EXPOSE : LE PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTEE

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1 EXPOSE : LE PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTEE. La question du partage de la valeur ajoutée relève de nombreuses thématiques théoriques, aussi bien en économie qu'en sciences sociales en général, et elle est l'occasion d'affrontements politiques et sociaux permanents. Il n'y rien d'étonnant à cela, dans la mesure où la valeur ajoutée est un indicateur de la richesse produite par une société, et dans la mesure où le partage de la valeur ajoutée, c'est le partage de cette richesse entre toutes les composantes de la société.
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  • frontière de la politique économique et de la stratégie d'entreprise
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EXPOSE : LE PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTEE. La question du partage de la valeur ajoutée relève de nombreuses thématiques théoriques, aussi bien en économie qu’en sciences sociales en général, et elle est l’occasion d’affrontements politiques et sociaux permanents. Il n’y rien d’étonnant à cela, dans la mesure où la valeur ajoutée est un indicateur de la richesse produite par une société, et dans la mesure où le partage de la valeur ajoutée, c’est le partage de cette richesse entre toutes les composantes de la société. Dès lors, c’est nécessairement le système économique et social dans son ensemble qui est concerné par le partage de la valeur ajoutée. Bien entendu, techniquement, la notion de valeur ajoutée désigne avant tout une grandeur comptable, une grandeur de la Comptabilité Nationale. Et dans cette perspective, le partage de la valeur ajoutée n’est rien d’autre que la ventilation de la grandeur Valeur Ajoutée entre différents postes comptables. Ainsi, si on se place au niveau de la comptabilité d’une entreprise (au sens de société ou quasi-société non financière), la Valeur ajoutée est définie, dans le Compte de Production, comme la différence entre la valeur de la Production de l’entreprise et la valeur des Consommations intermédiaires que l’entreprise a utilisées pour obtenir cette production :
Emplois Ressources COMPTE DE PRODUCTION CI X P Y VA Y – X Total Y Total Y Soit VA = P – CI. Mais on peut rapidement retrouver, même à travers la technique comptable, une image de la multiplicité des domaines économiques et sociaux qui ont quelque chose à voir avec le partage de la valeur ajoutée. En termes comptables, le « partage » de la valeur ajoutée, c’est l’emploi de la ressource valeur ajoutée dans les comptes qui font suite au Compte de Production : – dans le Compte d’Exploitation, un partage est effectuée notamment entre Rémunération des salariés, les Impôts liés à la production et Excédent brut d’exploitation — qui est le résidu ; – dans le Compte de Revenu, l’EBE est à son tour réparti, notamment entre les Intérêts, les Dividendes, les Impôts courants sur le revenu et le patrimoine et le Revenu disponible brut ou Epargne brute ; – puis, dans les autres comptes, cette Epargne Brute finance, par exemple, la Formation brute de capital fixe et la Capacité de financement.
Valeur ajoutée Rémunération des salariés Impôts liés à la production  (dont charges sociales) Intérêts Dividendes Impôts sur les sociétés
Excédent Brut d’Exploitation
Epargne brute
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 FBCF (investissements productifs) Placements financiers Ce type de comptes et ce type de ventilation sont réalisés également pour les autres acteurs pris en compte par la Comptabilité nationale – ménages, administrations... On sait que ces différents comptes et ventilations peuvent être agrégés. Ils peuvent être agrégés non seulement pour une même catégorie d’acteurs, mais aussi au niveau des branches, au niveau d’ensembles de branches, et finalement au niveau de la nation toute entière. De cette manière, on s’aperçoit que cette approche comptable de la valeur ajoutée et de son partage peut être appliquée à tous les niveaux d’une économie nationale. De ce point de vue, on peut considérer alors que, depuis l’entreprise jusqu’à la nation, depuis l’acteur micro-économique jusqu’à l’agrégat macro-économique, se déroule toujours une opération de « partage de la valeur ajoutée ». Et presque toutes les grandeurs micro-économiques et agrégats macroéconomiques importants sont concernés : des salaires aux profits, en passant par l’investissement, la consommation, les placements financiers... L’actualité économique et sociale nous rappelle d’ailleurs régulièrement, sous des formes diverses, combien le partage de la valeur ajoutée constitue un sujet brûlant dans de nombreuses discussions politiques, dans de nombreux conflits au sein des entreprises et pour des mouvements sociaux de diverses natures. Les affrontements entre le Medef et les syndicats de salariés tournent autour de la question du partage de la valeur ajoutée, les rapports sociaux dans l’entreprise sont plus ou moins tendus selon le mode de rémunération des uns et des autres, les mouvements contestataires du type Attac appellent en permanence à un partage plus équitable de la valeur ajoutée, de la richesse économique... ANNONCE DE PLAN Pour toutes ces raisons, il est important de porter un regard attentif sur la manière dont le partage de la valeur ajoutée s’inscrit dans la réalité économique et sociale. Dans cette optique, et compte tenu de la complexité et de la multiplicité des relations en cause, il paraît nécessaire, dans un premier temps, de porter un regard un peu distancié sur le sujet. C’est pourquoi, nous nous demanderons, dans une première partie, quels sont d’une part les enjeux, d’autre part les déterminants du partage de la valeur ajoutée. Nous verrons que le partage de la valeur ajoutée recouvre des enjeux essentiels, et que ses déterminants sont multiples.
