Dans ce dispositiF tout se passe fnalement comme si les triomphes maniFestes de Pasteur devaient être examinés dans le cadre d'une juridiction bernardienne chargée de les estimer, comme si les réponses de Pasteur devaient rester en deçà des questions de Bernard, les premières ne pouvant qu'augmenter la grandeur des secondes.
Anne-Marie Moulin a montré que cette opposition se loge dans une dialectique du court et du long terme. « Le pastorisme inspire une nouvelle médecine scientifque, le bernardisme propose une science qui tiendrait lieu de médecine. Deux démarches Fondamentalement diFFérentes : il s'agit d'un conit dont la clé tient au rapport du théorique 3 et du pratique, breF une diFFérence proprement philosophiques. » On pourrait certes discuter ici car pour Bernard la médecine reste un art éclairé mais il est bien vrai que Pasteur a d'abord lui-même respectueusement placé ses recherches sous l'autorité du physiologiste et que c'est seulement par la suite que ses travaux l'ont amené à s'éloigner des thèses d'un maître qu'il aurait pourtant souhaité pouvoir conserver.
Louanges et reproches
4 L'examen critique d'un écrit posthume de Claude Bernard sur la fermentation, que Louis Pasteur publie en 1879, retrace de manière dramatique l'histoire de la relation entre les deux savants. C'est donc l'année qui suit celle de la mort du physiologiste que Pasteur estime être dans l'obligation de réFuter publiquement des thèses de Claude Bernard que celui-ci n'avait pourtant pas prévu de publier. Ces notes, on le sait, avaient été retrouvées par d'Arsonval et c'est Berthelot qui estima (peut-être perfdement ?) opportun de les Faire connaître. Pour Pasteur l'aFFaire est d'importance car il considère que les dernières expériences de Bernard Faites à Saint-Julien en Beaujolais sont Fort critiquables. Pour lui elles débouchent sur une réactivation de la théorie des générations spontanées qui est sa bête noire, ainsi que sur la négation de sa Fameuse Formule : « la Fermentation c'est la vie sans air ».
Dans cet écrit, Pasteur prend soin de Faire précéder sa réFutation de la reproduction d'un article de 1866 où il avait alors voulu maniFester sa déFérence envers Claude Bernard. Il veut ainsi montrer clairement que son but n'est pas d'abattre un rival qui n'est plus là pour se déFendre et que son seul souci est d'exposer librement les termes d'un débat scientifque décisiF. En dépit de ces précautions on doit bien constater que la vigueur de l'exposé de Pasteur outrepasse bien souvent les exigences de la rigueur démonstrative et que ses jugements aFFectent la personne même de Claude Bernard. La publication ensemble par Pasteur de ses deux écrits ne Fait que maniFester un contraste saisissant entre le panégyrique de 1866 et l'âpre exposé de 1879.
