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M. H. Smith
DU MANUSCRIT À LA T YPO GR APHIE NUMÉRIQUE
présent et avenir des écritures anciennes
eSi l’histoire de l’écriture latine est riche en renaissances et résxxurg seniècces, le au
plus que jamais l’invention graphique s’est nourrie de formes et d’idées puisées
dans le passé, réinterprétées, adaptées au goût et aux conditions techniques du
jour. Les filiations graphiques du manuscrit ancien à l’imprimé contemporain
méritent d’être évoquées pour plusieurs raisons. Elles traduisent – et redéfinissent
sans cesse – ce que le présent voit ou croit voir dans les écritures du passé. Elles
appellent des réflexions de longue durée sur la permanence et le changement
dans l’alphabet latin, toujours semblable dans son principe, toujours réinventé
dans ses formes, dans ses modes de lisibilité et dans ses valeurs expressives.
Le travail typographique, poursuivant depuis des siècles la cohérence formelle
et la perfection du détail, offre aussi l’occasion d’apprendre à regarder les
écritures autrement, et de ;p lr eès hommes du métier ont fait d’ailleurs bien
des observations pénétrantes qui mériteraient d’être prises en compte par les
paléographes. Enfin, il ne faut pas négliger le secours que la disponibilité
d’anciennes éc trui res sous forme typographique peut donner d’ores et déjà
aux travaux savants et plus encore à l’enseignement. Plus généralement, c’est
l’occasion de rappeler que l’histoire de l’écriture, qu’on la nomme paléographie
ou autrement, ne gagne rien à fragmenter son objet en fonction des dates et des
techniques. Le sujet pourrait être celui d’un livre richement illustré, mais cet
aperçu voudrait au moins en suggérer l’intérêt et faire connaître l’existence de
quelques polices qui le méritent (en attendant une version enrichie de spécimens
qui pourra être confiée au site palaeographia.org).
Notre typographie porte l’empreinte des écritures anciennes sous des aspects
très divers, de la reproduction plus ou moins fidèle jusqu’à des résonances
ténues. Ce qu’il y a de commun entre toutes ces formes, c’est d’avoir été dessi-
nées en fonction des besoins et de la sensibilité des contemporains. La typogra-
phie et l’écriture manuscrite ont évidemment partie liée depuis toujours, depuis
que Gutenberg a fidèlement transposé en plomtextb un us quadratus de son
temps. Comme toujours, la nouvelle technique, avec ses exigences opératoires, a
bientôt donné le jour à des formes divergentes, à des particularités qui ont influé
een retour, dès la seconde moitié xv du siècle, sur l’évolution des écritures à la
plume. La parenté ne s’est jamais rompue tout : à le fa roitm ain du Roi voulu p ar
oGazette du livre médiéval, n 52-53, 2008.o52 — Gazette du livre médiéval, n 52-53, 2008.
LouisXIV s’inspira de la calligraphie de Nicolas Jarry, elle-même nourrie de typo-
graphie. Autour de 1900, imprimerie et calligraphie firent ensemble leur retour
aux sources. Aujourd’hui, le dessin de caractères se partage toujours entre ceux
qui maintiennent que la forme typographique a sa logique propre et ceux pour qui
l’alphabet est indissociable du geste graphique et du trait de la plume.
Dans bien des cas la limite sera difficile à tracer entre les typographies qui
imitent directement le manuscrit et celles qui reprennent des modèles déjà pré-
cédemment repris ou filtrés par l’imprimerie. Puisqu’il faut malgré tout se fixer
des bornes, je me restreindrai aux polices inspirées de modèles manuscrits et
eépigraphiques antérieurs au milieu du x sièviii cle environ. Les considérations
et le catalogue ci-après excluent ou ne mentionnent qu’indir : eles ctemcaenrac t -
tères d’imprimerie romains depuis la Renaiss ;a ln ecse capitales romaines sans
référence épigraphiq ; ules anciens caractères d’imprimerie gothiques, aussi
bien ceux de la tradition germanique que ceux Gothdicu reviva lromantiqu ;e les
cursives formelles du type de l’an ;g etla ilse es calligraphies contemporain-es déri
vées de la tradition latine par l’usage de la plume large mais tout autant animées
de références orientales ou de gestuelle expressionniste. J’inclus en revanche
quelques domaines aux confins de l’ancienne typog :r caeprhtiaeines italiques
eexplicitement inspirées des cursives de chancellerie italiennxvi es sièdcu le, et
des types comme les lettres de civilité oruo nlad e «», gravés pour l’imprimerie
edès le xvi siècle mais toujours conçus comme la reproduction de tracés propres
à la plume, et historiques dans la mesure où ces types sont aujourd’hui sortis de
l’usage courant.