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Cette prise de distance théorique permettra de mieux apprécier les évolutions récentes du partage de la valeur ajoutée, sur lesquelles nous nous pencherons dans une seconde partie. Nous envisagerons ces évolutions :d’une parten nous demandant qui bénéficie du partage (nous verrons que notamment les parts relatives de la richesse distribuée ont connu en France, ces dernières décennies, des changements importants), etd’autre parten observant les modalités concrètes du partage, ce qui nous amènera à nous demander si l’on peut ou non parler aujourd’hui de naissance d’un « nouvel ordre salarial ». Plan : I – Enjeux et déterminants du partage de la valeur ajoutée A. Des enjeux essentiels B. Des déterminants multiples II. – Bénéficiaires et modalités du partage de la valeur ajoutée : les évolutions récentes A. Un partage fluctuant depuis trente ans B. Vers un nouvel ordre salarial ? I- ENJEUX ET DETERMINANTS DU PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTEE La question du partage de la valeur ajoutée n’est pas une question nouvelle pour les économistes. Ils ont depuis longtemps étudié cette opération, généralement sous d’autres noms : théorie de la répartition, partage salaire-profit, exploitation, taux de marge, inégalités économiques... I.A. DES ENJEUX ESSENTIELS Cela signifie très probablement que le partage de la valeur ajoutée a des enjeux, autrement dit que, dans l’opération, il y a quelque chose à gagner ou à perdre. On peut donc commencer par se demander ce qui est en jeu dans le partage de la valeur ajoutée, et pour qui, ou pour quoi ? [La pensée économique et le partage de la valeur ajoutée] Il y a une suite évidente à notre allusion à l’histoire de la pensée économique. C’est qu’un des enjeux essentiels de l’idée de partage de la valeur ajoutée, c’est le mode d’appréhension de la réalité économique par les économistes. L’analyse économique a en effet accordé dès les auteurs classiques une place importante à l’analyse de la répartition. Il semble qu’interpréter le fonctionnement d’une économie ce soit aussi, de manière indissociable, interpréter le partage de la valeur ajoutée. Adam Smith (1723-1790) place par exemple les revenus des différentes classes sociales au cœur de sesRecherches sur la nature et les causes de la richesse des nations(1776). Ce qui est en jeu pour lui, dans la formation des revenus, c’est bien, comme l’indique le titre
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de son ouvrage, la richesse des nations elle-même. En particulier, il est important pour Smith que le partage du revenu soit favorable à la classe des capitalistes au détriment de la classe des travailleurs, car cela pousse les individus à travailler et à épargner, et donc cela enrichit la nation. Dans le même temps, toutefois, la formation des revenus peut être partiellement infléchie en faveur des pauvres, par l’éducation des travailleurs par exemple. Au total, Adam Smith a donc bien à l’esprit, de manière centrale pour sa démonstration, certains enjeux du partage de la valeur ajoutée.
Chez les auteurs néo-classiques, jusqu’à aujourd’hui (par exempleThéorie de la valeur de Gérard Debreu en 1949), si l’on entend par là les théoriciens de l’équilibre général, on peut se demander quelle est la clef de voûte de leur analyse, quel est son procédé de bouclage : une réponse possible est que la clef de voûte de la théorie de l’équilibre général, est constituée par les deux théorèmes de l’économie du bien être, à savoir des théorèmes qui assurent que l’équilibre général est optimal — dans un sens particulier — en termes de partage de la richesse...