3 A-M. Moulin,La tradition bernardienne en médecine : triomphe ou déclin, inidem, p. 275.
4 InŒuvres de Pasteur,réunies par Pasteur Valléry-Rador, Masson, Paris 1922, t. 2, pp. 486-551.
http://greph.univ-lyon2.Fr/
3
En 1866, Pasteur se déclare débiteur de Claude Bernard, de ses travaux comme de sa méthode. L'année précédente ce dernier avait Fait paraître son maître ouvrage :L'introduction à la médecine expérimentale. Dans ce travail le physiologiste tirait les leçons de plus de vingt années de recherche couronnées de succès et sanctionnées par ses nominations à la aculté des sciences et au Collège de rance. À cette époque Pasteur a déjà obtenu une haute reconnaissance scientifque et n'a nul besoin de s'attirer un surcroît de considération. L'éloge qu'il Fait de Claude Bernard est donc parFaitement sincère en dépit d'un style que l'on pourrait croire courtisan. Mais il Faut voir qu'il sort à peine d'une vive polémique avec Pouchet sur la question des générations spontanées et qu'en rendant hommage à Claude Bernard il saisit une occasion de retrouver l'amicale sincérité d'une vraie communauté scientifque représentée précisément par Claude Bernard. D'ailleurs Louis Pasteur a déjà de Claude Bernard la reconnaissance scientifque qu'il mérite. Celui-ci n'a-t-il pas contribué en 1859 à lui Faire obtenir le prix de physiologie expérimentale de l'Académie des Sciences pour ses travaux sur la structure de l'acide tartrique. Bernard a salué « la tendance physiologique » de ses recherches et a souligné ses qualités « d'habile expérimentateur » qui s'avère être un virtuose dans l'art de révéler les propriétés d'une chimie organique certes particulière mais non exceptionnelle, non séparée. Certes, à lire le rapport de Bernard sur les travaux du candidat Louis Pasteur – et en dépit de sa conclusion élogieuse – on pourra relever des signes de prudence, spécialement sur la nature des Ferments (« substances organisées ou seulement organiques » ?); on pourra donc, 5 connaissant nous l'avenir, toujours y voir les germes d'un diFFérend . Or, Claude Bernard a bel et bien approuvé le champ de la recherche de Pasteur et légitimé des travaux jugés pertinents et même attendus par la physiologie. Qui plus est, le Fondateur de cette physiologie toute récente a porté une très Forte attention aux autres communications de Pasteur sur la dissymétrie moléculaire ainsi qu'à ses expériences sur la vie en anaérobiose. De plus, Bernard 6 et Pasteur ont même travaillé ensemble sur le choléra. En breF, en 1866, Pasteur a toutes les raisons d'être convaincu de l'harmonie de ses recherches avec celles de Claude Bernard et d'en être fer. Relevons ainsi parmi d'autres louanges : « les démonstrations de Claude Bernard ont la clarté et la rigueur des sciences physiques et chimiques » ; « si (le Collège de rance) n'existait pas, ce n'est pas exagérer de dire que la méthode suivie par M. Claude Bernard pourrait donner l'idée de sa Fondation » ; « on n'a rien écrit de plus lumineux, de plus complet, de plus proFond sur les vrais principes de l'expérimentation ». Et considérant la démonstration bernardienne de la Fonction glycogénique du Foie, Pasteur l'élève au rang de modèle dans l'administration des preuves et
5 Idem, pp. 624-627.
6  Sur ces pointscf.Bernard et Pasteur, profls parallèles », in A. Delaunay, « Claude Publication de l'Association des anciens élèves de l'Institut Pasteur16-26. Sur l'efectivité de la102, pp. , 1984, n° collaboration de Bernard aux travaux de la Commission sur le choléra, cF. D. Wrotnowska, Claude Bernard et Pasteur », inHistoire des sciences, n° 1, 1979, pp. 25-32.
http://greph.univ-lyon2.Fr/
4
souligne l'admirable Faculté de Claude Bernard à « se dégager de tout esprit de système », à se rendre disponible pour de vraies découvertes, « à se placer en dehors des idées reçues ».
Le ton change du tout au tout en 1879. Pasteur prend certaines précautions : il rappelle sa confance précédente envers Bernard, il publie les lettres chaleureuses que celui-ci lui avait adressées, il souligne que sa réFutation ne remettra pas en cause la grandeur du physiologiste, il envisage même que ce dernier a pu chercher à « détruire » — nous dirions aujourd'hui à tester— sa propre théorie. Mais ces remarques initiales bienveillantes ne semblent là que pour mieux Fonder un jugement très dur. « Prenez la Note du début, écrit Pasteur, et vous lirez aisément entre les lignes que Bernard ne va pas se livrer à une recherche libre, mais plutôt à la constatation de résultats hypothétiques, déduits d'opinions préconçues ou suggérées par des expériences inFormes auxquelles un système trompeur mêle ses illusions ». Et l'auteur pour fnir de durcir encore son propos par une remarque indulgente perfdement charitable : « À qui a-t-il été donné de parcourir avec honneur et courage une longue carrière sans quelque déFaillance momentanée ? ».