« Revival » typographique et retour au manuscrit
Il faut rappeler ici le contexte général de la typographie con t: eumn poraine
renouvellement constant des formes et une succession d’avatars techniques au
terme desquels il reste bien peu de chose du métier de Gutenberg. À partir de la
efin du xix siècle, dans le sillage de William Morris et du mouAvemrts enan t d
Crafts, en réaction contre un siècle d’industrialisation, l’imprimerie a parcouru
à nouveau successivement toute son histoire depuis l’incunable, aussi bien par la
reprise du dessin des caractères que par le renouvellement des anciennes formes
et techniques de fabrication (papier, mise en pages, illustration). La grande cam-
pagne de revivals menée d’abord par le mouvement des pr«es ses privées» puis
surtout entre les deux guerres par la Lanston Monotype Corporation, est à l’ori-
egine d’une grande partie de la typographie xx dsiu ècle. Les caractères dessinés
ou redessinés pour la monotype et la linotype, en fonction des particularités de
ces machines, ont été ensuite transposés pour servir à la photocomposition, et
enfin numérisés en masse à partir des années 1980. Les créations nouvelles ont M. H. Smith, Du manuscrit à la typographie numérique. — 53
également continué et continuent de s’inspirer largement de modèles empruntés
eà plus de cinq siècles d’imprimerie. La typographie xxd sièu cle est fondamen-
talement historique, jusque dans ses réactions anti-historicistes.
Les classifications courantes des polices, répondant à des nécessités et à des
problèmes de méthode assez familiers aux paléographes, sont elles-mêmes bâties
sur des critères historiques autant que morphologiques. En dépit de toutes les
hybridations postmodernes qui brouillent sciemment les cartes, on distingue
etoujours « humane» so u vénitiennes xv( siècle, archétype Jenson g),a «ralde » s
e e(xvi -xvii siècles, d’après Garamond et Alde), etc., jusqu ’la iunxéa «le »s, sans
e eempattements ni pleins et déliés, xdixes et xx siècles. À ces catégories pr-opre
ment typographiques s’ajoutent celles qui nous intére :s lsens t« i incciises »,
d’inspiration épigraphiq ; ules « manuaire s», dérivées d’anciennes écritures à
main posée; les «s cripte»s, d’après des modèles cursifs (liés ou non liés) en - géné
eral d’origine plus récen: lt’aeng laise d xu ix siècle qui orne nos cartons d-’invi
etation comme les styles informelxxs d, u au feutre, au pinceau, etc. Une - der
nière catégorie, désormais réservée comme les précédentes au titrage, aux textes
brefs, est celle des gothiques f orua c«tur e»,s dont les sources remontent certes
au manuscrit médiéval mais au moins autant à l’imprimerie germanique et au
Gothic reviva – ll a limite est souvent difficile à tracer.
Au-delà de la résurrection des anciens caractères, et pour mieux échapper à
la répétition servile, le dessin typographique s’est inspiré des écritures les plus
ediverses. Tout au long xxdu siècle, de grands dessinateurs de lettres ont défendu
la nécessité de puiser des idées aux sources mêmes de l’écriture latine, dans l’An-
tiquité, le Moyen Âge et la Renaissance, et donné ainsi le jour à certaines des créa-
tions les plus originales de notre temps, devenues de nouveaux classiques.
La réinvention de l’incunable a été accompagnée de la redécouver -te de la cal
ligraphie médiévale et de la plume à bec carré. L’initiative en revient à Edward
Johnston, dont le manueWl riting & illuminating, & lettering (1906) est resté le
bréviaire des calligraphes anglo-saxfoonus. ndSa ational