On peut s’intéresser également à des auteurs plus critiques. Chez Marx (Le Capital, 1967), par exemple, l’extorsion de la plus-value à travers le sur-travail de la classe des prolétaires est le signe de la domination sans partage de la classe des entrepreneurs capitalistes. Or, cette extorsion est un des éléments d’un partage de valeur ajoutée.
Chez John Maynard Keynes (Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936), les perspectives de profit des entrepreneurs déterminent le niveau de la demande effective, et ce niveau de demande effective conduit ou non à un équilibre de sous-emploi. Or le profit est une des fractions de la valeur ajoutée.
Si l’on songe à tous ces travaux théoriques, on s’aperçoit qu’au moins cinq types d’enjeux peuvent être associés à la question du partage de la valeur ajoutée : 1)Des enjeux de politique économique: Il se joue, à travers le partage de la valeur ajoutée, des choix essentiels pour la direction stratégique d’une zone économique, Etat, région, ou autres. Nous nous limiterons à un exemple, en nous référant à une analyse de René Passet (entretien au monde, 10 juillet 1990). Il considère que le partage de la valeur ajoutée en France entre 1973 et 1983 aurait dû être rééquilibré en faveur des profits, afin de favoriser l’investissement et la modernisation de l’appareil productif, une modernisation qui ne s’est opérée que trop tardivement et au prix d’une austérité budgétaire. Il existe d’ailleurs une catégorie de politiques économiques qui se distinguent par le fait qu’elles ont pour objectif d’agir sur le niveau et la formation des revenus — on parle justement de « politique de revenus ». 2)Des enjeux en termes de compétitivité des entreprisesà la frontière de la politique économique et de la stratégie d’entreprise. Ce qui se joue aussi derrière la question du partage de la valeur ajoutée, c’est la compétitivité de l’entreprise, soit face à ses concurrentes de la même zone économique, soit par rapport aux entreprises de zones concurrentes. Ainsi, réussir à évincer la concurrence des pays à main d’œuvre bon marché ou au contraire risquer de s’y exposer est un exemple typique des enjeux du partage de la valeur ajoutée, à travers la fixation du niveau des salaires. 3)Ensuite, et c’est un troisième enjeu, le partage de la valeur ajouté a un impact sur la vie dans l’entreprise :on ne travaille pas de la même manière dans une entreprise à mode de rémunération de type fordiste, dans lequel les salariés sont bien payés pour bien travailler,
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et dans une entreprise à main-d’œuvre sous-payée. Ou dans une entreprise où les salaires sont forfaitaires, et dans une entreprise où la rémunération variable est importante par rapport au salaire fixe, ce qui peut conduire à une concurrence entre les salariés.Par ailleurs, la lutte syndicale dans l’entreprise se cristallise autour de la question du partage de la valeur ajoutée.4)Un quatrième enjeu se rapporte justement aux conflits sociaux.De manière générale, la plupart des mouvements sociaux — manifestations, grèves, occupations d’usines, destructions de biens — s’organisent autour d’une revendication pour un meilleur partage, local ou global, de la valeur ajoutée. 5)Et finalement, un cinquième enjeu essentiel consiste dans le faitque le partage de la valeur ajoutée est unesource d’inégalités économiques et sociales, de pauvretés et d’exclusions. I.B. DES DETERMINANTS MULTIPLES Les économistes ont accordé au moins autant d’importance à l’analyse des déterminants du partage de la valeur ajoutée qu’à l’analyse de ses enjeux, ce qui était la moindre des choses étant donné qu’il devenait important de savoir comment éventuellement infléchir le partage. Là encore, les économistes s’y sont intéressés depuis au moins les auteurs classiques. On peut rappeler que les grands classiques ont tous une théorie de la formation des trois grands revenus (salaires, profits, rentes), que Marx analyse la formation des revenus pour l’essentiel comme le produit de l’accumulation originelle de capitale couplée à l’exploitation capitaliste, ou que Keynes place au cœur de sa critique de l’économie classique et néo-classique le problème de la formation des salaires. Plus généralement, on s’aperçoit que le partage de la valeur ajoutée en vigueur est le produit d’un grand nombre de facteurs de diverses natures. Sont en cause notamment : – le coût du travail et tout ce qui le détermine (conventions collectives, conflits, état du marché du travail, type de contrat social) ; – le coût du capital et tout ce qui le détermine (état des marchés financiers, politiques de prêt des banques) ; – la productivité des facteurs de production et tout ce qui la détermine (organisation, motivation...) ; – le prix des consommations intermédiaires et tout ce qui le détermine (état des marchés) ; – le poids des actionnaires et tout ce qui le détermine ; – le prix de vente et le rapport offre/demande des biens vendus et tout ce qui le détermine. A l’issue de ce parcours théorique général, il apparaît que le partage de la valeur ajoutée est donc un processus très fortement imbriqué dans toutes les dimensions de la vie économique et sociale, aussi bien par les enjeux qu’on peut lui associer que par les facteurs qui agissent sur lui.