Ce que ne sait pas Pasteur au moment où il publie sa réFutation c'est que Bernard, quelques années avant, en Février 1877, lui avait adressé des reproches identiques alors qu'il entreprenait la rédaction d'un nouveau plan pour sesPrincipes de médecine expérimentale. Dans cet écrit le physiologiste désigne Pasteur lui-même pour représenter ceux qui, abandonnant la poursuite des observations se trouvent « livrés à toutes les erreurs que peut enFanter l'esprit de système ». Se défnissant lui-même par contraste, Claude Bernard écrit :
Pasteur suit ses idées et il veut y soumettre les faits, moi, je suis les faits et je cherche à en faire sortir des idées sans violence et d'elles-mêmes. Pasteur veut diriger la nature; moi, je me laisse diriger par elle ; je la suis… Moi, je suis le secrétaire de la nature. Pasteur et les a prioristes 7 veulent lui dicter ses réponses selon leurs idées.
De manière Frappante, le jugement de Pasteur emprunte les mêmes arguments :
En octobre 1877, écrit-il, Claude Bernard avait en quelque sorte fait table rase de ces règles immuables de la vraie méthode expérimentale, qu'il avait cependant, lui aussi, à tant de reprises, exposées avec éloquence et appliquées avec rigueur… Je crois pouvoir dire… qu'il ne reste du manuscrit de Bernard qu'une tentative stérile de substituer à des faits bien établis les 8 déductions d'un système éphémère.
7  C. Bernard,Principes de médecine expérimentaleXXV-XXVI., P.U.., Paris, 1947, in PréFace, pp.
8  Pasteur,Œuvres,cit., t. 2, pp. 550-551.
http://greph.univ-lyon2.Fr/
5
Les méfaits de l'esprit de système
Bernard et Pasteur s'accusent donc mutuellement d'être victimes de l'esprit de système. C'est le statut de l'hypothèse en matière d'expérimentation qui est en jeu. Pour chacun des deux savants les conclusions de l'autre ne sont pas des généralisations légitimes mais en réalité des préjugés. Tous les deux semblent se livrer passionnément – et aussi passionnellement – à la recherche de l'exception qui devrait invalider la théorie de l'autre. D'où certainement des observations bien réelles et assez bien conduites mais qui, débordant leur domaine de pertinence, sont pressées de s'octroyer une valeur théorique générale.
Mais quel est donc le phénomène qui donne lieu à l'observation de Faits diFFérents par Pasteur et par Bernard ? Nous l'avons jusqu'à présent seulement évoqué sous l'aspect des propos polémiques tenus par les deux protagonistes, il convient maintenant d'en examiner le contenu. La question qui deviendra une véritable aFFaire est celle des Fermentations. Il s'agit là d'un domaine de recherche bien propre à Pasteur et qui est depuis toujours suivi très attentivement par Claude Bernard. Il s'agit de mettre en évidence les Facteurs et les conditions dont dépend la dégradation du sucre en alcool. Comment comprendre ce phénomène ? S'agit-il de l'action d'un micro-organisme qui en dégradant les matières organiques produit les éléments nécessaires à son développement ? C'est là la thèse de Pasteur. Mais on peut envisager le processus autrement et considérer qu'en l'absence même d'une cellule vivante il existe une substance dont les propriétés sont de décomposer un corps en des éléments plus simples. Telle est la position de Bernard. C'est cette thèse qu'il a voulu établir par ses expériences en Beaujolais sur des grains de raisins et c'est cette thèse que Pasteur a entrepris de réFuter en répétant des expériences identiques en pays d'Arbois. Ce que Bernard a voulu mettre en évidence c'est le Fait qu'une production d'alcool existe bien indépendamment de l'intervention des Ferments. À l'opposé, Pasteur a pensé avoir montré que cette intervention était nécessaire et qu'elle pouvait s'opérer à l'abri de l'air, les micro-organismes trouvant l'oxygène indispensable à leur vie par la dégradation des