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Dans cette mesure, toute explication des évolutions concrètes du partage de la valeur ajoutée doit être menée avec la plus grande prudence, et sur le mode de l’hypothèse. C’est pourquoi, dans la suite, nous limiterons à des éléments relativement descriptifs des évolutions récentes et en cours. II. BENEFICIAIRES ET MODALITES DU PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTEE : LES EVOLUTIONS RECENTES On peut donc maintenant se demander qui a bénéficié et bénéficie du partage de la valeur ajoutée depuis quelques décennies, et de quelle manière le partage s’opère. II.A UN PARTAGE FLUCTUANT DEPUIS TRENTE ANS
Si l’on se place sur très longue période, on peut, toujours avec René Passet, observer qu’au XIXème siècle ce sont les profits qui ont été favorisés, puis dans les années trente et les Trente Glorieuses les salaires. Mais que s’est-il passé plus récemment ?
Pour le décrire, on peut entre autres s’inspirer du rapport de Patrick Artus et Daniel Cohen sur lePartage de la valeur ajoutéeréalisé pour le Premier Ministre dans le cadre du Conseil d’Analyse Economique, ainsi que de l’étude du même nom due à Xavier Timbeau et publié entre autres dansL’économie française 2002, OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).
Selon ces études, les pays européens, et notamment la France, ont un partage de la valeur ajouté beaucoup plus fluctuant que ceux des autres pays de l’OCDE. Dans les années 1960, la part des salaires dans la valeur ajoutée en France paraissait relativement stable, mais les années 1970 à partir de la crise pétrolière de 1973-74 marquent une forte rupture. Alors que la part des salaires dans la valeur ajoutée se situe autour de 62-63 % dans les années 1960 et jusqu’en 1973, elle fait un bond aux alentours de 67 % de 1974 à 1983 environ, pour replonger à un rythme régulier et atteindre finalement des niveaux proches de 57 % sur la période 1997-2001. Sur la dernière période, de 1983 à 1996, le salaire moyen en pouvoir d’achat n’a progressé que de 0,5 % / an en moyenne, alors que le taux de rémunération du capital productif progressait d’un peu moins de 1%. Et, point important, les revenus du patrimoine ont considérablement augmenté : les revenus réels des placements ont progressé de 5% / an durant les années 1980 par exemple. Un corollaire de ces derniers changements est la résurgence des inégalités qui jusqu’alors se réduisaient en permanence depuis la fin des années 1960. Dans la crise commencée entre 1973, on a donc deux versants : un versant nettement favorable aux salariés, puis un versant nettement favorable aux entrepreneurs et aux rentiers. Comment expliquer cette double évolution ? Lors des années 1970, la croissance se ralentit nettement, autrement dit la valeur de la production n’augmente plus aussi vite qu’auparavant ; elle est ralentie par la crise déclenchée par les chocs pétroliers. Dans le même temps, la valeur des consommations intermédiaires augmente, notamment du fait de l’augmentation du prix des énergies pétrolières. Conséquence mécanique, pour la plupart des entreprises, le rythme de croissance de la valeur ajoutée diminue fortement. Pour que le partage de la valeur ajoutée
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en vigueur dans les années 1960 se réplique à l’identique, il aurait fallu une diminution au même taux de croissance à la fois des salaires et des charges d’une part, et de l’excédent brut d’exploitation d’autre part. Pourtant, d’une part les salaires continuent à croître au rythme antérieur parce qu’ils sont indexés sur les prix à la consommation — qui augmentent du fait de l’inflation importée — et que le chômage est faible (et les syndicats refusent un rééquilibrage du partage salaires/profits) ; et d’autre part le développement des systèmes de protection sociale augmente le poids des charges qui pèsent sur le travail. En outre, les taux d’intérêts réels sont négatifs, ce qui permet aux entreprises de tolérer un partage salaires/profits relativement défavorables à leur égard. Mécaniquement l’excédent brut d’exploitation voit sa part relative diminuée ; autrement dit, le taux de marge des entreprises diminue (EBE/VA). Ainsi, le premier versant de l’évolution du partage de la valeur ajoutée depuis 1973 peut être interprété comme « le résultat d’un