matières organiques. Pour avoir raison de l'idée de Bernard, Pasteur va loin et Frappe Fort. Il outrepasse très certainement les conclusions de son rival en le rangeant du côté des partisans de la génération spontanée. Il insiste et note que si chez Bernard le mot n'y est pas, l'idée, elle, y est bien présente. Pour la trouver il relève dans le manuscrit du physiologiste les Formules ambiguës et il insiste particulièrement sur l'étrange vertu accordée par Bernard au jus des grains de raisins mûrs d'êtreplasmique oufécond. En d'autres termes, celui-ci aurait la propriété de Faire se Former la levure « subitement pour ainsi dire », et évidemment au contact de l'air. Pour Pasteur, Bernard se rallie ainsi de manière ruineuse à « l'hypothèse d'une Force occulte ». Ainsi, pour Pasteur, Bernard inverse tout : c'est l'alcool qui « semble » précéder le Ferment. D'ailleurs celui-ci ne va-t-il pas jusqu'à se donner pour but de « prouver que la
http://greph.univ-lyon2.Fr/
6
Formation d'alcool est indépendante de la présence de toute cellule » ? Ne dit-il pas que « c'est là derrière que Pasteur se retranche pour dire que la Fermentation c'est la vie sans air » ? En examinant la Formule de Bernard selon laquelle « l'alcool se Forme par un Ferment soluble en dehors de la vie, dans les Fruits pourris ou mûrissants », Pasteur repère le caractère hésitant, imprécis et ou des constatations bernardiennes. Il montre que les expériences Faites à Saint Julien en Beaujolais ne respectent pas les exigences de la méthode expérimentale. De manière convaincante il pose que Bernard n'a rien démontré en la matière. Cependant, de ces remarques pertinentes il tire des conclusions excessives et péremptoires : « la question du Ferment soluble est tranchée, écrit-il : il n'existe pas ; Bernard s'est Fait illusion ». Il eut été là préFérable que Pasteur se contente de dire que l'hypothèse d'un Ferment soluble demeurait pour le moment une idée non vérifée par l'expérience.
Pour reprendre la Formule d'Etienne WolFF, on sait aujourd'hui que dans ce conit qui opposa Pasteur aux disciples de Bernard « l'un n'avait pas tort et l'autre avait raison. C'est ce que démontra en 1897 le savant allemand Eduard Büchner en isolant de la levure une enzyme, qu'il appela zymase. Claude Bernard était mort depuis dix-neuF ans, Pasteur depuis 9 deux ans ».
Le développement des recherches a donc bien apaisé le diFFérend entre Pasteur et Bernard. Mais ce conit, nous l'avons bien senti, n'était certainement pas local. Le problème de la nature des Fermentations a constitué un enjeu où les représentations des deux savants sur l'étroite unité de la vie et de la mort s'opposaient. Pasteur d'ailleurs en Fut parFaitement conscient : « je me vois contraint de d'avouer, écrivit-il dans sa note critique de 1879, que le manuscrit posthume de Bernard est, bien plus que je ne le croyais au lendemain de sa mise au jour, l'expression de sa pensée ». C'est, dit-il, dans le dernier ouvrage de Bernard, lesLeçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux (1878), que l'on trouve cette représentation dichotomique : d'une part les phénomènes de vie et de synthèse, d'autre part les phénomènes de mort et de destruction. Pour Pasteur c'est là qu'il Faut chercher la source de cette conception bernardienne qui exclut une vie sans air et interdit l'accès à une chimie subtile surmontant un découpage simple et fnalement Facile. Comme le dira rançois Dagognet :
Pasteur admet pleinement ce qui décourage Claude Bernard, victime, en somme de ses déFnitions, inféodé malgré lui, à la biochimie lavoisienne (l'oxygène conditionne la vie)… C'est parce qu'il respecte le dogme lavoisien qu'il ne peut pas concevoir certaines données de la physiologie… C'est pourquoi il préfère déFnir l'alcoolisation comme simple dégradation 10 moléculaire.
9 E. WolFF,L'œuvre de Claude Bernard replacée dans son temps,cit., p. 20.
http://greph.univ-lyon2.Fr/
7
La résistance de Bernard reste cependant en partie énigmatique. Duclaux, le successeur de Pasteur à la direction de l'Institut, le dira parFaitement en 1896 : « Claude 11 Bernard veut des Forces physico-chimiques non-banales » . Pasteur pouvait les lui oFFrir mais à la condition qu'il put accepter cette vie anaérobie, à condition donc d'expliquer des phénomènes de mort par des phénomènes de vie. Là Fut certainement l'obstacle et la résistance de Bernard, là Fut l'origine des accusations réciproques. Les déceptions Furent présentes certainement chez les deux savants : chez le physiologiste qui attendait une chimie originale mais qu'il aurait voulu plus « matérialiste » que celle proposée par Pasteur, chez le biochimiste aussi qui désirait une physiologie plus complètement « vitaliste » que celle de Bernard et plus apte à s'enrichir des originalités du vivant dévoilées par la chimie. Ces déceptions Furent aussi des incompréhensions regrettables car les points de vue respectiFs de Claude Bernard et de Louis Pasteur étaient au départ étroitement connexes. Par ses expérimentations le premier avait su montrer l'unité des phénomènes de la vie dans leurs grandes Fonctions vitales et le second avait réussi à montrer spécialement par la cristallographie la dissymétrie caractéristique du vivant. C'est ensemble qu'il contribuaient à Fonder et à autonomiser la biologie en lui conFérant un objet dont la spécifcité enfn acquise ne Faisait pourtant pas obstacle — bien au contraire — à son inscription dans des lois générales et déterminées. Dans sa réFutation de 1879, Pasteur a une phrase de lourde portée. Alors qu'il vient de souligner que les mots « vie et Fermentation jurent dans (le) système (de Bernard) » alors qu'ils « couvrent, selon lui, la plus étroite solidarité, à la seule condition que la vie ait lieu sans air », il ajoute ceci : « À la rigueur, Bernard ne nie pas que la vie et la Fermentation puissent être réunies et solidaires, mais le déterminisme des phénomènes ne serait pas celui que je prétends établir ». Suit alors la contestation du Ferment soluble. Mais dans ces propos de Pasteur ce qu'il convient de retenir c'est le mot déterminisme. On connaît en eFFet l'importance accordée par Claude Bernard à ce déterminisme absolu régissant les corps vivants. En soulignant ce déterminisme il pense délivrer enfn le 12 concept de Force vitale de toute connotation vitaliste. Il y a un déterminisme morphologique et un déterminisme physico-chimique qui se nouent pour unir la vie et la mort. Ces deux nécessités sont liées selon leur contradiction mais c'est au niveau de l'espèce qu'une résistance durable est opposée au déterminisme physico-chimique. Sur le plan
10  . Dagognet,Pasteur sans la légende (réédition d'un ouvrage paru en 1967 aux P.U.. sous le titre Méthodes et doctrines dans l'œuvre de Pasteur), Les empêcheurs de tourner en rond, Paris, 1994, pp. 389-390.
11 E. Duclaux,Pasteur, histoire d'un esprit, Imprimerie Charaire, Sceaux 1896, p. 261.
12 Cf.A. Prochiantz,Claude Bernard, la révolution physiologique, P.U.., Paris 1990, pp. 38-41. De même,cf. M. Jeannerod, « Les relations entre organisme et milieu chez Claude Bernard », inLa nécessité de Claude Bernard,cit., pp. 141-153.