retard d’ajustement des salaires réels au nouvel environnement créé par la crise pétrolière » (Artus et Cohen). Qu’en est-il du second versant de l’évolution, celui qui voit la part relative des salaires diminuer ? Selon Artus et Cohen, les mécanismes suivants ont été à l’œuvre : – la hausse du chômage a placé les salariés en position de faiblesse dans la négociation ; – l’amélioration progressive des termes de l’échange, avec notamment la fin de la crise pétrolière, a permis aux entreprises d’augmenter leur chiffre d’affaire ; – les taux d’intérêts réels étant devenus très positifs, les entreprises ont eu intérêt à se désendetter rapidement, ce qui passait par une augmentation de leur taux de marge (EBE/VA) ; – le souvenir des hausses rapides de salaire des années 1970 les a conduites à une substitution capital/travail. II.B. VERS UN NOUVEL ORDRE SALARIAL ? (Cf. Les grandes questions de l’économie française.) Ces évolutions dans les parts de la valeur ajoutée distribuées ont été accompagnées par une remise en cause importante des modalités de distribution de ces parts. Au point qu’on peut être amené à se demander si, en fin de compte, cela n’est pas en train de conduire la société française vers la mise en place d’un nouvel ordre salarial.
Jusqu’à présent, il a peu été question de l’Etat. Or, il a beaucoup à voir dans le partage de la valeur ajoutée, notamment parce qu’il est le premier employeur du pays, aussi bien à travers les administrations publiques que les grandes entreprises nationales.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’au début des années 1980, la politique des revenus mise en œuvre par les pouvoirs publics (à savoir la politique qui a pour objectif de contrôler la répartition des revenus primaires) a été une politique volontariste de type keynésien : il s’agissait de fixer des normes pour éviter que la répartition des revenus débouche sur des inégalités trop injustes. Les pouvoirs publics ont cherché à mettre en place des disciplines collectives de concertation et de négociation, à travers les premiers grands Plans. Les entreprises publiques ont pu jouer de ce point de vue le rôle de « vitrine sociale ». L’un des éléments normatifs essentiels des salaires du secteur public, et souvent
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du secteur privé, sous l’impulsion de l’Etat, était l’indexation des salaires sur l’inflation : plus précisément, les salaires rattrapaient un an après, maisintégralement, la croissance de l’indice des prix à la consommation. Or, à partir de 1983, pour lutter contre l’inflation et améliorer la compétitivité-prix des entreprises françaises, et, de manière générale, pour rendre le marché du travail plus flexible aux chocs extérieurs du type crise pétrolière, l’Etat décide, sous le gouvernement Delors, de changer le mode d’indexation : la hausse des salaires est calée sur un taux d’inflation anticipée, et si on constate ensuite un écart entre l’inflation anticipée et inflation effective, l’erreur n’est que partiellement corrigée. Et le secteur privé lui emboîte le pas. L’Etat impulse aussi une autre modification importante : la décentralisation de la négociation des salaires entre les diverses branches productives. Ce sont les lois Auroux du 13 novembre 1982. Cela permet une plus grande flexibilité dans le pilotage des rémunérations, mais peut conduire à de fortes disparités entre les branches et les entreprises. Là encore, le secteur privé suit le secteur public. Mais le secteur privé va beaucoup plus loin que l’Etat. En plus de la désindexation, les entreprises françaises adoptent un certain nombre de modes de rémunérations jusqu’alors peu développés en France. Auparavant, ce qui primait, c’était la rémunération liée au poste occupé et déterminée par des grilles de salaires et les grilles de qualifications définies par les conventions collectives au niveau des branches. Les évolutions de salaires étaient gouvernées par des augmentations générales et non réversibles de rémunérations, et les primes étaient liées à l’ancienneté et/ou au rendement collectif. Cet « ordre salarial » (vocabulaire de l’Ecole de la Régulation — Robert Boyer...) permettait d’assurer une certaine paix sociale et de soutenir une progression régulière des débouchés. A présent, on assiste à un triple mouvement qui s’écarte de ces modalités de partage de la valeur ajoutée : 1)Diversification des règles de fixation des salaires: moindre importance des grilles de classification des emplois et des grilles de salaires prévues par les conventions collectives : par exemple pour déterminer le salaire d’embauche ou organiser les déroulements de carrière (utilisation de « grilles maison », de cotations par points, du « marché des rémunérations »...). 2)Individualisation des salaires: on lie la rémunération non plus au poste mais à la personne qui l’occupe, en fonction de ses diplômes, son ancienneté, ses performances, son « mérite », son « potentiel »... 3)Flexibilité des salaires: au moyen d’attribution de primes ou de bonus qui peuvent être révisés périodiquement aussi bien à la baisse qu’à la hausse, notamment chez les cadres et les dirigeants. Ces modes de rémunération peuvent, selon le cas, conduire à une émulation entre les salariés, augmenter le sentiment d’appartenance et de responsabilité, attirer les compétences et fidéliser la main-d’œuvre très qualifiée (stock-options pour attirer les cadres brillants), réduire l’absentéisme (primes d’assiduité), améliorer la qualité du travail ou la sécurité. On a donc affaire, semble-t-il à un nouvel ordre salarial, au moins dans une certaine mesure. Il faut en effet rester prudent, car, par exemple, la part flexible du salaire (« salaire de
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performance », par opposition à la part rigide appelée « salaire de qualification ») en France dépasse rarement les 20 %, contre souvent 50 % aux Etats-Unis.
CONCLUSION En conclusion, on peut remarquer que l’ensemble des évolutions complexes qu’on vient de décrire se sont déroulées sur fond de conflit social. Les vainqueurs de la bataille des années 1970, les syndicats de salariés, ont ensuite cédé la place aux vainqueurs des années 1980-1990, les syndicats d’entrepreneurs, partiellement soutenu par les pouvoirs publics soucieux d’un rééquilibrage. Cela nous rappelle que ce qui peut sembler n’être qu’un épisode conjoncturel de la vie de la société française a en réalité une portée bien plus grande : D’une part, ce retournement du partage salaire/profit au bénéfice des entrepreneurs, additionné de l’augmentation des revenus du patrimoine, a eu des conséquences importantes en termes d’inégalités économiques et sociales, de pauvreté, d’exclusion. D’autre part, comme le montre le mouvement vers un nouvel ordre salarial, il se joue peut-être là quelque chose de plus qu’un nouveau partage provisoire des richesses : les changements dans les modes rémunération dans l’entreprise paraissent indiquer qu’il existe une tendance en cours qui ferait passer la société française d’un mode de régulation fondé sur l’attention au collectif et un certain sens du partage à une mode de régulation privilégiant l’individu et le profit individuel. De ce point de vue, il est révélateur que, lors des grèves de 1995, on ait pu évoquer, à propos de la mise à plat du système de protection sociale par le gouvernement Juppé, un risque de rupture du « pacte républicain ». Dans la mesure où le partage de la valeur ajoutée est lié à presque toutes les dimensions de la réalité économique et sociale, le modifier de manière significative c’est, semble-t-il, modifier également le mode de régulation de la société. Références : CONSEIL D’ANALYSE ECONOMIQUE (1998),Partage de la valeur ajoutée, La documentation française. (Rapport de Patrick ARTUS et Daniel COHEN. Commentaires de Robert Boyer et Jean-Philippe Cotis. Annexes de Gilbert Cette et la Direction de la Prévision.) TIMBEAU Xavier (2002), « Le partage de la valeur ajoutée », dans O.F.C.E. (2002), L’économie française 2002, collection Repères, éditions La Découverte, p. 85-93. CROZET Yves, LAHSEN Abdelmalki, DUFOURT Daniel et SANDRETTO René (1998), Les grandes questions de l’économie françaiseLe nouveau partage: « , Nathan. Chapitre de la valeur ajoutée révèle-t-il un changement de société ? », p. 286-301. Untrèsintéressant dossier de TD réalisé semble-t-il par un enseignant en lycée de l’académie de Lille pour des classes de première, sur internet à l’adresse suivante : http://www2.ac-lille.fr/seslille/outils/prem/trcom/dossier/dossierva.pdf (il faut avoir Acrobat Reader, téléchargeable gratuitement).
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