http://greph.univ-lyon2.Fr/
8
individuel l'opposition est provisoire et se consume au Fur et à mesure de son exercice. Pour Bernard, ainsi que l'a très précisément exprimé Canguilhem, « l'organisme qui Fonctionne est un organisme qui se détruit ; le Fonctionnement de l'organe c'est le phénomène physico-13 chimique, c'est la mort » . La notion de milieu intérieur, on le sait, est là centrale. Par elle, Bernard a voulu désigner l'autonomie individuelle qui construit ses propres conditions de possibilité par rapport à l'autre milieu, le milieu extérieur. Claude Bernard a ainsi raisonné sur une individualité déterminée à se protéger en élaborant les conditions de la constance de son milieu et un système nerveux régulateur. Ainsi le point de vue bernardien recèle-t-il quelque unilatéralité Féconde mais l'insistance sur l'autonomie auto-générée de l'organisme n'est guère apte à la réception d'hypothèses nouvelles. Ce qui importe à Bernard c'est cette nécessité où se trouve le vivant de Faire Face en s'isolant, de suivre cette consigne d'organisation harmonieuse et solidaire des parties qui le composent, toute maniFestation de Fragilité ou de vulnérabilité devant être d'abord comprise sous cet angle, comme le signe d'une dégradation, d'une usure de cette harmonie ou d'une désolidarisation des parties. Pasteur ne suit pas les mêmes pistes. Son regard est porté vers les agressions externes et les modifcations ou réactions qu'elles entraînent dans l'organisme. C'est moins vers l'usure de la solidarité entre les éléments que vers l'attaque subie par les éléments eux-mêmes que son enquête se dirige. D'où une autre représentation des rapports entre la vie et la mort, plus fne et plus locale, et que Bernard a du mal à intégrer à sa propre compréhension. Dans le Fond, l'opposition ou l'incompréhension des deux savants tient moins au contenu de leurs découvertes respectives qu'aux diFFérentes méthodes expérimentales qu'ils élaborent et qui fnissent par constituer des contextes séparés et éloignés voire incompatibles ou exclusiFs. Ainsi que le souligne Canguilhem, « si Claude Bernard ne suit pas les idées de Pasteur, c'est bien parce qu'il suit la sienne propre, c'est-à-dire toujours l'idée que la maladie n'est pas une innovation Fonctionnelle ». Ce qui amène le physiologiste à soutenir dans sesPrincipesque « le virus syphilitique ou le virus rabique se produisent sous l'inuence nerveuse », ou encore à envisager qu'il y a des « rages spontanées ». Étonnante et déconcertante résistance de Bernard à admettre des Faits pourtant bien établis, ce qui montre bien que pour comprendre cette obstination il convient de considérer les moments qui ont permis au physiologiste de se donner le cadre général de son interprétation du vivant et de se convaincre de l'identité du normal et du pathologique. C'est ce que nous indique Alain Prochiantz : à partir de « son exemple Favori, celui né de l'expérience du Foie lavé, (Bernard) étend son principe et prédit, à juste titre, la découverte de nombreux Ferments dont il dit que la plupart sont encore 14 insoupçonnés » . Ainsi l'importance de sa découverte amène-t-elle Bernard à lui conFérer le statut d'une réFérence exclusive et à restreindre sérieusement son champ de vision. « Sous
13  G. Canguilhem, PréFace à C. Bernard, Leçons sur les phénomènes de la vie commun aux animaux et aux végétaux1966, p. (1878), Vrin, Paris 11.
14 A. Prochiantz,Claude Bernard, la révolution physiologique,cit., p. 46.
http://greph.univ-lyon2.Fr/
9
l'eFFet du principe d'identité entre le normal et le pathologique, écrit Canguilhem, Claude Bernard ne pouvait s'intéresser sérieusement ni à la pathologie cellulaire, ni à la pathologie des germes ».
Aussi le bilan du diFFérend entre les deux savants semble-t-il se solder au détriment d'un Claude Bernard quasiment aveuglé par sa croyance en un principe général qui devrait rendre compte de l'ensemble des phénomènes morbides, et au bénéfce d'un Pasteur capable de se dégager des représentations dominantes. Tâchons cependant de convertir l'entêtement de Claude Bernard en une leçon proftable car dans le creux de son dissentiment avec Pasteur il nous recommande de ne pas oublier l'individualité vivante et existante, convaincu qu'il est que les voies de recherche de Pasteur ne Font que tourner autour et fnissent par la méconnaître. Plus largement que contre Pasteur, c'est contre un matérialisme simplifcateur et réducteur que Bernard se bat avec des expressions propres à son temps et à l'état des connaissances, expressions que Pasteur comprend non pas comme des approches ou des intuitions Fécondes mais comme des résurgences regrettables de l'idée d'une Force occulte.
Saisissant bien ces malentendus, Emile Duclaux, admirateur des travaux de l'allemand Büchner – nous l'avons déjà évoqué – tenta une réconciliation posthume des deux savants en posant la question suivante : Pasteur a certes réFuté, mais a-t-il compris Bernard? — « Contrairement à ce que Pasteur pense, écrit avec quelque partialité Duclaux, Bernard ne croit pas du tout à une opposition obligée entre les phénomènes de vie et de synthèse et les phénomènes de mort et de destruction, entre la vie proprement dite et les Fermentations. Du moins il ne le dit nulle part. Il tient compte des idées de Pasteur : la matière morte réduite à 15 ses seules Forces est très lente à se transFormer » . Par ces propos le successeur de Pasteur invitait les biologistes à une lecture desLeçons plus fne et plus subtile que celle qu'en ft Pasteur lui-même. Il leur suggérait une analyse apaisée et une autre intelligence des positions de Claude Bernard.
Ainsi que Georges Canguilhem l'a nettement montré dans sa PréFace auxLeçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux, Claude Bernard ne disposait alors que de termes psychologiques pour Faire valoir une compréhension de l'individualité 16 organique qu'il voulait pourtant bien matérialiste . En ce sens les objections de Pasteur ne manquaient ni de raisons ni de pertinence en dépit du Fait qu'elles s'adressaient à des intuitions Fécondes inadéquatement Formulées. Suivons donc Duclaux, le pacifcateur, et considérons que la dispute, si elle bien constitué un litige critique, a été aussi le point de passage obligé d'une question décisive pour l'ouverture d'un nouveau champ. Pasteur a perçu
15 E. Duclaux,Pasteur, histoire d'un esprit, cit., pp. 259 et 261.
16 G. Canguilhem, PréFace à C. Bernard,cit., p. 13.
http://greph.univ-lyon2.Fr/
10
les dernières thèses bernardiennes comme des Fautes graves d'un esprit plus doctrinaire que théorique. Dans ce conit la passion a pris sa place et le maître longtemps considéré comme exceptionnel apparut alors à Pasteur déFaillant et décevant, ordinaire. Les successeurs tant de Bernard que de Pasteur montreront bien que ce diFFérend ne Fut que temporairement excessiF. Mais il reétait, comme le suggère Christiane Sinding
une dualité qui existe bien entre deux voies toujours suivies par la médecine: d'un côté, la conception ontologique où l'être, c'est-à-dire, le microbe, envahit le corps; de l'autre, la conception de Claude Bernard, qui conçoit la maladie comme un processus qui engendre un 17 dérangement du milieu intérieur.
Ce diFFérend entre ces géants de la biologie que Furent les deux savants clôt peut-être à sa manière un siècle de construction et d'installation d'une science moderne de la vie. Il résume un tiraillement entre deux grandes options oFFertes pour une représentation des rapports entre le vivant et son milieu. Quand on sait de quel poids cette biologie nouvelle a pesé et pèsera sur les sciences humaines elles aussi en voie de construction à cette même époque, la relecture de cette querelle reste porteuse de précieuses leçons épistémologiques. On sait le rôle pris par les métaphores biologisantes en matière de science sociale, et les mauvais tours joués par la biologie tant aux sociologues qui s'y lièrent trop qu'à ceux qui voulurent rester dans son ignorance. Durkheim, dont on connaît par ailleurs l'aFfnité pour les 18 concepts bernardiens,l'un des premiers les leçons nécessaires. Pour lui, le tira sociologue biologiste, c'est celui qui veutinduire les lois de la sociologie des lois de la biologie. Erreur Fatale, car ce qu'il convient de Faire c'est decontrôlerles lois de la sociologie par celles de la 19 biologie . D'où l'intérêt d'aller voir, ainsi que nous avons tenté de le Faire, ces autres erreurs (ou excès) — somme toute symétriques — commises, cette Fois, par d'illustres biologistes parFois trop pressés d'avoir chacun raison.
17 Ch. Sinding, inLa nécessité de Claude Bernard,cit., pp. 306-307.
18  CF. notre article, « Durkheim et la naissance de la science sociale dans le milieu bernardien », in La nécessité de Claude Bernard,cit., pp. 229-254.
19 E. Durkheim, « Représentations individuelles et représentations collectives », publié dans laRevue de métaphysique et de morale, vol. 1, 1898, reproduit inDurkheim, Sociologie et philosophie, P.U.P., Paris 1974, p. 13.
http://greph.univ-lyon2.Fr/
11
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents